Quel est le rapport entre la paupérisation absolue de l’armée industrielle de réserve et la paupérisation relative du prolétariat ? On se doute bien qu’il y en a, rien que parce que l’armée industrielle de réserve permet l’exercice d’un chantage au travail.
Karl Marx explique justement que c’est un tel chantage, mais généralisé. Karl Marx le dit bien : il ne s’agit pas que de pauvreté, il s’agit de la réalité quotidienne du travailleur en général.
Le capital devient un despote pour lui, l’abrutissant, l’enchaînant toujours davantage à son emploi, au prix d’une aliénation complète.
Cela est vrai, précise bien Karl Marx, même si le taux de salaire est haut. On a donc nullement affaire à un misérabilisme, s’imaginant que le niveau s’effondrerait de manière unilatérale.
Voici ce qu’enseigne Karl Marx :
« L’action de cette loi [d’une surpopulation miséreuse croissante], comme de toute autre, est naturellement modifiée par des circonstances particulières.
On comprend donc toute la sottise de la sagesse économique qui ne cesse de prêcher aux travailleurs d’accommoder leur nombre aux besoins du capital.
Comme si le mécanisme du capital ne le réalisait pas continuellement, cet accord désiré, dont le premier mot est : création d’une réserve industrielle, et le dernier : invasion croissante de la misère jusque dans les profondeurs de l’armée active du travail, poids mort du paupérisme.
La loi selon laquelle une masse toujours plus grande des éléments constituants de la richesse peut, grâce au développement continu des pouvoirs collectifs du travail, être mise en oeuvre avec une dépense de force humaine toujours moindre, cette loi qui met l’homme social à même de produire davantage avec moins de labeur, se tourne dans le milieu capitaliste – où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui est au service des moyens de production – en loi contraire, c’est-à-dire que, plus le travail gagne en ressources et en puissance, plus il y a pression des travailleurs sur leurs moyens d’emploi, plus la condition d’existence du salarié, la vente de sa force, devient précaire.
L’accroissement des ressorts matériels et des forces collectives du travail, plus rapide que celui de la population, s’exprime donc en la formule contraire, savoir : la population productive croit toujours en raison plus rapide que le besoin que le capital peut en avoir.
L’analyse de la plus-value relative nous a conduit à ce résultat : dans le système capitaliste toutes les méthodes pour multiplier les puissances du travail collectif s’exécutent aux dépens du travailleur individuel; tous les moyens pour développer la production se transforment en moyens de dominer et d’exploiter le producteur : ils font de lui un homme tronqué, fragmentaire, ou l’appendice d’une machine; ils lui opposent comme autant de pouvoirs hostiles les puissances scientifiques de la production-, ils substituent au travail attrayant le travail forcé; ils rendent les conditions dans lesquelles le travail se fait de plus en plus anormales et soumettent l’ouvrier durant son service à un despotisme aussi illimité que mesquin; ils transforment sa vie entière en temps de travail et jettent sa femme et ses enfants sous les roues du Jagernaut [sorte de chariot géant, utilisé pour les processions hindouistes] capitaliste.
Mais toutes les méthodes qui aident à la production de la plus-value favorisent également l’accumulation, et toute extension de celle-ci appelle à son tour celles-là.
Il en résulte que, quel que soit le taux des salaires, haut ou bas, la condition du travailleur doit empirer à mesure que le capital s’accumule.
Enfin la loi, qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation et celui de la surpopulation relative, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher.
C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »
Ce dernier paragraphe est une description adéquate de la condition du prolétariat, sous tous ses aspects.