Il existe une contradiction entre l’affirmation de la Constitution et la nécessité de la répression à l’égard de la contre-révolution.
Le régime soviétique a toujours dû faire face à d’intenses activités contre-révolutionnaires, allant de la propagande au terrorisme. Pour cela, il a organisé une structure, qui a changé de nom historiquement.
Il y a ainsi au départ la Tchéka (Commission extraordinaire), de 1917 à 1922, puis le GPU (Direction Politique d’État) jusqu’en 1934, date à laquelle il cède la place au NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).
Fut fondé ensuite le NKGB (Commissariat du peuple à la sécurité gouvernementale), subordonné au NKVD, le tout devenant le MGB (Ministère à la sécurité gouvernementale) de 1946 à 1954.
Ces services de répression utilisaient des camps de travail pour déporter les éléments de la contre-révolution. Ceux-ci étaient placés en périphérie du pays, qui connaît parfois des conditions naturelles extrêmement rudes. C’est de là que vient l’image largement utilisée par la bourgeoisie du « goulag sibérien ».
Les archives d’URSS montrent que de 1934 à 1947, il y eu en tout environ 10 millions de personnes (soit 5 % de la population) d’emprisonnées, avec 40 000 personnes mortes par an. Le chiffre est similaire pour la période 1945-1953.
De 1934 à 1953, entre 20 et 40 % des prisonniers sociaux quittaient les camps de travail pour être réintégrés dans la société. L’amnistie pour les prisonniers sociaux était promulguée lors de célébrations : en l’honneur de la naissance de l’URSS en 1923, pour commémorer les 5 et 10 ans de la révolution russe en 1922 et en 1927, pour le 20e anniversaire de l’armée rouge en 1938, pendant la seconde guerre mondiale impérialiste afin de rejoindre l’armée rouge (577 000 personnes), à la victoire de 1945 (où 600 000 personnes furent libérées).
En pratique, c’est par vague que les camps de travail se remplissent, en fonction des campagnes de répression, avec les personnes arrêtées devant être rééduquées par le travail. L’une des plus importantes, malgré l’exécution de centaines de milliers de contre-révolutionnaires, date du milieu des années 1930.
Au début des années 1930, en effet, le trotskysme était passé au terrorisme, il était devenu l’idéologie mise en avant par tous les éléments contre-révolutionnaires, dans toutes leurs tentatives.
L’événement le plus brutal fut l’assassinat, le 1er décembre 1931, de Sergueï Kirov. Né en 1884, membre du Parti bolchevik dès 1904, il joua un rôle significatif durant la guerre civile, rejoignit le Comité Central en 1923 et devint responsable du Parti pour la ville de Léningrad à partir de 1925.
Ayant rejoint le Bureau Politique en 1930, il devint une figure extrêmement populaire et était alors le véritable second de Staline. Son meurtre était l’expression politique la plus avancée de la contre-révolution, visant le cœur de l’État soviétique.
La contre-révolution s’appuyait alors sur deux « centres », composés à la fois de contre-révolutionnaires et de renégats aux positions erratiques, tiraillés entre l’acceptation du régime et une ligne « ultra ».
Le premier « centre » agissait à Léningrad, autour d’anciens membre de « l’opposition » liée à Zinoviev, le second se situait à Moscou, lié à Zinoviev mais également à Kamenev. La situation était tendue, et extrême : quelqu’un comme Guenrikh Liouchkov, qui fut un très important membre des services de sécurité, devint trotskyste et rejoignit l’armée japonaise, lui fournissant nombre d’informations sur la défense de l’armée rouge en Extrême-Orient et en Ukraine.
Le Parti bolchévik dut réagir vite et fermement, pour ne pas se faire déborder par la contre-révolution. A la suite de l’assassinat de Sergueï Kirov, le Comité Central explique :
« Il faut en finir avec la placidité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces grandissent, l’ennemi doit s’apprivoiser et devenir plus inoffensif.
Cette supposition est radicalement fausse.
C’est là un relent de la déviation de droite, qui assurait tout un chacun que les ennemis s’intégreraient tout doucement dans le socialisme, qu’ils finiraient par devenir de vrais socialistes. Il n’appartient pas aux bolcheviks de se reposer sur leurs lauriers et de bayer aux corneilles.
Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la placidité, mais la vigilance, la vraie vigilance révolutionnaire bolchevique. Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée, plus ils se raccrocheront aux « moyens extrêmes » comme étant l’unique recours de gens voués à la perte dans leur lutte contre le pouvoir des Soviets. Il convient de ne jamais oublier cela et d’être vigilant (…).
