[Article publié pour la première fois dans la revue Crise n° 40]

Historiquement, la situation du continent américain est une anomalie. Et dans cette anomalie, les États-Unis sont la singularité monstrueuse, une anomalie, dans une anomalie.

Au fond, la trajectoire historique de l’Humanité est aussi pleine de surprises, sans que cela ne traduise l’existence du « hasard » ou d’une « élection » comme le conçoit la bourgeoisie. Les aléas du mouvement de la matière humaine dans son Histoire sociale sont déterminées fondamentalement par les rapports sociaux et les moyens matériels d’existence et de reproduction disponibles. C’est là ce que le matérialisme dialectique appelle le « développement inégal ».

Cela avait été repéré déjà par Lénine au début du 20e siècle alors que les États-Unis se manifestaient comme base du capitalisme allant à l’impérialisme (L’impérialisme stade suprême du capitalisme, chap. VII, 1917).

« On voit qu’il existe trois zones où le capitalisme est hautement développé (zones des moyens de transport, du commerce et de l’industrie), à savoir : la zone d’Europe centrale, la zone britannique et la zone américaine.

Parmi celles-ci figurent trois États qui dominent le monde : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, et les États-Unis.

Dans les zones britannique et américaine, par contre, la concentration politique est très fortement développée, mais il existe un écart immense entre les colonies immenses de la première et les colonies insignifiantes de la seconde.

Dans ces colonies cependant, le capitalisme ne fait qu’à peine son apparition. La lutte pour l’Amérique du Sud devient de plus en plus aiguë.

Il existe deux zones où le capitalisme est peu développé : la Russie et l’Asie de l’Est.

Dans la première, la population est extrêmement clairsemée ; dans la seconde elle est extrêmement dense ; dans la première la concentration politique est élevée ; dans la seconde elle n’existe pas.

Le morcellement de la Chine ne fait que commencer, et la lutte pour elle entre le Japon, les États-Unis, etc., gagne constamment en intensité. »

La découverte et la conquête du continent américain par les Européens de l’Ouest relève des effets du développement inégal, différencié. Elle a permis à ces nations à peine en formation au 16e siècle et encore alors engagées dans le féodalisme, mais sur la voie du capitalisme, de projeter sur ce « Nouveau Monde » un fatras d’utopies semi-féodales semi-bourgeoises sur la base écrasée des civilisations natives à peine extraites, au mieux, de l’esclavagisme.

Cela s’est produit dans le cadre d’une exploitation coloniale de nature semi-féodale, tout à la fois arriérée au point de restaurer l’esclavage massivement, et néanmoins moderne car permettant de se libérer des entraves féodales pour aller au capitalisme sur des dimensions immédiatement colossales.

Comprendre et écrire une histoire matérialiste dialectique de l’Amérique est une tâche d’avant-garde à notre stade, mais le réel de notre situation nous pousse à comprendre à toute vitesse cette histoire comme jamais auparavant.

Laissons ici de côté les détails de ce travail, et c’est là l’occasion de rappeler l’importance de consulter et d’étudier les dossiers publiés sur les sites que nous appelons à lire (matérialisme-dialectique.com et vivelemaoisme.org). Il est nécessaire de se placer dans le cadre de ce travail d’analyse pour saisir, comprendre et combattre l’impérialisme des États-Unis.

La bourgeoisie a à la fois hérité et fait l’Amérique, et notamment les États-Unis. Dans ce processus, elle a produit très vite une idéologie de l’Amérique comme base du capitalisme le plus abouti.

Là où le capitalisme a peiné à se déployer en Russie, en Orient et en Chine notamment, les États-Unis lui ont permis de trouver une voie de développement brisant d’entrée de jeu le cadre national que la bourgeoisie européenne établissait de son côté par de grands efforts de lutte.

La révolution américaine a permis de trancher dès la fin du 18e siècle la question de la nature de l’État américain, même si cela à mis plusieurs décennies à se solidifier. En gros, on peut considérer que chaque ancienne colonie, devenue un État, devait s’ouvrir dans le cadre d’une fédération étant la nation commune, au sens bourgeois du terme, ouverture permettant de rassembler des forces productives très larges.

Au départ, il s’agit de compenser la faiblesse de ces États en terme de population, mais très vite, l’élan expansif à fait qu’il devenait même possible d’élargir le champ d’action de la fédération et de l’emprise de l’immense marché américain ainsi généré, et donc d’étendre le territoire.

Cela n’est pas allé sans vive contradictions internes, mais pour aller vite, la fédération, devenue l’Union, est devenue une sorte d’Empire.

Un Empire d’un nouveau type, en fait un champ d’action capitaliste dont l’élargissement de la frontière permettait d’entretenir une dynamique croissante : la conquête et la réalisation d’une société moderne devenait une entreprise libre, dans un cadre commun et protégé par la force militaire de l’Union.

Les États-Unis sont une machine à produire des monopoles abrités sous la puissance militaire et par la force du modèle de l’entreprise libre de la frontière, ce qu’est la start-up de nos jours.

Au seuil du 19e siècle, tout était alors à faire : les réseaux de transports, l’exploitation des ressources, la satisfaction des besoins, former des villes et des services etc., autant d’étapes constituant des entreprises possibles dont quiconque pouvait s’emparer, à condition de les aligner sur les intérêts de l’Union commune.

