urss_socialiste-5_1.jpgLa figure la plus importante du courant refusant de considérer la NEP comme un « sas » au socialisme fut Trotsky. Et il fut par ailleurs par la suite parlé de trotskysme pour désigner les différentes variantes de « l’opposition » au sens du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

A la différence de Staline, qui lui était un vieux bolchevik compagnon de Lénine et familier des conceptions de celui-ci, Trotsky était un penseur totalement indépendant par rapport au léninisme, auquel il s’est par ailleurs opposé durant toute la période avant 1917.

Son point de vue est différent de celui de Lénine, fondamentalement, dans la mesure où Lénine voit des étapes dans le processus, là où Trotsky considère qu’il n’y a pas de ruptures dans ce qu’il appelle la « révolution permanente ».

Pour cette raison, aux yeux de Trotsky, l’échec de la révolution mondiale aboutit forcément à une dégénérescence de la situation en Russie, qui n’a pas les ressources pour assumer seule le socialisme.

Il reconnaît que la révolution d’octobre 1917 était juste, et c’est pour cela qu’il a rejoint Lénine. Mais il n’adopte pas le style « dirigiste » du léninisme, qui lui est étranger, lui qui a toujours fait partie du menchevisme, le courant non centralisateur de la social-démocratie russe.

Par conséquent, Trotsky ne croit pas que le capitalisme d’Etat puisse permettre à la formation d’une avant-garde authentique, car il ne place pas l’idéologie au poste de commandement, mais en quelque sorte ce que les trotskystes appelleront par la suite la « démocratie ouvrière ».

Pour Trotsky, en l’absence de révolution mondiale, il ne peut pas y avoir de « révolution permanente » et par conséquent, les cadres communistes ne peuvent que s’embourgeoiser, alors que les plus jeunes ne connaissent pas de périodes révolutionnaires leur permettant de se former.

Le bureaucratisme ne peut que triompher, la paysannerie formant par ailleurs la majorité de la population et ne voulant pas du socialisme. La révolution connaît alors inévitablement, dans la perspective de Trotsky, un coup d’arrêt et une série de reculs.

Trotsky développera très tôt son approche ; dès le milieu des années 1920 sa conception est totalement développée, même si par la suite il l’approfondira dans différents ouvrages. De fait, dans « Thèses sur la révolution et la contre-révolution », un document de 1926, on retrouve exposée toute sa conception.

Voici ce qu’il dit :

« Dans l’Histoire, les révolutions ont toujours été suivies de contre-révolutions. Les contre-révolutions rejettent toujours la société en arrière, mais jamais au point de départ de la révolution. La succession de révolutions et de contre-révolutions est le produit de caractéristiques fondamentales de la mécanique de la société de classes, seule société ou révolutions et contre-révolutions soient possibles (…).

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La paysannerie est une classe précapitaliste (état social). Sous le capitalisme, elle s’est transformée en classe de producteurs de biens à petite échelle, en petite-bourgeoisie agraire. Le communisme de guerre a étroitement comprimé les tendances petites-bourgeoises de l’économie paysanne. La NEP a revitalisé ces tendances petites-bourgeoises contradictoires au sein de la paysannerie, avec pour conséquence la possibilité d’une restauration capitaliste.

La relation entre prix industriels et agricoles (les ciseaux) devrait s’avérer le facteur décisif dans la question de l’attitude des paysans vis-à-vis du capitalisme ou du socialisme. L’exportation de produits agricoles rend les « ciseaux » intérieurs sensibles à la pression du marché mondial.

Les paysans, ayant reconstitué leur économie comme celle de producteurs privés qui achètent et vendent, ont inévitablement recréé les conditions d’une restauration capitaliste. La base économique de ceci est l’intérêt matériel du paysan pour un prix élevé du blé et des prix bas pour les produits industriels (…).

Il serait erroné d’ignorer le fait que le prolétariat d’aujourd’hui (1926) est considérablement moins réceptif aux perspectives révolutionnaires et aux larges généralisations qu’il ne l’était pendant la révolution d’octobre et dans les quelques années suivantes. Le parti révolutionnaire ne peut pas passivement s’adapter à chaque variation dans l’état d’esprit des masses. Mais il ne peut ignorer non plus des changements produits par des causes historiques profondes.

La révolution d’octobre, à un degré plus élevé que tout autre dans l’histoire, a suscité les plus grands espoirs et passions parmi les masses populaires, tout d’abord les masses prolétariennes.

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Après les immenses souffrances de 1917-21, les masses prolétariennes ont considérablement amélioré leur sort. Ils tiennent à cette amélioration, pleins d’espoir quant au développement ultérieur.

Mais en même temps leur expérience leur a montré la lenteur extrême de cette amélioration, qui a seulement abouti maintenant à la restauration du niveau de vie d’avant-guerre. Cette expérience est d’importance incalculable pour les masses, particulièrement la génération ancienne.

