Il est courant de présenter le judaïsme comme un monothéisme pur, avec une grande insistance sur l’unité divine, ou plus exactement l’unicité divine. Dieu est une entité omnipotente, omniprésente, omnisciente, tellement lointaine et respectable que même son nom est mystérieux – YHWH (soit les lettres hébraïques yod/he/waw/he).

Le véritable fondement du judaïsme est d’ailleurs le « Shema » : « Shema, Israël, Adonaï Elohénou, Adonaï Erad », soit « Écoute, Israël ! Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est Un », formule qu’on retrouve dans la prière du matin et celle du soir.

Tout cela est une belle narration, sauf qu’il existe un souci fondamental. Le terme YHWH revient 1419 fois dans la Torah, consistant en les textes dénommés la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome.

Or, le terme « Elohim » revient quant à lui 2500 fois, surtout pour pareillement désigner le Dieu du judaïsme. Et ce terme signifie… « les dieux », les « entités divines ».

Synagogue portugaise à Amsterdam

Synagogue portugaise à Amsterdam

Il y a un tour de passe-passe dans la Bible juive, qui fait en sorte d’utiliser le plus souvent au singulier le verbe et les adjectifs allant avec ce terme pourtant au pluriel de « Élohim ». Il n’en reste pas moins que ce terme désigne différents dieux, et que parfois même le verbe sont au pluriel, ou encore parfois ce qui relève de ce terme.

C’est au moins, au minimum, un reste du passé. Si l’on regarde les principes de l’animisme cosmique, on voit très bien comment on a d’un côté les dieux, désignés ici par Élohim, de l’autre l’univers-dieu à l’arrière-plan, la source de l’énergie vitale, appelée ici YHWH.

Ce qui caractérise le judaïsme, c’est l’assimilation des dieux à l’univers-dieu à l’arrière-plan. Les mésopotamiens, les Indiens, les Chinois, les amérindiens et les mésoaméricains… ont maintenu la séparation entre les dieux et l’univers, pas les Juifs.

Encore est-il que ce processus a été long, tourmenté et nullement complet.

Ainsi, on lit dans la Genèse : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». Le terme pour « Dieu » est Élohim, soit « les dieux ». Le verbe dire est par contre au singulier. Cependant, la citation indique clairement un pluriel. Il y a très clairement ici une sorte de fusion-assimilation.

Menorah de la synagogue de Naples, 19e siècle

Menorah de la synagogue de Naples, 19e siècle

Encore dans la Genèse, il y a ce passage très connu : « L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. » Le terme originel pour « l’Éternel Dieu », par ailleurs un pléonasme, est en fait les Élohim.

Cela change bien entendu le sens du propos puisqu’il est dit sans ambiguïté : « comme l’un de nous ». La phrase réelle, c’est « Les Élohim dit [sic] : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous ».

Abraham dit par exemple encore dans la Genèse que « Et il arriva lorsque Dieu me fit errer loin de la maison de mon père… ». Non seulement le terme pour « Dieu » est Élohim, mais en plus le verbe est au pluriel. On doit donc lire : « Et il arriva lorsque les dieux me firent errer loin de la maison de mon père… ».

Pour la petite histoire, ce terme d’Élohim qu’on retrouve tout au long de la Genèse est prétexte à une importante littérature faisant de ceux-ci des extra-terrestres « constructeurs ».

La figure majeure de ce mouvement, assez vite délirant et poreux à l’irrationalisme d’extrême-droite, est le Suisse Erich von Däniken, qui a eu un grand succès avec ses livres au début des années 1970.

Il faut également mentionner Zecharia Sitchin, qui a fait carrière aux États-Unis mais qui vient d’URSS, un pays qui lors de sa période social-impérialiste était par ailleurs frayant d’irrationalisme « psychique » ou extra-terrestres. Il y a également l’Italien, Mauro Biglino, spécialiste de l’hébreu ayant même travaillé en ce domaine pour le Vatican.

Enfin, il y a le mouvement « raélien », de type sectaire-folklorique, qui défend ce même point de vue selon lequel les « Élohim » sont des « anciens astronautes » extra-terrestres ayant fabriqué l’humanité.

Telle est la solution irrationnelle à la contradiction entre YHWH et Élohim, qui s’explique tout à fait bien lorsqu’on a compris au moyen du matérialisme dialectique ce qu’est l’animisme cosmique.

La religion juive ne peut évidemment choisir ni l’une, ni l’autre option pour expliquer le problème, aussi se sort-elle de telles incohérences par des pirouettes interprétatives ou bien la réduction de Elohim à un mot support de plusieurs autres termes, comme les anges.

Cela ferait que le même terme désignerait parfois Dieu, parfois les Anges, parfois même des rois. C’est ce que dit une figure majeure du judaïsme, Maïmonide : le Nom Élohim est homonyme, s’appliquant à dieu, aux anges et aux gouvernants régissant les états ».

Or, c’est totalement incohérent par rapport au souci ou au prétendu souci d’unicité divine du judaïsme, au point même de ne pas vouloir prononcer YHVW.

Dieu pourrait dans cette logique être désigné par un même terme que pour les faux dieux, comme ici dans l’Exode :

« Et Jéthro dit : Béni soit l’Éternel, qui vous a délivrés de la main des Égyptiens et de la main de Pharaon; qui a délivré le peuple de la main des Égyptiens!

Je reconnais maintenant que l’Éternel est plus grand que tous les dieux [Élohim] ; car la méchanceté des Égyptiens est retombée sur eux. »

Tout cela ne tient pas debout. La seule explication possible, c’est que YHWH consiste en l’univers-dieu de l’animisme cosmique, et il n’y a jamais justement de définition de cette force vitale cosmique dans aucun animisme cosmique. D’où le caractère imprononçable, indéfinissable de YHWH.

Elohim désigne les dieux, ceux de l’animisme cosmique qui ont été « fusionnés » entre eux et assimilés à l’univers-dieu.


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