C’est là la convention au cœur même de la puissance du capitalisme américain. Les GAFAM ne sont pas autre chose qu’une expression moderne et actuelle de ce rapport et de ce cadre.

Ainsi, par comparaison, les nations européennes capitalistes sont devenues impérialistes au moment même où les États-Unis devenaient une nation comme impérialisme.

En fait, on peut dire sans se tromper que fondamentalement, les États-Unis sont l’impérialisme fait nation.

C’est tout ce qui les rend d’une part si attractifs et admirables (si on veut) comme étant la plus prodigieuse entreprise historique du capitalisme, prodigieuse au point que même la bourgeoisie la plus rationnelle peine à concevoir autrement que par le fantastique, voire la « providentialité », le caractère formidable de l’aventure américaine des États-Unis.

Et d’autre part, c’est aussi ce qui en fait la matrice la plus abjecte et la plus odieuse du Capitalisme comme mode de production et vision du monde et de ce que peut faire et être de pire la bourgeoisie comme classe sociale.

Ceci étant posé, essayons de caractériser l’impérialisme américain dans sa trajectoire historique jusqu’à l’administration Trump actuelle. Il faut voir que Donald Trump, qui agit de manière chaotique et brutale, possède une compréhension tout à fait exacte de l’impérialisme américain et du romantisme de son aventure.

Mais il n’empêche qu’il faut dire aussi que la « doctrine Trump » si on peut ainsi la qualifier, n’est qu’une variété de l’impérialisme américain, qui active certains éléments, et en laisse de côté d’autres.

La doctrine Trump se veut à rebours des doctrines universalistes ou interventionnistes dans le cadre d’un Ordre mondial encadré par un droit et des institutions internationales alignées sur les intérêts américains.

Disons qu’elle ne s’appuie pas sur la démocratie philanthropique wilsonnienne, avec Woodrow Wilson œuvrant à la « Société des Nations », ou le libéralisme social de John Fitzgerald Kennedy, mais elle ne dit pas non plus autre chose.

Elle pose les États-Unis comme puissance pure et simple devant renoncer à l’idéalisme, considéré comme hypocrite, de la démocratie et des droits de l’Homme, pour assumer un nationalisme auto-centré ciblant la Chine comme rival à abattre en terme économique, désengagé de tout accord multilatéral, pragmatique et transactionnel dans ses relations extérieures, ne devant plus protéger le monde et la paix (sous hégémonie américaine), mais un territoire dont les frontières restent toutefois négociables de par la volonté expansionniste nécessaire au capitalisme américain.

1. L’héritage de la doctrine Jackson

Andrew Jackson (1767-1845), 7e président des États-Unis (1829-1837), est une figure centrale de l’impérialisme américain.

Pour l’anecdote, Donald Trump a fait placer son portrait dans le Bureau Ovale, c’est-à-dire le bureau d’où le président des États-Unis travaille, et le cite régulièrement comme modèle en matière de populisme et de « lutte contre les élites » au bénéfice d’une Amérique de petits entrepreneurs libres.

Il s’est aussi opposé à ce que l’on retire le visage du président Jackson des billets de 20$ au profit de celui de l’activiste féministe et abolitionniste Harriet Tubman.

C’est Andrew Jackson qui le premier fit de l’expansion territoriale un axe central du capitalisme américain.

Il imposa par l’Indian Removal Act (1830) la déportation de dizaines de milliers de natifs et lança la conquête et l’annexion des terres au delà du Mississippi.

C’est lui qui a aussi placé cet expansionnisme dans le narratif de la mission providentialiste des États-Unis, qui devaient ainsi étendre le progrès technologique, la liberté et la civilisation sur le continent américain.

C’est en fait de là que sort dans les années 1840 le concept néo-calviniste de « Destinée Manifeste » comme messianisme de l’impérialisme américain.

Andrew Jackson est aussi l’artisan de la consolidation du pouvoir fédéral sur les États, puisque l’installation de colons et la formation de nouveaux États permettaient tout à la fois de renforcer le cadre de l’Union et de l’imposer, les nouvelles colonies étant trop faibles pour le contester, et permettaient ainsi de noyer les revendications souveraines d’États plus solides ou contestataires, tout en nourrissant la mythologie de la frontière comme horizon culturel donnant sa cohérence à l’Union.

Andrew Jackson a ainsi renforcé le pouvoir du président contre les États, mais aussi contre les autres institutions fédérales, forgé l’appareil militaro-policier de la fédération, première base du futur et épouvantable complexe militaro-industriel, tout en promouvant un individualisme libertarien le plus large possible, inscrit dans l’expansion coloniale et entrepreneuriale conforme aux intérêts de l’Union.

On peut dire que la combinaison entre Andrew Jackson et l’objectivisme d’Ayn Rand, dont nous avions parlé dans le n°31 (février 2025) de Crise, forme le cœur de l’idéologie des monopoles du capitalisme américain, dont l’administration Trump est l’expression politique.

On le voit par exemple dans la réaction à l’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York en novembre 2025.

Ce dernier se revendique de l’aile gauche du parti démocrate, le rival de « gauche » du parti républicain si on veut, étant affilié au DSA (Démocratics Socialists of America), mais c’est moins son orientation « de gauche » qui a fait réagir Trump que sa volonté de non-alignement et d’opposition.

