Karl Marx aborde la question de la paupérisation lorsqu’il étudie les formes d’existence de la surpopulation relative.

Cela signifie que, dans Le Capital, la misère concerne des bien particuliers ; cela est très clair lorsque Karl Marx parle :

« des conditions d’existence tout à fait précaires et honteusement inférieures au niveau normal de la classe ouvrière »

La thèse marxiste de la paupérisation n’est donc pas, de manière unilatérale, une affirmation de la paupérisation absolue. En effet, la paupérisation absolue affirmée de manière unilatérale signifierait l’effacement du prolétariat, donc du capital, donc du mode de production capitaliste lui-même.

La paupérisation absolue est une tendance qui se renforce dans la mesure, et dans la mesure seulement, où l’armée de réserve industrielle grandit.

Par contre, la paupérisation relative – la « part de gâteau » toujours plus petite – est toujours plus grande ou, si l’on veut, l’écart de richesses entre le prolétariat et la bourgeoisie est toujours plus grand.

Comment Karl Marx, dans Le Capital, parle-t-il de la paupérisation absolue ? Voici ce qu’il en dit, définissant bien les secteurs concernés :

« En dehors des grands changements périodiques qui, dès que le cycle industriel passe d’une de ses phases à l’autre, surviennent dans l’aspect général de la surpopulation relative, celle-ci présente toujours des nuances variées à l’infini.

Pourtant on y distingue bientôt quelques grandes catégories, quelques différences de forme fortement prononcées – la forme flottante, latente et stagnante.

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[1] Les centres de l’industrie moderne, – ateliers automatiques, manufactures, usines, mines, etc., – ne cessent d’attirer et de repousser alternativement des travailleurs, mais en général l’attraction l’emporte à la longue sur la répulsion, de sorte que le nombre des ouvriers exploités y va en augmentant, bien qu’il y diminue proportionnellement à l’échelle de la production.

Là la surpopulation existe à l’état flottant.

Dans les fabriques automatiques, de même que dans la plupart des grandes manufactures où les machines ne jouent qu’un rôle auxiliaire à côté de la division moderne du travail, on n’emploie par masse les ouvriers mâles que jusqu’à l’âge de leur maturité.

Ce terme passé, on en retient un faible contingent et l’on renvoie régulièrement la majorité. Cet élément de la surpopulation s’accroît à mesure que la grande industrie s’étend. Une partie émigre et ne fait en réalité que suivre l’émigration du capital (…).

L’exploitation de la force ouvrière par le capital est d’ailleurs si intense que le travailleur est déjà usé à la moitié de sa carrière.

Quand il atteint l’âge mûr, il doit faire place à une force plus jeune et descendre un échelon de l’échelle sociale, heureux s’il ne se trouve pas définitivement relégué parmi les surnuméraires. En outre, c’est chez les ouvriers de la grande industrie que l’on rencontre la moyenne de vie la plus courte (…).

[2] Dès que le régime capitaliste s’est emparé de l’agriculture, la demande de travail y diminue absolument à mesure que le capital s’y accumule. La répulsion de la force ouvrière n’est pas dans l’agriculture, comme en d’autres industries, compensée par une attraction supérieure. Une partie de la population des campagnes se trouve donc toujours sur le point de se convertir en population urbaine ou manufacturière, et dans l’attente de circonstances favorables à cette conversion (…).

L’ouvrier agricole se trouve par conséquent réduit au minimum du salaire et a un pied déjà dans la fange du paupérisme.

[3] La troisième catégorie de la surpopulation relative, la stagnante, appartient bien à l’armée industrielle active, mais en même temps l’irrégularité extrême de ses occupations en fait un réservoir inépuisable de forces disponibles.

Accoutumée à la misère chronique, à des conditions d’existence tout à fait précaires et honteusement inférieures au niveau normal de la classe ouvrière, elle devient la large base de branches d’exploitation spéciales où le temps de travail atteint son maximum et le taux de salaire son minimum. Le soi-disant travail à domicile nous en fournit un exemple affreux.

Cette couche de la classe ouvrière se recrute sans cesse parmi les « surnuméraires » de la grande industrie et de l’agriculture, et surtout dans les sphères de production où le métier succombe devant la manufacture, celle-ci devant l’industrie mécanique.

A part les contingents auxiliaires qui vont ainsi grossir ses rangs, elle se reproduit elle-même sur une échelle progressive (…).

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[4] Enfin, le dernier résidu de la surpopulation relative habite l’enfer du paupérisme.

Abstraction faite des vagabonds, des criminels, des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qu’on appelle les classes dangereuses, cette couche sociale se compose de trois catégories.

[A] La première comprend des ouvriers capables de travailler. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les listes statistiques du paupérisme anglais pour s’apercevoir que sa masse, grossissant à chaque crise et dans la phase de stagnation, diminue à chaque reprise des affaires.

[B] La seconde catégorie comprend les enfants des pauvres assistés et des orphelins. Ce sont autant de candidats de la réserve industrielle qui, aux époques de haute prospérité, entrent en masse dans le service actif, comme, par exemple, en 1860.

[C] La troisième catégorie embrasse les misérables, d’abord les ouvriers et ouvrières que le développement social a, pour ainsi dire, démonétisés, en supprimant l’œuvre de détail dont la division du travail avait fait leur seule ressource puis ceux qui par malheur ont dépassé l’âge normal du salarié; enfin les victimes directes de l’industrie – malades, estropiés, veuves, etc., dont le nombre s’accroît avec celui des machines dangereuses, des mines, des manufactures chimiques, etc.

Le paupérisme est l’hôtel des Invalides de l’armée active du travail et le poids mort de sa réserve. Sa production est comprise dans celle de la surpopulation relative, sa nécessité dans la nécessité de celle-ci, il forme avec elle une condition d’existence de la richesse capitaliste.

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Il entre dans les faux frais de la production capitaliste, frais dont le capital sait fort bien, d’ailleurs, rejeter la plus grande partie sur les épaules de la classe ouvrière et de la petite classe moyenne.

La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables.

Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital amenant la mise en disponibilité de la force ouvrière, la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse.

Mais plus la réserve grossit, comparativement à l’armée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée dont la misère est en raison directe du labeur imposé.

Plus s’accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s’accroît aussi le paupérisme officiel.

Voilà la loi générale, absolue, de l’accumulation capitaliste. »

La chose est donc très claire : la paupérisation absolue concerne l’armée industrielle de réserve, la partie au chômage, rendue toujours plus grande parce que les travailleurs sont chassés de la production par la tentative d’utiliser toujours plus de machines dans la concurrence.

Le capital, alors, scie la branche sur laquelle il est assis, puisque la réelle richesse provient de l’exploitation des travailleurs.


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