L’URSS de Staline a appelé la guerre contre l’Allemagne nazie la « grande guerre patriotique ».

L’expression fut initialement employée par l’historien Alexander Mikhailovsky-Danilevsky pour désigner la résistance à l’invasion des armées napoléoniennes, dans son travail en quatre volumes intitulé Description de la guerre patriotique de 1812.

Vassili Verechtchaguine, Napoléon à Borodino [en 1812], 1897

Vassili Verechtchaguine, Napoléon à Borodino [en 1812], 1897

Après 1917, l’expression fut mise de côté, avant de revenir à la fin des années 1930, les historiens soviétiques considérant que c’était du sociologisme vulgaire que de réduire cette guerre du côté russe à une guerre de rapine des classes dirigeantes russes face à un Napoléon ne faisant que, mécaniquement et sans le savoir, protéger les acquis de la révolution française.

L’historien soviétique Evgeny Tarle réactiva ainsi l’expression en 1938, dans son ouvrage L’invasion de la Russie par Napoléon en 1812, qui fut par ailleurs précédé d’une biographie de Napoléon deux ans plus tôt. Il y soulignait qu’en fait, cette guerre napoléonienne était spécifique, car elle n’était pas portée par une logique défensive préventive, mais bien une dynamique expansionniste de la part des classes dominantes en France alors.

Concrètement, Napoléon cherchait en effet à se marier avec une princesse russe pour stabiliser sa dynastie ; devant deux échecs, il se maria à une princesse autrichienne et visa à une hégémonie sur la Russie en l’affaiblissant, afin de renforcer le blocus continental anti-britannique et même de viser les Indes.

Il chercha initialement à ce que se déroulent des combats tout à l’Ouest de l’empire russe, mais les armées russes se replièrent. Finalement, après une longue et inédite tergiversation, Napoléon joua le tout pour le tout en visant la ville de Moscou pour anéantir l’empire russe.

Alexeï Kivchenko, Conseil de guerre à Fili (1880)

Alexeï Kivchenko, Conseil de guerre à Fili (1880)

C’est à ce conseil de guerre que fut décidé d’abandonner Moscou à Napoléon.

Comte von Bennigsen [officier allemand servant l’empire russe] : Faut-il abandonner sans combat l’antique et sainte capitale de la Russie ou faut-il la défendre ?
Mikhaïl Koutouzov : L’antique et sainte capitale de la Russie ! Permettez-moi de vous dire, Excellence, que cette question n’a pas de sens pour un russe. On ne peut poser une pareille question et elle n’a pas de sens. La question pour laquelle j’ai demandé à ces messieurs de se réunir est une question militaire. C’est la suivante : “Le salut de la Russie est dans son armée. Est-il préférable de risquer la perte de l’armée et de Moscou en acceptant la bataille ou de livrer Moscou sans combat ?”. Voilà la question sur laquelle je désire connaître votre opinion.

Au début des années 1950, l’œuvre d’Evgeny Tarle fut cependant critiquée pour son manque de prise en considération de l’aspect populaire de la guerre du côté russe, de l’intense activité militaire dirigée par Mikhaïl Koutouzov, de l’impréparation française à agir sur de vastes territoires. Evgeny Tarle décéda toutefois avant de pouvoir publier la nouvelle version de son ouvrage.

Entre-temps, la seconde guerre mondiale fut dénommée grande guerre patriotique du côté soviétique. Vyacheslav Molotov parla le 23 juin 1941, dans un discours à la radio, d’une guerre sur le sol national, l’éditorial de la Pravda du lendemain parlant de « la grande guerre patriotique du peuple soviétique contre le fascisme allemand ».

Enfin, un décret du présidium du Soviet suprême officialisa l’expression, le 20 mai 1942, en instituant un ordre militaire : l’Ordre de la Guerre patriotique.

Pour bien comprendre le parallèle avec l’invasion nazie, il faut prendre en considération tant la forme que le fond. Le but de l’invasion napoléonienne était le coup de force, l’effondrement russe sous des coups de boutoirs bien précis, dans une vaste offensive. La méthode nazie était la même et connut exactement la même réponse.

Plan de la bataille de Borodino, en septembre 1812

Plan de la bataille de Borodino, en septembre 1812

Napoléon considéra avoir ainsi gagné la bataille meurtrière de la Moskova, puisque fut prise le village de Borodino. Le chemin de Moscou était ouvert. Mais, inversement, du côté russe cette bataille, appelée bataille de Borodino, était également considérée comme une victoire, qui indiquait le caractère invincible de la Russie.

Peter von Hess, La bataille de Borodino, 1843

Peter von Hess, La bataille de Borodino, 1843

Les armées russes avaient en effet infligé des coups durs aux Français, elles s’étaient repliées avec leurs hommes et leur matériel, elles pouvaient disposer de renforts. On a ici le principe de la retraite des hommes et du matériel en profitant d’un vaste repli stratégique, pour enliser et faire s’effondrer l’ennemi. C’est le contraire exact du principe de la victoire décisive.

Hitler, comme Napoléon, chercha perpétuellement cette victoire décisive, qu’il ne trouva jamais, les armées soviétiques rééditant le principe de 1812.


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