Donald Trump a immédiatement parlé de cette élection comme d’une perte de souveraineté pour les États-Unis, au sens où il prône l’hégémonie de la Fédération sur les États, et l’unilatéralité de l’exécutif présidentiel qui ne doit souffrir d’aucune opposition interne.

Ne pas s’aligner sur l’exécutif, ce n’est pas « choisir » mais au contraire entrer en dissidence et attaquer les libertés, qui ne peuvent exister qu’alignées avec l’intérêt des monopoles et de l’exécutif présidentiel, garant de l’ordre capitaliste fondé sur la liberté.

Ce raisonnement circulaire est l’aspect principal de l’idéologie impérialiste en interne, peu importe après les expressions rhétoriques qu’il prend des opposants/dissidents, en les traitant de « communistes », « islamistes » ou de « wokes ».

À l’extérieur, on a là le fondement de l’agression américaine visant le Groenland sur lequel nous reviendrons, voire d’une certaine manière Gaza (même si dans ce cas cela n’est qu’une vanité rhétorique), comme frontière de la croissance et du développement des forces productives du capitalisme américain.

D’ailleurs, il faut associer cet héritage d’Andrew Jackson à celui de la présidence de James K. Polk (1845-1849) qui est son direct héritier.

Sous la présidence de James Polk le territoire de l’Union s’est agrandi de près de 1,5 millions de km2 face au Royaume-Uni (annexion de l’Oregon), mais surtout face au Mexique (traité de Guadalupe Hidalgo – 1848), qui constitue la plus grande annexion territoriale réalisée par les États-Unis : Californie, Nouveau-Mexique, Arizona, Nevada, Utah et Colorado du Sud sont incorporés à l’Union.

Le Mexique a tenté régulièrement de régler ses comptes avec les États-Unis, notamment au début du XXe siècle lors de la révolte de Pancho Villa, dont la brutalité a même fait l’objet d’une mise en scène par les firmes cinématographiques américaines de Hollywood. La firme Mutual Film Corporation, la même firme qui produisait alors l’acteur Charlie Chaplin, a ainsi réalisé une sorte de documentaire-fiction sur l’armée mexicaine de Poncho Villa, qu’elle a obligé à combattre de jour pour les besoins des tournages, et qu’elle payait même pour commettre des exactions sous ses caméras.

Malgré le soutien américain, Pancho Villa a fini par se retourner relativement contre les États-Unis, poussé par l’Allemagne qui voulait entraver autant que possible l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’Entente (France, Royaume-Uni) dans la Guerre mondiale : en 1916, les troupes de Pancho Villa lancent une attaque sur une petite ville du Nouveau-Mexique, Colombus, en détruisent les bâtiments publics et tuent une vingtaine de personnes.

Le président Woodrow Wilson (1913-1921) qui prétendait par ailleurs fonder une doctrine interventionniste basée sur la défense de la démocratie libérale (il est l’inspirateur de la Société des Nations, ou SDN, après la guerre, et on lui doit une doctrine en 14 points qui se veut la base d’une charte des droits fondamentaux internationales, qui inspire celle de l’ONU après 1945), lança alors une vaste opération de représailles, réglant la question du régime mexicain, et aboutissant finalement à l’exécution de Pancho Villa par des opposants internes.

Malgré le fait que ce président soit présenté comme incarnant un narratif différent de l’Amérique sur elle-même, il a été un des pires impérialistes possibles : c’est lui qui a élancé le complexe militaro-industriel et levé une immense armée d’intervention, il a mené toute une série d’opérations en Amérique centrale et dans les Caraïbes, appliquant en fait et avec une fidélité brutale derrière son discours humaniste-philanthropique, la seule et fondamentale doctrine que l’impérialisme américain a formé pour se justifier : la doctrine Monroe-Roosevelt.

2. La doctrine Monroe-Roosevelt (1823-1904)

La doctrine Monroe, résumée par le slogan « l’Amérique aux Américains », a été proclamée par le président James Monroe (1817-1825) dans un cadre alors défensif, à l’occasion d’un message adressé le 2 décembre 1823 au Congrès (c’est-à-dire à la fois à la Chambre des représentants et au Sénat), pour l’informer de la situation de ses négociations avec les Puissances européennes de la Sainte-Alliance.

Il s’agissait d’empêcher un retour de la domination des nations européennes en Amérique, que la Révolution française et les guerres napoléoniennes avaient mises hors-jeu, notamment pour éviter qu’elles ne prennent le relais de l’Espagne, dont l’Empire colonial était alors en plein délitement.

Les États-Unis posent alors le principe d’un isolationnisme visant à garantir et étendre l’émancipation des colonies américaines de leurs métropoles européennes, principe qui s’étend de fait aux colonies espagnoles alors en pleine révolte indépendantiste.

En échange, les États-Unis s’engageaient à s’abstenir de toute intervention en Europe, mais à cette époque, cet engagement était complètement rhétorique de toute manière.

Voici le passage le plus significatif du message de Monroe, exprimant ce qui est devenue la doctrine Monroe :

« Les événements de cet hémisphère nous touchent nécessairement de plus près ; le motif en est bien clair pour tout observateur impartial et informé. Le système politique des puissances alliées est essentiellement différent à cet égard du système politique de l’Amérique.