Il faut porter au niveau requis l’enseignement de l’histoire du Parti aux membres du Parti ; l’étude de toutes les espèces de groupements hostiles au Parti qui ont existé au cours de son histoire, l’étude de leurs procédés de lutte contre la ligne du Parti, l’étude de leur tactique et, à plus forte raison, celle de la tactique et des procédés de lutte de notre Parti contre les groupements qui lui étaient hostiles, l’étude de la tactique et des moyens qui ont permis à notre Parti de vaincre, de battre à plate couture tous ces groupements.
Il faut que les membres du Parti sachent non seulement comment le Parti a combattu et vaincu les cadets, les socialistes-révolutionnaires, les menchéviks, les anarchistes, mais aussi comment il a combattu et vaincu les trotskistes, les tenants du « centralisme démocratique », l’ « opposition ouvrière », les zinoviévistes, les fauteurs des déviations de droite, les avortons droitiers-gauchistes, etc.
Il ne faut pas oublier que la connaissance et la compréhension de l’histoire de notre Parti constituent un moyen important entre tous, indispensable, pour assurer pleinement la vigilance révolutionnaire des membres du Parti. »
Les procès des centres, en 1936, 1937 et 1938 eurent un retentissement mondial. L’opinion publique fut largement frappée des aveux des responsables de ces centres – une chose tout à fait compréhensible de par leur situation ambivalente par rapport au Parti bolchevik, ces personnes étant littéralement coincés entre l’ancien et le nouveau.
Pour la presse bourgeoise et ses historiens, ces aveux ne pouvaient avoir été qu’extorqués et montés de toutes pièces. A cela s’ajoute l’incapacité de la bourgeoisie à comprendre qu’une personne « subjectivement » révolutionnaire peut, de manière objective, servir la contre-révolution.
Pourtant, des observateurs internationaux furent présents aux procès, et il n’y eut pas de coups d’éclat. Les aveux n’étaient que le fruit d’une simple vérité : on ne peut pas avoir raison contre le Parti.
L’une des erreurs de ces procès fut cependant de ne pas avoir compris précisément quand l’activité révolutionnaire de ces renégats se termina, et quand les choses se retournèrent en leur contraire. Au lieu de cela, le manque de compréhension du matérialisme dialectique à l’époque fit qu’on a considéré que les traîtres avaient toujours été des traîtres.
Cependant, les procès montrèrent clairement la nature du trotskysme, devenu le drapeau de ceux qui entendaient liquider physiquement la direction du Parti bolchevik, former des cellules clandestines notamment dans l’armée et profiter d’une guerre pour renverser le régime. Staline devait même être tué en plein congrès, du Parti bolchévik ou de l’Internationale Communiste, afin de former une vague de mobilisation en la faveur du trotskysme.
La conception trotskyste reposait en fait sur la « déclaration Clémenceau » : Trotsky considérait dans ce texte du milieu des années 1920 (par ailleurs jamais traduit en français) que le régime soviétique ferait comme la France pendant la guerre de 1914-1918, en situation de presque défaite : elle appellerait son meilleur élément.
Trotsky pense que la même chose se déroulerait devant la guerre impérialiste rendue inévitable avec l’Allemagne devenue nazie. Parvenu au pouvoir, les trotskystes entendaient ouvrir le pays au capital étranger et abandonner la collectivisation des terres, afin de « renforcer » l’économie, pendant que le prolétariat serait organisé par une sorte de dictature pratiquement terroriste. Ils entendaient maintenir de bonnes relations avec leurs voisins au prix de concessions territoriales, principalement l’Ukraine.
Trotsky se voyait ainsi comme une sorte de Napoléon, qui « sauverait » les acquis de la révolution d’Octobre. Les différents dirigeants de « l’opposition » rassemblèrent des éléments autour d’eux, dans l’idée d’une « guérilla », puis du terrorisme.
Dans certains cas, comme celui de Karl Radek, ce sont ainsi les contacts qui l’ont amené à s’engager ; au procès de 1937 il déclara ainsi :
« Une direction, une somme de points de vue, est la somme des rapports humains, et on ne peut pas rompre avec une direction, sans rompre avec les gens avec qui on a lutté pour des objectifs hostiles au Parti ».
De fait, l’esprit de « factions » a abouti au terrorisme.