Il y a donc le principe de la « preuve formelle », qui s’appuie sur une démarche mécanique des éléments existant dans un procès, et le principe de « l’intime conviction » où le juge évalue prétendument en étant un « homme du commun ».
Le tribunal soviétique dépasse tant le premier principe que le second. En assumant ouvertement la nature de classe de tout procès, le droit soviétique assume la formulation de preuves sur une base objective, et une analyse de celles-ci en profitant d’une compréhension des tendances propres à cette base objective.
Andreï Vychinski expose de la manière suivante cette formulation du principe du tribunal de classe du droit soviétique dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.
« La science de la preuve, ou la théorie de la preuve de la moralité, est universellement reconnue comme la théorie centrale la plus importante de tout droit judiciaire.
Un certain nombre de processualistes attachent tellement d’importance à cette partie de la science procédurale que l’ensemble du processus se réduit à l’art d’utiliser des preuves (…).
Mais la « logique du processus pénal » ne peut être réduite aux règles de la collecte et de l’utilisation des preuves, c’est-à-dire à la technique procédurale.
La logique de la procédure pénale, contraire à l’idée fausse du professeur Vladimirova, est beaucoup plus large que la technique fondée sur des preuves. La logique du processus pénal ne se limite pas à l’aspect juridique formel de la question.
Dans un tribunal de classe, les processus sont déterminés par l’équilibre réel des forces de classe dans le pays. La logique de la lutte des classes trouve ici inévitablement une expression, subordonnant finalement le cours et l’issue de chaque procès à l’action de ses lois.
La perception même des faits qui font l’objet d’un contrôle juridictionnel, la compréhension même et l’application des lois juridiques sont soumises aux lois du développement social, à l’influence des relations sociales prévalant dans le pays et aux opinions, idées et idéologies qui en résultent (…).
La preuve même qui constitue le contenu de la logique de la justice judiciaire n’est pas dépourvue de sa propre logique, causée par les rapports de classe et la lutte de classe, dont l’instrument entre les mains de la classe dirigeante dans une société donnée, c’est le tribunal, le procès et les preuves.
Dans les voix d’un juge foncier, d’un juge bourgeois, d’un juge officiel, les mêmes faits, les mêmes « preuves » n’ont pas le même sens ni la même force probante. Cela est dû à la différence de classe des juges, à leur psychologie, à leur idéologie, à leurs habitudes, à leur nature de classe (…).
Il est clair que la « logique du procès » ne se réduit pas aux règles de collecte et d’utilisation des preuves, supposées indépendantes des intérêts de la classe, remplissant le procès de son contenu concret.
Mais même si la reconnaissance du procès aux règles de collecte et d’évaluation des preuves est reconnue comme correcte, il ne faut pas oublier que ces règles mêmes sont élaborées sous le feu des contradictions de classe et de la lutte des classes et qu’elles ne peuvent donc porter que des traces de leur origine de classe.
Les règles de procédure prescrivant un certain traitement des faits et dirigeant d’une certaine manière la conscience du juge dans l’évaluation de ces faits sont établies de manière à être le plus rentable et le plus approprié aux yeux du législateur, agissant toujours dans l’intérêt de sa classe.
Dans le domaine du droit de la preuve, c’est-à-dire des règles qui régissent le processus de collecte et d’évaluation des preuves judiciaires, le rôle déterminant appartient au critère qui constitue la base de cette évaluation.
Lors de l’évaluation du pouvoir de preuve de l’une ou l’autre des prétendues circonstances d’une affaire, ce critère de classement revêt une extrême importance, qui détermine l’attitude du juge ou de l’enquêteur à l’égard de ces circonstances, qui détermine le point de vue idéologique de l’évaluateur.
Ce point de vue n’est pas séparable de la personnalité de l’évaluateur, tout comme sa personnalité est indissociable de la classe à laquelle il appartient.
C’est pourquoi la science de la preuve ne peut être limitée au côté technique des choses.
Il est faux de penser que le système de preuve, comme tout le droit de la preuve (principes de preuve, méthodes de recherche de preuves, classification des preuves, etc.) dans son ensemble, constitue dans une certaine mesure une catégorie au-delà des classes et apolitique.
Tout le droit de la preuve est aussi saturé d’esprit de classe que n’importe quelle loi.
Comme toute loi, il s’agit d’un instrument pointu et subtil entre les mains des classes qui dominent la société: il sert les intérêts de classe complètement et sans partage dans chaque société.
C’est ici qu’il faut chercher une explication des différences de principes et de théories procédurales à différentes époques de l’histoire, sous la domination de diverses classes sociales.
Donc les principes de la théorie de la preuve formelle s’expliquent non seulement par le niveau général de l’état mental et moral du servage féodal, mais surtout par les exigences des intérêts de classe des seigneurs féodaux.
Au contraire, la théorie de la prétendue intime conviction judiciaire libre, dans son interprétation par les avocats bourgeois, exprime les principes de l’ère du capitalisme, exigeant « liberté » et « égalité » (au sens bourgeois de ces concepts) des parties dans le processus d’initiative personnelle contradictoire, expression restreinte de volonté personnelle, semblable à la manière dont elle se déroule dans le domaine de la propriété et des relations économiques, construite sous le signe du principe « laissez faire, laissez passer ».
Tout tribunal a une base de classe, que ce soit dans la reconnaissance de la preuve, son interprétation, son utilisation. Le droit soviétique a pour cette raison une approche socialiste.