Cette différence vient de celle qui existe entre leurs gouvernements respectifs et notre gouvernement.

C’est à la défense de notre gouvernement, conquis au pris de tant de sang et de ressources, mûri par la sagesse de nos citoyens les plus éclairés, et sous lequel nous avons joui d’une félicité sans exemple, que toute la nation est dévouée.

Nous devons cependant à la bonne foi et aux relations amicales qui existent entre les puissances alliées et les États-Unis, de déclarer que nous considérerions toute tentative de leur part pour étendre leur système à quelque partie de cet hémisphère, comme dangereuse pour notre tranquillité et notre sécurité.

Quant aux colonies existantes ou dépendances des puissances européennes, nous ne sommes pas intervenus et n’interviendrons pas dans leurs affaires. Mais, quant aux gouvernements qui ont déclaré leur indépendance, qui l’ont maintenue, et dont nous avons reconnu l’indépendance, après sérieux examen, et sur des justes principes, nous ne pourrions voir l’intervention d’une puissance européenne quelconque dans le but de les opprimer ou de contrarier d’une manière quelconque leur destinée, que comme la manifestation d’une disposition inamicale à l’égard des États-Unis.

Dans la guerre entre ces nouveaux gouvernements et l’Espagne, nous avons déclaré notre neutralité à l’époque de leur reconnaissance, et nous y sommes restés fidèles ; nous continuerons d’y rester fidèles, pourvu qu’il n’y ait pas de changement qui, du jugement des autorités compétentes de notre gouvernement nécessite aussi de notre part un changement indispensable à leur propre sécurité. »

Ce principe aboutit toutefois à faire des États-Unis la principale puissance du continent européen, là où ce dernier a posé dans le cadre de la Sainte-Alliance en 1815 le principe d’équilibre des puissances, les États-Unis s’approprient à leur manière le concept en posant l’Amérique comme une sphère hors de l’influence européenne, mais dont ils seraient les garants.

C’est aussi la première pierre de l’expansionnisme territorial des États-Unis, puisqu’il s’agit alors aussi de garantir la toute récente annexion de la Floride par le Traité Adams-Onís (ratifié en 1821) obtenu face à l’Espagne.

La Floride devient officiellement un État de la fédération en 1845, et on a d’ailleurs dans le roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune (1865), un portrait assez pittoresque et fasciné de la transformation en cours à cette époque de cette nouvelle « frontière » par le capitalisme américain, puisque c’est de là qu’est tiré dans l’histoire le projectile habité qui doit faire le tour de la Lune.

Si on est encore là sur une position nettement défensive, on assiste à un renversement spectaculaire justement avec Andrew Jackson comme on l’a vu, et c’est à partir de ce moment que la « doctrine Monroe » devient progressivement offensive-expansionniste : l’Amérique entière peut en fait constituer la « frontière » des États-Unis.

Avec l’indépendance somme toute ratée de l’Amérique latine, la position continentale des États-Unis devient moins prétexte à la théorie qu’à la pratique sur le plan des relations internationales.

Au début du 20ee siècle la situation est celle-ci : les États-Unis ont achevé la « conquête de l’Ouest », s’étendant de l’Atlantique au Pacifique, leur puissance productive est déjà immense et rivalise avec les nations capitalistes européennes, alors que les pays d’Amérique latine ne décollent pas et sont pris à la gorge sous le joug de l’endettement par les puissances européennes qui multiplient les ingérences et entendent les mettre en coupe réglée, tout comme elles l’ont fait pour la Russie, la Chine, l’Asie en général, l’Afrique.

C’est dans ce cadre que Théodore Roosevelt (1901-1909) reformule la doctrine Monroe de manière clairement impérialiste.

De manière explicite, Théodore Roosevelt emploie la formule dite du « Big Stick » pour faire comprendre ses idées : « parle doucement et tiens un gros bâton, tu iras loin ». Il s’agit pour lui d’imposer une diplomatie ferme, dissuasive et d’une agressivité calculée, pour négocier en position de force sujet par sujet.

De manière significative pour faire écho à Monroe, Roosevelt pose sa doctrine, qui forme le corollaire de celle de Monroe en fait, en décembre 1904 sous la forme d’un message au Congrès :

« Ce n’est pas vrai que les États-Unis éprouvent quelque appétit territorial ni qu’ils nourrissent, à l’égard des autres nations de l’hémisphère occidental, d’autres projets que ceux visant à leur bien-être. Tout ce que souhaite ce pays, c’est de voir les États voisins stables, ordonnés et prospères. Tout pays dont le peuple se conduit correctement peut compter sur notre franche amitié.

Si une nation montre qu’elle sait agir avec une efficacité raisonnable et une certaine décence dans les affaires sociales et politiques, si elle maintient l’ordre et honore ses obligations, elle n’a rien à craindre d’une intervention des États-Unis.

Des injustices chroniques, ou une impuissance entraînant un relâchement général des liens de la société civilisée, peuvent, en Amérique comme ailleurs, rendre nécessaire l’intervention d’une nation civilisée ; et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine Monroe peut nous contraindre, même à contrecœur, dans des cas flagrants de telles injustices ou défaillances, à exercer un pouvoir de police internationale.

