Les chasseurs cueilleurs, de par les difficultés de leur mode de vie, souffraient d’hallucinations. Un facteur immédiatement à prendre en compte, c’est l’absence de sommeil, les phases de micro-sommeil amenant une confusion entre le réel et le rêve, dans une tension extrême puisqu’il faut être sur le qui-vive tout en cherchant à se reposer.

Un autre facteur est la question de la luminosité. Durant la saison hivernale, les êtres humains devaient vivre dans l’isolement, par exemple dans des grottes ou des lieux en tout cas surtout hermétiques. Or, l’absence prolongée de luminosité provoque des hallucinations.

Ces deux aspects relèvent de la grande précarité de la vie quotidienne, et pour cela qu’il faut prendre en compte également le stress post-traumatique. Les événements brutaux ou terrifiants devaient immanquablement se produire, à une époque où d’ailleurs le cannibalisme était répandu. Les attaques de la part d’animaux ou de la part d’autres êtres humains provoquaient immanquablement des troubles majeurs dans les psychologies.

Cela est vrai de manière inversée. L’anxiété perpétuelle et les crises d’angoisses devaient se conjuguer en raison de ce qui pouvait arriver, tout en sachant que cela n’arrivait pas forcément, tout en pouvant se produire à n’importe quel moment. Cela forme une psychologie fragile, prête à être emportée, à basculer dans l’halluciné.

Femmes yanomamies au Venezuela (wikipedia) ; les Yanomamis sont très tournés vers la guerre inter-tribale, avec le viol collectif et l’enlèvement de femmes, ainsi que l’utilisation de violences physiques contre les femmes en général au sein de la tribu

Femmes yanomamies au Venezuela (wikipedia) ; les Yanomamis sont très tournés vers la guerre inter-tribale, avec le viol collectif et l’enlèvement de femmes, ainsi que l’utilisation de violences physiques contre les femmes en général au sein de la tribu

Sur le plan de l’alimentation, le grand souci est l’absence de sucres. On parle de neuroglucopénie. Le corps est affaibli, le cerveau ne peut plus bien fonctionner, il se produit des sensations de vertige, des troubles du comportement avec un équivalent de l’ébriété, des troubles neurologiques et moteurs, etc.

Même si au fur et à mesure l’humanité a appris à stocker les sucres, pour une longue période historique les êtres humains devaient se retrouver sans sucre pendant des semaines, voire des mois.

Un autre aspect alimentaire est l’empoisonnement, avec la consommation de plantes comme la belladone, la jusquiame, le datura ou la mandragore, qui agissent comme des drogues hallucinogènes. Une telle expérience devait marquer profondément les chasseurs cueilleurs, qui devaient avoir l’impression de découvrir un monde parallèle, l’au-delà.

Les fièvres puissantes devaient pareillement marquer l’humanité.

Hutte hadza en Tanzanie, début du 21e siècle (wikipedia)

Hutte hadza en Tanzanie, début du 21e siècle (wikipedia)

Dans tous les cas d’ailleurs, les êtres humains n’avaient alors pas les moyens de comprendre les hallucinations vécues ; ils devaient ressentir de la terreur et en même temps un sentiment de « fusion » avec ce qu’ils interprétaient comme l’au-delà.

Là est un aspect essentiel. En effet, il est inévitable que l’humanité valorisait ces hallucinations. D’elles viennent l’opposition entre le bien et le mal. Le « bad trip » c’est le mal, le diable qui intervient, le passage dans le monde inférieur ; l’euphorie correspond au divin, à l’aspect positif, au passage dans le monde supérieur.

Il y a ici une confusion entre l’aspect dialectique de toute chose et le « bien » opposé au « mal » comme conception issue d’un vécu « spirituel » emportant entièrement l’être humain le vivant de manière absolue, étant incapable tant d’avoir un recul sur son expérience que de se comporter autrement que comme halluciné.

Le culte des drogues comme « élargissement » de l’esprit qu’on trouve jusqu’au début du 21e siècle n’est pas un simple produit d’une bourgeoisie parasitaire cultivant l’oisiveté et l’idéalisme à prétention mystique ; c’est aussi un reste historique du long parcours de l’humanité où les êtres humains découvrent les nuances, les différences entre eux, élaborent des personnalités.

Un chamane pygmée avec Kazimierz Nowak, qui parcourut toute l’Afrique au début du 20e siècle

Un chamane pygmée avec Kazimierz Nowak, qui parcourut toute l’Afrique au début du 20e siècle

Tant que l’humanité n’a pas atteint une dimension matérialiste dialectique au niveau de sa vision du monde, elle s’appuie sur une psychologie fragile sur certains aspects et une partie qui décroche cède aux « raccourcis » que forment les drogues pour obtenir une vie « intense », une vie purement « personnelle ».

Cette recherche d’intensité n’existait pas dans une société matriarcale ne laissant pas de place à l’individualisation, au développement des personnalités. Les chasseurs-cueilleurs vivant dans un cadre restreint, de type matriarcal, ne disposaient pas d’un mode de vie suffisamment élaboré pour que l’exténuation physique puisse s’exprimer de manière individuelle, tout comme d’ailleurs rien d’individuel ne pouvait s’exprimer au sens strict.

Par contre, la lente maturation des personnalités – déformée par un culte de l’individu – ne pouvait que produire le fétiche d’une « expérience » à prétention « absolue ».


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