C’est après 1945 que va exister, dans le mouvement communiste internationale, une affirmation de la paupérisation générale, au mépris de la réalité du cycle d’accumulation capitaliste se relançant.

L’erreur initiale ne vient pas de la question de la paupérisation, mais d’une interprétation erronée de la situation d’après-guerre, erreur effectuée par Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme en URSS, publié en 1952. On y lit l’évaluation erronée :

« Le résultat économique le plus important de la deuxième guerre mondiale et de ses conséquences pour l’économie a été la désagrégation du marché mondial unique, universel. Ce qui a déterminé l’aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.

La deuxième guerre mondiale a été elle-même engendrée par cette crise. Chacune des deux coalitions capitalistes engagées dans le conflit, espérait pouvoir battre l’adversaire et asseoir sa domination sur le monde. C’est en cela qu’elles cherchaient une issue à la crise.

Les États-Unis d’Amérique comptaient mettre hors de combat leurs concurrents les plus dangereux, l’Allemagne et le Japon, s’emparer des marchés étrangers, des ressources mondiales de matières premières et asseoir leur domination sur le monde.

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La guerre cependant n’a pas donné raison à leurs espoirs. Il est vrai que l’Allemagne et le Japon ont été mis hors de combat eu tant que concurrents des trois principaux pays capitalistes : U.S.A., Grande-Bretagne, France.

Mais on a vu d’autre part se détacher du système capitaliste la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, pour former avec l’Union soviétique un seul et vaste camp socialiste, opposé au camp du capitalisme.

Le résultat économique de l’existence des deux camps opposés fut que le marché unique, universel s’est désagrégé, ce qui fait que nous avons maintenant deux marchés mondiaux parallèles qui eux aussi s’opposent l’un à l’autre (…).

Il s’ensuit que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (U.S.A., Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales, ne s’étendra pas mais diminuera ; que les conditions, quant aux débouchés mondiaux, s’aggraveront pour ces pays, et que la sous-production des entreprises y augmentera.

C’est en cela que consiste proprement l’aggravation de la crise générale du système capitaliste universel, à la suite de la désagrégation du marché mondial.

C’est ce que les capitalistes comprennent fort bien, car il est difficile de ne pas ressentir la perte de marchés tels que l’U.R.S.S., la Chine. Ils s’attachent à remédier à ces difficultés par le « plan Marshall », par la guerre en Corée, par la course aux armements, par la militarisation de l’industrie. Mais cela ressemble fort au noyé qui s’accroche à un brin de paille.

Devant cette situation deux problèmes se posent aux économistes :

a) Peut-on affirmer que la thèse bien connue de Staline sur la stabilité relative des marchés en période de crise générale du capitalisme, thèse formulée avant la deuxième guerre mondiale, – reste toujours en vigueur ?

b) Peut-on affirmer que la thèse bien connue, formulée par Lénine au printemps de 1916, selon laquelle, malgré sa putréfaction « dans l’ensemble le capitalisme se développe infiniment plus vite que naguère », – reste toujours en vigueur ?

Je pense qu’on ne saurait l’affirmer. Étant donné les nouvelles conditions dues à la deuxième guerre mondiale, il faut considérer ces deux thèses comme périmées. »

C’était là une erreur d’interprétation de la situation, aboutissant à une remise en cause d’une analyse juste. Le bloc capitaliste était considérée comme ne pouvant pas s’extirper de la crise d’avant la guerre, faisant face qui plus est au bloc socialiste.

C’était une sous-estimation de la puissance de l’impérialisme américain, nullement touché par les destructions de la guerre, disposant d’une hégémonie complète dans les pays capitalistes, avec une puissance interne en pleine lancée.

Les révisionnistes en Union Soviétique et dans les pays de l’Est européen se profilèrent alors comme les meilleurs « cadres » d’un productivisme « neutre », puisque mécaniquement le bloc socialiste devait l’emporter économiquement sur le bloc capitaliste.

Fort logiquement, les révisionnistes assumèrent alors la thèse de la paupérisation générale. Le bloc capitaliste était considérée comme n’ayant plus rien à proposer. Le Manuel d’économie politique soviétique de 1955 – soit deux années après la mort de Staline et le basculement dans le révisionnisme – a ainsi un point de vue unilatéral sur la paupérisation générale, absolue :

« La voie du développement du capitalisme est celle de l’appauvrissement et de la sous-alimentation pour l’immense majorité des travailleurs. En régime bourgeois, l’essor des forces productives n’apporte pas aux masses laborieuses un allégement de leur situation, mais une aggravation de leur misère et de leurs privations (…).

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La reproduction élargie en régime capitaliste aboutit nécessairement à la paupérisation relative et absolue de la classe ouvrière.

La paupérisation relative est la diminution de la part de la classe ouvrière dans le revenu national des pays capitalistes. La paupérisation absolue est l’abaissement pur et simple du niveau de vie de la classe ouvrière (…).

Le pourrissement du capitalisme augmente la paupérisation de la classe ouvrière et des masses travailleuses de la paysannerie. »

Comme on le voit, il y a une ambiguïté, puisqu’il semble y avoir d’un côté une juste compréhension du principe de paupérisation, de l’autre la considération qu’on est dans un contexte de crise. Mais le même manuel explique de manière erronée que :

« Marx a découvert la loi générale de l’accumulation capitaliste qui détermine l’accroissement de la richesse et du luxe à un pôle de la société et l’accroissement de la misère, de l’oppression, des tourments du travail à l’autre pôle. Il a montré que le développement du capitalisme entraîne la paupérisation relative et absolue du prolétariat, qui creuse encore l’abîme entre le prolétariat et la bourgeoisie, aggrave la lutte de classes entre eux. »

La première phrase correspond au point de vue de Karl Marx ; la seconde est unilatérale et fausse.

Or, la tendance de nombreux Partis Communistes d’Europe de l’Ouest des années 1950 a été précisément d’adopter une telle ligne, accusant le capitalisme de procéder à une paupérisation absolue générale.

En France, Maurice Thorez est à la tête de cette affirmation de la paupérisation du prolétariat français. Si le Parti Communiste français rejette finalement cette thèse, en 1964 à son XVIIe congrès, le rapport du Comité Central parle encore d’une situation de « véritable régression sociale ».

Les progrès de l’accumulation capitaliste dévalueront toujours plus les partis communistes devenus révisionnistes, renforçant à l’opposé la social-démocratie dénonçant justement la thèse de la paupérisation.

À l’opposé, le Parti Communiste de Chine, comprenant l’importance prise par les États-Unis d’Amérique et la nature des pays capitalistes connaissant un développement, parlera de déplacement du centre de gravité de la révolution mondiale vers la « zone des tempêtes » : l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine.


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