Si chaque pays baigné par la mer des Caraïbes montrait les progrès d’une civilisation stable et juste que Cuba, grâce à l’amendement Platt, a accomplis depuis le départ de nos troupes, et que tant de républiques des deux Amériques démontrent de manière constante et brillante, toute question d’intervention de notre Nation dans leurs affaires disparaîtrait.

Nos intérêts et ceux de nos voisins du Sud sont en réalité identiques. Ils disposent d’immenses richesses naturelles, et si la loi et la justice règnent à l’intérieur de leurs frontières, la prospérité leur est assurée.

Aussi longtemps qu’ils respectent les règles fondamentales de la société civilisée, ils peuvent être certains d’être traités par nous avec une sympathie cordiale et secourable.

Nous n’interviendrons qu’en dernier recours, et seulement s’il devient évident que leur incapacité ou leur refus de pratiquer la justice, chez eux comme à l’étranger, viole les droits des États-Unis ou invite une agression étrangère au détriment de l’ensemble des nations américaines.

Il va de soi — c’est un simple truisme — que toute nation, en Amérique ou ailleurs, qui désire maintenir sa liberté et son indépendance doit en définitive comprendre que le droit à cette indépendance ne peut être dissocié de la responsabilité d’en faire bon usage. »

Le « gros bâton » doit néanmoins être crédible et à ce moment, la force militaire des États-Unis reste encore inférieure aux puissances européennes. Mais elle gagne en crédibilité : les États-Unis viennent alors de vaincre l’Espagne (1898) et occupent Porto Rico, Guam et les Philippines, ainsi que Cuba plus temporairement.

Roosevelt prolonge cette force en constituant la « Great White Fleet », transformant l’US Navy en puissance de rang mondial, avec 16 cuirassés en mesure d’agir n’importe où dans le monde. Les États-Unis deviennent alors la 3e puissance militaire navale derrière le Royaume-Uni (45 cuirassés) et l’Allemagne (20 cuirassés, 18 supplémentaires en projet).

C’est cette marine qui devient le fer de lance de l’impérialisme américain en lui donnant une force de projection, dont Roosevelt va faire usage pour démontrer la détermination des États-Unis.

C’est ainsi que Cuba est réoccupée pour imposer un régime aligné sur les États-Unis (1906-1909), de même avec la République Dominicaine, l’administration américaine prenant en 1905 le contrôle des douanes pour rembourser la dettes du pays. Haïti et le Nicaragua seront de même occupés.

Porto Rico a, dans ce cadre, été le laboratoire de l’impérialisme colonial des États-Unis.

La position de l’île au centre de la mer des Caraïbes permet d’articuler la maîtrise militaire de cette mer par l’US Navy, en lien avec le Canal de Panama dont le chantier se décide à cette époque, en disposant de ports en eau profonde, à San Juan et à Ponce.

L’importance de ces sites est considérable pour la marine américaine, qui cherche à concurrencer la flotte britannique, basée à Trinidad et à la Jamaïque.

L’impérialisme américain va en fait systématiquement occuper dans les années 1910 tous les sites permettant de former des bases navales dans les Caraïbes : à Guantanamo à Cuba, à Saint Thomas (racheté aux Danois) dans les Îles Vierges, à Saint Domingue, tout en cherchant à s’installer en Jamaïque et à Trinidad par ailleurs.

L’occupation américaine de Porto Rico, comptant alors plus de 900 000 habitants, débute quant à elle en 1898, à la suite de la guerre hispano-américaine et du traité de Paris.

L’île est placée sous administration militaire, puis civile à partir du Foraker Act (1900), qui organise un gouvernement local tout en confirmant la tutelle du Congrès.

Très tôt, Porto Rico est classé dans la catégorie des territoires non incorporés (unincorporated territories), selon une doctrine définie par la Cour suprême dans les Insular Cases (1901–1922).

Cette jurisprudence établit que certains territoires peuvent appartenir aux États-Unis sans être considérés comme faisant pleinement partie de l’Union fédérale au sens constitutionnel. Ce statut implique que la Constitution fédérale ne s’applique que de manière partielle, limitée aux « droits fondamentaux ». L’intégration institutionnelle et politique complète n’est pas garantie.

En 1917, alors que les États-Unis développent une énorme force armée de plus de 4 millions de soldats pour intervenir en Europe, le Jones-Shafroth Act accorde la citoyenneté américaine aux habitants de Porto Rico et permet d’enrôler un grand nombre de soldats parmi la population de l’île. Cependant, cette citoyenneté ne s’accompagne pas d’une incorporation du territoire à l’Union : l’île demeure un territoire « non incorporé » dans l’Union.

Cette configuration illustre le principe souvent qualifié de « citoyenneté sans incorporation », ou encore de « nationalité sans adhésion » : les Portoricains sont citoyens américains, mais s’ils résident à Porto Rico, ils n’élisent pas le président, n’ont pas de représentants votants au Congrès et dépendent intégralement du Congrès.

La doctrine américaine distingue ainsi deux catégories majeures de territoires, qui déterminent les droits politiques et constitutionnels des populations soumises aux États-Unis : les territoire non incorporés et ceux qui doivent l’être.

