Le 26 juin 1953, Lavrenti Beria était intercepté chez lui et immédiatement exécuté. Officiellement, il aurait été emprisonné pour passer en procès à la fin de l’année, étant condamné à mort et exécuté seulement le 23 décembre.
C’est en réalité un coup de force contre l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, dont Lavrenti Beria était à la tête.
On parle ici de la plus grande figure organisationnelle de l’URSS avec Joseph Staline, ces deux communistes faisant office de véritable tandem géorgien. Lavrenti Beria est à partir de la fin des années 1930 le principal responsable de la sécurité du pays, jouant un rôle de premier plan dans la guerre mondiale, notamment comme responsable des services de contre-espionnage du SMERSH (acronyme de « mort aux espions ! »).
Au moment de sa mort, Lavrenti Beria était membre du Présidium du Comité central du PCUS, premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, ministre des affaires intérieures, héros du travail socialiste, maréchal de l’Union soviétique, responsable du programme atomique soviétique. C’est également lui qui, sur la place rouge, fut l’un des trois orateurs de l’oraison funèbre pour Joseph Staline, le 9 mars 1953.
L’accusation, fantasmagorique, veut qu’il ait été un espion à la solde de l’impérialisme ayant tenté de monter un coup d’État par l’intermédiaire des services secrets ; tout cela serait étayé par de nombreux documents du procès et même un long « aveu ».
À cela s’ajoute l’accusation d’avoir soi-disant régulièrement enlevé des femmes pour les violer et ensuite les faire fondre à l’acide sulfurique dans sa salle de bains ou bien les broyer dans un concasseur de pierres !
On a ici une véritable opération militaire accompagné d’une campagne d’intoxication psychologique, qui a commencé dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953, et qui vise à la destruction de l’appareil de sécurité.
A.A. Epyshev, vice-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS, est démis de ses fonctions le 11 mars 1953. B.C. Ryasnoy, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la seconde direction principale chargée du contre-espionnage, responsable de la garde personnelle de Staline depuis mai 1952, est démis le même jour.
S.R. Savchenkjo, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la première direction principale chargée du renseignement, est démis le 17 mars 1953.
Cette liste est encore longue et concerne en fait les hauts cadres de la sécurité d’État. Car, en décembre 1952, le PCUS a voulu la fusion du ministère de la sécurité d’État et de celui des affaires intérieures et c’est Lavrenti Beria qui prit la tête de la nouvelle structure au moment de la mort de Staline. Or, il semble à peu près clair que Staline n’a pas eu une mort naturelle et Lavrenti Beria avait commencé une enquête, qui eut immédiatement comme réponse son exécution.
De plus, Lavrenti Beria était devenu le chef de file de l’application de la légalité socialiste dans l’esprit de la constitution de 1936. Il avait déjà souligné cette dimension lors de l’oraison funèbre de Staline et avait promulgué un ordre secret, le 4 avril 1953, appelant à l’interdiction de « l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ».
L’ordre souligne le point suivant :
« Ces méthodes vicieuses d’enquêtes orientaient les efforts du personnel opérationnel sur le mauvais chemin et l’attention des organes de sécurité de l’État était détournée de la lutte contre les véritables ennemis de l’État soviétique. Je commande d’interdire strictement l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ; dans le cadre de l’enquête, respectez scrupuleusement les normes du code de procédure pénale (…).
Familiariser toute la structure opérationnelle des organes du ministère de l’Intérieur avec cet ordre et avertir qu’à partir de maintenant, non seulement les auteurs directs, mais également leurs dirigeants seront tenus responsables des violations du droit soviétique. »
L’affirmation de cette légalité étatique était un obstacle fondamental pour le Présidium du PCUS. En effet, si l’on suivait les dispositions du XIX congrès de 1952, il n’y avait plus de secrétaire général, simplement une direction collective devant assurer l’édification du communisme, c’est-à-dire gérer au mieux les forces productives.
Or, si cela était faux idéologiquement, il restait une base : si le Parti basculait dans une démarche incorrecte, il restait l’appareil d’État pour contre-balancer la chose. Celui-ci continuait de fonctionner selon les principes établis.
Il fallait donc absolument le démanteler du point de vue de la clique formée principalement de Nikita Khrouchtchev, Léonid Brejnev, Mikhail Souslov… qui entendait diriger le pays par en haut et non pas simplement avoir une fonction « administrative » comme le formulait le XIXe congrès de 1952.
La liquidation de nombreux cadres de la Sécurité d’État dès la mort de Staline culmina donc en l’exécution de Lavrenti Beria, ainsi que celle de plusieurs très hauts responsables condamnés lors du même procès fictif :
– Leo Vlodzimirsky, alors dirigeant de l’unité d’enquête sur les affaires particulièrement importantes du ministère de l’intérieur ;
– Vsevolod Merkulov, alors ministre du Contrôle de l’État de l’URSS (1950-1953), responsable de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS de 1938 à 1941, général depuis 1945, commissaire du peuple (puis ministre) de la Sécurité de l’État de l’URSS (1941, 1943-1946);
– Vladimir Dekanozov, alors ministre des affaires intérieurs de Géorgie, membre du Comité central du PCUS (b) de 1941 à 1952, ancien responsable adjoint de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS, ancien commissaire populaire adjoint aux affaires étrangères et représentant extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS en Allemagne (1940-1941);
– Bogdan Kobulov, alors premier sous-ministre des Affaires intérieures de l’URSS, après avoir été une figure clef du NKVD pour plusieurs postes, notamment chef de l’unité d’enquête du NKVD de l’URSS , puis chef de la direction économique principale du NKVD de l’URSS (1938-1939) ;
– Sergey Goglidze, alors figure du ministère des affaires intérieurs de l’URSS et responsable de la 3e direction (contre-espionnage dans l’armée et la marine soviétiques), notamment ancien vice-ministre de la sécurité d’État, ancien dirigeant du troisième département (contre-espionnage militaire) du ministère de la Sécurité d’État, ancien responsable de la direction principale pour la protection des chemins de fer et du transport par voie navigable du ministère de la Sécurité de l’État de l’URSS, ancien commissaire du peuple aux affaires intérieures de l’URSS, ancien chef du bureau du NKVD de la République socialiste soviétique de Géorgie, ancien ministre de la Sécurité d’État d’Ouzbékistan ;
– Pavel Meshik, alors ministre de l’Intérieur de la République socialiste soviétique d’Ukraine et chef adjoint de la 1re Direction principale du Conseil des ministres de l’URSS (chargé de la construction de la bombe atomique), notamment ancien chef adjoint de la direction principale du SMERSH, ancien dirigeant du département des enquêtes de la direction économique principale du NKVD de l’URSS, ancien dirigeant premier département (commissariats industriel et alimentaire) de l’institution d’État du NKVD.
Tant Lavrenti Beria que les autres responsables ont été incinérés après leur exécution.