Elles se sont développées de façon plus prudente, plus sceptique, moins directement sensible aux mots d’ordre révolutionnaires, moins réceptive, aux grandes généralisations. Cet état d’esprit, qui est apparu au grand jour après les épreuves de la guerre civile et les succès de la reconstruction économique, n’a pas été encore défait par de nouveaux mouvements des forces de classe – cet état d’esprit constitue l’arrière-plan politique de la vie de parti. C’est sur lui que le bureaucratisme – comme élément de « loi et d’ordre », de « tranquillité » – s’appuie. La tentative de l’opposition de poser de nouvelles questions devant le parti s’est justement heurtée à cet état d’esprit.

La vieille génération de la classe ouvrière, celle qui a fait deux révolutions, ou au moins la dernière, commençant par 1917, est maintenant nerveuse, épuisée, et, dans une large mesure, craint toute convulsion liée à la perspective de la guerre, du désordre, de la famine, des épidémies, et ainsi de suite.

Tout un tapage est fait à propos de la théorie de la révolution permanente précisément afin d’exploiter la psychologie d’une fraction considérable des ouvriers, qui ne sont pas du tout des carriéristes, mais qui ont pris du poids, fondé une famille.

La version de la théorie qui est utilisée n’est naturellement pas liée aux vieux conflits, depuis longtemps relégués aux archives, mais cela soulève simplement le phantasme de nouvelles convulsions – « invasions héroïques », violations de « la loi et l’ordre », menace des réalisations de la période de reconstruction, d’une nouvelle période de grands efforts et de sacrifices.

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La fabrication d’un procès à propos de la révolution permanente est, essentiellement, une spéculation sur l’état d’esprit de la fraction de la classe ouvrière, y compris des membres du parti, qui est devenue suffisante, a pris du poids, et est devenue semi-conservatrice.

La jeune génération, celle arrivant maintenant à la maturité, manque d’expérience de la lutte de classe et de la trempe révolutionnaire nécessaire. Elle n’examine pas les questions en soi, ainsi que la génération précédente, mais tombe immédiatement dans l’environnement d’un parti et d’institutions gouvernementales puissantes, de l’autorité, de la discipline, etc… Pour l’instant ceci rend plus difficile que la jeune génération ait un rôle indépendant. La question de l’orientation correcte de la jeune génération du parti et de la classe ouvrière en acquiert une importance colossale.

En parallèle avec les processus indiqués ci-dessus, il y a eu une croissance extrême du rôle joué dans le parti et l’appareil d’Etat par une catégorie spéciale des vieux bolchéviks, membres ou militants actifs du parti durant la période de 1905 ; durant la période de la réaction ils ont quitté le parti, se sont adaptés au régime bourgeois, et occupé une position plus ou moins importante ; ils étaient défensistes, comme toute l’intelligentsia bourgeoise, et, comme celle-ci, ont été propulsés en avant lors de la révolution de février (ce dont ils ne rêvaient même pas au début de la guerre) ; ils étaient des adversaires résolus du programme léniniste et de la révolution d’octobre ; mais ils sont retournés au parti après que la victoire ait été acquise ou après la stabilisation du nouveau régime, au moment où l’intelligentsia bourgeoise a arrêté son sabotage.

Ces éléments… sont, naturellement, des éléments du type conservateur. Ils sont généralement en faveur de la stabilisation, et généralement contre toute opposition. L’éducation de la jeunesse du parti est en grande partie dans entre leurs mains.

Telle est la combinaison des circonstances qui dans la période récente du développement du parti a déterminé le changement de la direction du parti et le tournant de sa politique vers la droite.

L’adoption officielle de la théorie de « Socialisme dans un seul pays » est la sanction théorique des tournants qui ont déjà eu lieu, et la première rupture ouverte avec la tradition marxiste.

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Les éléments militant pour la restauration bourgeoise résident dans : a) la situation de la paysannerie, qui ne veut pas le retour des propriétaires mais n’est pas intéressées matériellement au socialisme (d’où l’importance de nos liens politiques avec les paysans pauvres) ; b) l’état d’esprit de couches considérables de la classe ouvrière, l’abaissement de l’énergie révolutionnaire, la fatigue de la génération plus ancienne, la croissance du poids spécifique des éléments conservateurs.

Les éléments militant contre la restauration sont les suivants : a) la crainte de la part du moujik que le propriétaire ne revienne avec le capitaliste, juste comme il est parti avec le capitaliste ; b) le fait que le pouvoir et les moyens de production les plus importants demeurent actuellement dans les mains de l’Etat ouvrier, bien qu’avec des déformations extrêmes ; c) le fait que la direction de l’Etat demeure actuellement dans les mains du parti communiste, bien qu’il s’y réfracte le mouvement moléculaire des forces de classe et les changements d’état d’esprit politique.

De ce qui a été dit s’ensuit que ce serait une déformation brutale de la réalité de parler de Thermidor comme d’un fait accompli. Les choses n’ont pas été plus loin qu’au niveau de quelques répétitions dans le parti et à la pose de quelques fondations théoriques. L’appareil matériel du pouvoir ne s’est pas rendu à une autre classe.»

Ce point de vue fut bien entendu considéré par Staline et la majorité du Parti bolchevik comme une capitulation devant le passage de la NEP au socialisme. Le conflit entre la majorité du Parti et « l’opposition » devenait inévitable.


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