Un territoire incorporé (incorporated territory) est un territoire dans lequel la Constitution s’applique pleinement et d’emblée, car il est considéré comme promis à une future admission comme État, comme ce fut le cas de l’Alaska (incorporé progressivement après 1912, devenu État en 1959) et de l’archipel de Hawaï (territoire incorporé en 1900, devenu État en 1959).

Les territoires non incorporés en restent en quelque sorte, partiellement, à la première étape (mais ce n’est pas exact de parler d’étapes, puisque ce statut n’a pas de perspective au-delà de lui-même).

En fait, ils sont considérés comme appartenant aux États-Unis mais extérieurs à la fédération.

Cela concerne donc Porto Rico (depuis 1898), l’île de Guam dans le Pacifique (depuis 1898, d’abord sous administration militaire de l’US Navy, puis depuis 1950 sous un statut civil proche de celui de Porto Rico), les Îles Vierges américaines dans les Caraïbes comme nous l’avons vu, les Samoa américaines dans le Pacifique (partagées avec l’Allemagne en 1900, où les habitants n’ont toutefois pas la citoyenneté américaine), enfin aussi les Philippines en Asie (1898 – 1946) et la zone du Canal de Panama plus temporairement.

Cependant, l’intervention la plus emblématique est celle justement contre la Colombie en 1903 qui aboutit à la création ni plus ni moins d’un nouvel État, les États-Unis imposant la sécession du Panama, dont ils prennent naturellement immédiatement le contrôle.

C’est dans ce cadre qu’ils lancent le projet de construction du Canal de Panama (achevé en 1914), que les Français avait échoué à construire. La dynamite et l’invention du bulldozer mobilisé sur ce chantier gigantesque est en soi une démonstration de force des capacités industrielles et de l’agressivité du capitalisme américain.

Théodore Roosevelt fut le premier président américain en poste à réaliser une visite d’État à l’étranger, choisissant de se rendre au Panama en novembre 1906, où il fut notamment photographié aux manettes d’un bulldozer.

D’ailleurs, les États-Unis considèrent ensuite que le Canal étant leur œuvre, il doit être sous juridiction américaine.

Cette situation se prolonge dans les faits jusqu’en 1999, mais Donald Trump a exprimé ses vues sur la question, considérant que la souveraineté du Panama sur le Canal est un octroi conditionnel, au prétexte de la garantie de neutralité posée comme clause du traité de restitution du Canal.

3. L’interventionnisme américain en Amérique latine

Avec la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la lutte des États-Unis contre l’URSS, devenue sociale-impérialiste après 1953, l’interventionnisme américain a pris un tour plus politique-idéologique, fondé sur les opérations secrètes et les coups de mains, prolongeant la doctrine Monroe comme expression de l’expansionnisme du capitalisme monopolistique et militarisé des États-Unis, où le complexe militaro-industriel est devenu un gigantesque organe central du capitalisme.

Le Panama a fait l’objet du plus grand nombre d’intervention (en 1941-1947 puis 1989 pour éliminer le président Manuel Noriega), mais c’est toute la zone centro-américaine et caraïbéenne qui a fait l’objet de fréquentes interventions militaires (le Guatemala en 1954 pour renverser le président Jacobo Arbenz Guzman avec le soutien de l’United Fruit Company, la République dominicaine en 1965, le Nicaragua entre 1981 et 1990 pour y soutenir les Contras, groupes armées d’extrême droite, face au gouvernement et aux groupes armées pro-URSS, la petite île de Grenade en 1983 pour y renverser un gouvernement pro-URSS, Haïti très régulièrement depuis 1994 pour des raisons « humanitaires-philanthropiques »).

L’Amérique du Sud a fait l’objet de moins d’interventions directes, mais l’activité de l’armée et des services secret américain y est intense depuis la Guerre Froide, notamment par l’action et l’influence des Schools of America (SOA), fondées en 1946 dans la zone du Canal de Panama, qui ont formées toute une élite pro-américaine alignée sur les intérêts de la doctrine Monroe et ses corollaires.

Dans les années 1970, c’est dans ce cadre qu’est organisé le coup d’État au Chili mettant au pouvoir l’épouvantable fasciste Pinochet (1973-1990).

C’est aussi dans ce cadre qu’est organisé le Plan Condor, initiant une alliance secrète sous l’égide de la CIA et de l’armée américaine des dictatures anti-communistes en Amérique latine.

Cette organisation a été d’une telle brutalité et ayant constituée le terreau du développement des mafias armées du narcotrafic, que l’administration américaine a fini elle-même par la dénoncer, y mettre fin, et restructurer les SOA en un « Western Hemisphere Institute for Security Cooperation » (WHINSEC), un institut établi en Géorgie, censé désormais être lié à l’Organisation des États Américains (OEA) et recentré sur les « valeurs » de la doctrine Monroe-Roosevelt.

Voici comme le WHINSEC se présente sur son site :

« Situé à Fort Benning, en Géorgie, l’institut fournit une formation et une éducation militaires professionnelles au personnel éligible des États-Unis et des organisations partenaires relevant des domaines interarmées, interagences, intergouvernementaux et multinationaux.

Depuis 2001, le WHINSEC défend les droits humains et la démocratie en formant une nouvelle génération de dirigeants éthiques capables d’affronter les défis sécuritaires complexes et incertains de l’hémisphère occidental. Son enseignement et ses programmes de formation encouragent une pensée critique innovante fondée sur le respect fondamental des droits humains.

