Quand on pense au capitalisme, on pense à l’individualisme qui va avec. On se dit même que c’est ce qui caractérise le mieux le capitalisme et, d’ailleurs, la religion protestante et son culte de l’individu n’est-elle pas justement l’expression la plus nette du capitalisme lorsqu’il s’est développé ?
Voir les choses ainsi n’est pas dialectique et quand on regarde les faits, on voit bien que cela n’est pas le cas, qu’il manque un aspect essentiel : la coopération.
C’est là tout le paradoxe : le capitalisme produit effectivement des individus s’imaginant séparés, isolés les uns des autres, et pourtant en réalité il amène une coopération, d’ailleurs toujours plus grande.
Ce qu’on appelle « mondialisation » est justement la conséquence d’une coopération toujours plus grande des capitalistes à l’échelle du monde, alors que dans la production elle-même les travailleurs coopèrent toujours plus eux-mêmes.
Le capitalisme pose la nécessité du travailleur isolé, mais pour mieux l’arracher à son isolement en tant que paysan ou artisan et le jeter dans une production où coopèrent des travailleurs en masse.
C’est là même le mode fondamental du capitalisme : utiliser les capacités d’un individu et le faire agir avec un autre, pour avancer plus, mieux, de manières quantitativement et qualitativement meilleures.
Karl Marx, dans Le Capital, nous formule cela de la manière suivante :
« Le mode fondamental de la production capitaliste, c’est la coopération dont la forme rudimentaire, tout en contenant le germe de formes plus complexes, ne reparaît pas seulement dans celles-ci comme un de leurs éléments, mais se maintient aussi à côté d’elles comme mode particulier. »
La féodalité ne connaissait pas cette coopération ; il a fallu le capitalisme, capable d’assembler de nombreux travailleurs, pour briser les anciennes formes sociales, arracher les individus à leur isolement, alors qu’ils ne connaissaient le plus souvent, en tant que paysans, que quelques kilomètres carrés de toute leur vie, par ailleurs courte.
Le capitalisme brise les traditions et les normes anciennes, pour exiger le regroupement, la collectivité… des individus isolés en tant que travailleurs vendant leur force de travail.
Le communisme brise justement cet isolement qui n’a comme source que la propriété privée des moyens de production. Le communisme actualise ce qui est déjà dans le capitalisme : l’unification des masses.
C’est pour cela que le romantisme, notamment fasciste, assimile communisme et capitalisme, au nom de l’individu séparé, artisan autonome, vivant prétendument sans avoir besoin de la société, de sa culture, etc.
Pour le romantisme, l’unification est toujours un souci, car un pas en avant dans l’unification apparaît comme une « soumission » pour l’individu se voulant radicalement différent, unique, n’ayant rien à voir avec les autres, etc.
En réalité, l’individu « différent » est ici absolument semblable aux autres, de par l’incapacité qu’il y a à développer ses facultés personnelles dans le capitalisme.
Ce n’est qu’en s’insérant totalement dans la communauté qu’on peut justement se réaliser pleinement individuellement. La coopération permise par le capitalisme permet à l’individu de ne pas se chercher individuellement, de manière isolée, avec des moyens faibles, sans accès à la culture, mais bien en puisant dans les moyens gigantesques fournis par la société toute entière.
La réalisation individuelle est une production, non pas une « création » à partir de rien ; le fait qu’il faut une base matérielle pour se développer montre bien que la coopération est nécessaire, base élémentaire pour sortir d’une situation primitive, de survie.
La coopération n’est, à ce titre, nullement socialiste : elle existe dans le capitalisme lui-même. Le socialisme part de cette coopération pour, justement, dépasser la concentration des forces et aboutir à la centralisation de celle-ci, avec des choix rationnels servant le développement de l’Humanité, de son rapport harmonieux à la nature.
Le capitalisme aura alors servi historiquement à faire se rencontrer les individus isolés, séparés, à les jeter dans une production commune, élevant les forces productives, leur permettant par la suite d’exister en commun comme Humanité, dépassant les tribalismes, régionalismes, nationalismes.