Ils couvrent l’ensemble des niveaux d’éducation, allant de la formation tactique à la théorie avancée portant sur l’application de la doctrine militaire, dans le cadre de programmes de master accrédités au niveau national et régional.

Depuis plus de vingt ans, le WHINSEC constitue le centre d’excellence en matière de formation militaire professionnelle pour les Amériques, diplômant chaque année entre 1 000 et 1 200 militaires, policiers et civils issus de l’ensemble de l’hémisphère. »

Mais c’est bien sûr l’intervention et la Crise de Cuba en 1961 sous la présidence du démocrate John Fitzgerald Kennedy qui a été la plus significative de ces interventions, donnant aux États-Unis l’occasion de démontrer leur détermination absolue à maintenir leur monopole nucléaire militaire en Amérique.

En mars 1961, le président Kennedy prononce un discours devant des représentants du Congrès et des États d’Amérique latine, appelant à une « mission hémisphérique » partagée, à une communauté de destin élargissant la doctrine Monroe à tous les États d’Amérique devant en fait intégrer cette logique dans leur propre doctrine, alignant en interne si on peut dire ces États avec les États-Unis.

Voici comme il présente les choses :

« Il y a aujourd’hui cent trente-neuf ans, cette semaine, les États-Unis, inspirés par l’héroïque lutte de leurs frères américains, ont soutenu l’indépendance et la reconnaissance des nouvelles Républiques latino-américaines.

C’est alors, à l’aube de la liberté dans tout cet hémisphère, que Bolívar exprima le désir de voir les Amériques devenir la plus grande région du monde « la plus grande », disait-il, « non tant par son territoire ou sa richesse, que par sa liberté et sa gloire. » Jamais, dans la longue histoire de notre hémisphère, ce rêve n’a été aussi proche de sa réalisation — et jamais il n’a été autant menacé.

Le génie de nos scientifiques nous a donné les outils pour apporter l’abondance à notre terre, la force à notre industrie, et le savoir à notre peuple. Pour la première fois, nous avons la capacité de rompre les dernières chaînes de la pauvreté et de l’ignorance ; de libérer nos peuples pour l’accomplissement spirituel et intellectuel qui a toujours été le but de notre civilisation.

Pourtant, à ce moment même d’opportunité maximale, nous faisons face aux mêmes forces qui ont menacé l’Amérique tout au long de son histoire ; des forces étrangères qui
cherchent à nouveau à imposer les despotismes de l’Ancien Monde aux peuples du Nouveau.

Je vous ai invités aujourd’hui pour discuter de ces défis et de ces dangers. Nous nous réunissons comme des amis fermes et anciens, unis par l’histoire et par l’expérience, ainsi que par notre détermination à faire progresser les valeurs de la civilisation américaine.

Car ce Nouveau Monde n’est pas un simple accident géographique. Nos continents sont unis par une histoire commune, la conquête sans fin de nouvelles frontières. Nos nations sont nées d’un combat commun : la révolte contre la domination coloniale.

Les révolutions qui nous ont donné naissance ont allumé, selon les mots de Thomas Paine, « une étincelle qui ne sera jamais éteinte. » Et à travers ces vastes continents turbulents, ces idéaux américains inspirent encore le combat de l’homme pour l’indépendance nationale et la liberté individuelle.

Mais si nous saluons l’expansion de la révolution américaine vers d’autres terres, nous devons aussi nous souvenir que notre propre combat, la révolution qui a commencé à Philadelphie en 1776, et à Caracas en 1811 n’est pas encore achevé.

Notre mission hémisphérique n’est pas accomplie. Notre tâche inachevée est de démontrer au monde entier que l’aspiration insatisfaite de l’homme au progrès économique et à la justice sociale peut être réalisée par des hommes libres dans des institutions démocratiques.

En tant que citoyen des États-Unis, permettez-moi d’être le premier à admettre que nous, Nord-Américains, n’avons pas toujours compris l’importance de cette mission commune tout comme, dans vos pays, certains n’ont pas mesuré l’urgence de libérer les peuples de la pauvreté et de l’ignorance.

De toute l’Amérique latine, continent riche en ressources et en réalisations spirituelles et culturelles, montent des millions d’hommes et de femmes qui souffrent quotidiennement des dégradations de la pauvreté et de la faim…[…] Enfin, nous réaffirmons notre engagement à défendre toute nation américaine dont l’indépendance serait menacée. »

La logique dite transactionnelle, du deal, suivi par Donald Trump se place ainsi dans les pas de cette doctrine Monroe-Roosevelt, complété par Jackson.

Sans doute, on peut aussi considérer que Donald Trump se place dans le prolongement du messianisme volontiers libertarien de Ronald Reagan, et de la vocation des États-Unis à inspirer un Ordre mondial au sens moral.

Notons néanmoins que Donald Trump a une dimension plus pragmatique que franchement idéologique, ainsi, lorsqu’il a déclaré en mars 2025 devant le Congrès vouloir annexer le Groenland (cette déclaration faisant suite à une série d’allusions plus ou moins officielles depuis 2019).

« Et j’ai également un message ce soir pour le peuple extraordinaire du Groenland. Nous soutenons fermement votre droit à déterminer vous-mêmes votre avenir et, si tel est votre choix, nous vous accueillerons au sein des États-Unis d’Amérique.

Nous avons besoin du Groenland pour notre sécurité nationale et même pour la sécurité internationale, et nous travaillons avec toutes les parties concernées pour tenter de parvenir à cet objectif. Mais nous en avons réellement besoin, pour la sécurité mondiale internationale. Et je pense que nous allons l’obtenir. D’une manière ou d’une autre, nous allons l’obtenir.

Nous vous protégerons. Nous vous rendrons prospères. Et ensemble, nous porterons le Groenland à des sommets que vous n’auriez jamais cru possibles auparavant. C’est une population très réduite, mais un territoire immense, et extrêmement important pour la sécurité militaire. »

Cette déclaration devant le Congrès est plus offensive que les déclarations « tests » précédentes, et montre la détermination de l’administration Trump de réaliser une expansion dans cette direction, sans que cet objectif ne soit une priorité pressante.

L’idée de cette annexion a des précédents historiques comme on l’a vu, y compris impliquant l’achat de territoires occupés par le Danemark d’ailleurs. Ici, Donald Trump tente en quelque sorte un coup comme James Polk, la colonisation en moins, avec la méthode de Roosevelt en matière d’incorporation éventuelle.

L’impérialisme américain se traduit déjà par un renforcement de la présence diplomatique et militaire : réouverture d’un Consulat à Nuuk, la capitale du Groenland, agrandissement de la base de l’armée de l’air et de l’espace de Pituffik.

Mais on a là aussi une évolution du style de l’impérialisme américain avec Donald Trump. Ce dernier produit peu de discours doctrinaires, prétendant donner une vision du monde, il préfère s’adresser directement aux médias de masse par des petites phrases allusives « testant » les réactions et comptant d’ailleurs sur l’effet d’écho et le relais de la rumeur par les réseaux sociaux pour produire une pression à peu de frais.

Il ne prend pas ouvertement des positions devant les institutions américains, notamment devant le Congrès, mais privilégie la fluidité pragmatique tout azimut, qui reste néanmoins dans les pas de l’impérialisme américain et son narratif.

Ainsi, on a les déclarations de Trump concernant les élections de mi-mandat en Argentine, dans lesquelles il a affirmé nettement son soutien à Javier Milei, en rappelant frontalement la dépendance de l’Argentine à l’aide américaine, que Trump a conditionné au succès de Milei.

Voici ce que disait de manière à la fois lacunaire et portant très claire Donald Trump à la presse en octobre 2025 lors d’une rencontre à Washington avec le président argentin Javier Milei :

« Nous soutenons très fortement le président (Javier Milei). Nous pensons qu’il va gagner. Il doit gagner. Et s’il gagne, nous serons très utiles. Et s’il perd, nous n’allons pas perdre notre temps, parce que vous avez alors quelqu’un dont la philosophie n’a aucune chance de rendre sa grandeur à l’Argentine. »

C’est apparemment faible et indigent. Mais c’est là sous-estimer la profondeur de l’impérialisme américain.

Lorsque Théodore Roosevelt estime que le régime de Saint-Domingue n’est pas en mesure de faire face à ses dettes et risquerait de passer sous la coupe de créanciers européens, il prend sans ménagement le contrôle des douanes de ce pays et instaure un protectorat de facto sur ce pays pendant deux ans (1905-1907) pour le réaligner sur le capitalisme américain. C’est aussi simple que ça.

L’interventionnisme de Trump se veut plus distant et moins offensif, mais compte sur la puissance financière des États-Unis et sur le poids de ses monopoles pour aligner avec le minimum d’engagement possible l’Argentine et faire contrepoids à l’influence grandissante mais plus faible, de la Chine, tout en validant l’idéologie nationale-libertarienne de Milei sur le principe.

Mais il n’en fait pas ouvertement un élément de lutte idéologique relevant du messianisme américain.

En fait Donald Trump n’a pas besoin d’en faire des tonnes en terme de littérature ou de discours. Il peut même se permettre de s’amuser avec le style post-moderne de l’infotainment des réseaux sociaux pour sa communication.

Il se sait adossé à toute une doctrine relativement cohérente et ayant une direction franche depuis les débuts même des ÉtatsUnis d’Amérique. Il compte sur le fait que tout le monde sait « de quoi est capable l’Amérique », et qu’il vaut mieux ne pas avoir à jouer avec cela.

Ses outrances ringardisent d’ailleurs ses adversaires de la bourgeoisie libérale et font passer l’impérialisme américain pour une chose à la fois terrifiante et amusante, comme une menace et une promesse, une gifle et un élan qu’on aurait tort de sous-estimer ou de mal en analyser la portée et le danger.

C’est là une mise en scène du « Big Stick » de Roosevelt, adossé à toute l’histoire de l’impérialisme américain qui capitalise odieusement en fin de compte sur celle-ci pour engranger des avantages dans la bataille pour le repartage du monde.

Le « corollaire Trump » ne tombe pas du ciel : il porte la guerre.

La doctrine Trump est ainsi la pointe la plus agressive du capitalisme de notre époque, imposant la guerre mondiale impérialiste pour le repartage du monde, à quoi nous devons opposer la guerre populaire mondiale, en refusant toute soumission à la superpuissance impérialiste américaine, ainsi qu’à son challenger chinois.


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