Le moment-clef qui fit qu’Otto Neurath fut réellement en mesure d’avancer et d’intéresser l’Union Soviétique alors en construction fut l’ouverture par celui-ci à Vienne d’un musée de la société et de l’économie, où il monta des équipes formant des pictogrammes, expliquant son point de vue de la manière suivante :

« Le présent exige de nous tous une saisie compréhensible des rapports sociaux. On ne peut plus se limiter aujourd’hui d’une éducation générale au moyen de la lecture, du comptage, de l’écriture et de quelques connaissances sur le terrain des sciences naturelles, de la littérature et de l’histoire.

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Il s’agit également d’expliciter les événements sociaux et de rendre saisissable leur devenir.

Évidemment, la pédagogie de ce terrain n’en est encore qu’à ses prémisses. Nous possédons par contre toute une série de musées, films, livres idéaux, par lesquels est transmise l’éducation des sciences naturelles.

Cela a comme effet entre autres que la population éduquée fournit un grand nombre d’ingénieurs, de médecins, de métallos, d’imprimeurs et d’électro-techniciens bien préparés dans l’armée de la production.

Le développement rasant inhabituel de la radio s’explique en partie par cela que dans les cercles les plus larges, il y a un sens pour la technique. Le 19e siècle a été appelé avec justesse un siècle de sciences naturelles, un siècle de technique.

Beaucoup pensent qu’émerge désormais le siècle du contrôle social, une époque où la formation du cœur et du sens de la vie sociale sera saisi de la manière la plus profonde.

Les bouleversements historiques de ces dernières années, la démocratisation de l’administration publique, l’élargissement des droits des ouvriers et employés dans les entreprises a conduit à ce que toujours davantage de gens réclament des explications sur les événements sociaux et économiques.

Il n’est pas facile de satisfaire ce souhait. Les résultats certains de la recherche sur ces terrains ne sont pas encore si étendus, et les liaisons à représenter sont encore formidablement emmêlés. En ce qui concerne les méthodes de la présentation, nous en sommes encore au début.

L’homme moderne est très gâté par le cinéma et les illustrations. Une grande partie de sa formation, il l’obtient de la manière la plus agréable, en partie durant ses pauses pour se reposer, par des impressions optiques.

Si l’on veut veut répandre de manière générale l’éducation des sciences sociales, alors on doit se servir d’un moyen similaire de présentation.

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L’affiche publicitaire moderne nous montre la voie !

Les événements des sciences naturelles se laissent dans une certaine mesure montrer de manière immédiate ! On peut capter le monde des étoiles à l’aide d’un système d’appareils photographiques, comme c’est arrivé à Iéna, et désormais montrer en une heure au visiteur le mouvement annuel des planètes en accéléré.

On peut construire des modèles du cœur humain et démontrer en détail le processus de pompage.

Mais comment montrer les processus au sein d’un corps social, les changements dans la stratification des classes, la circulation de l’argent et des marchandises, l’activité des banques, etc., les rapports entre revenu et tuberculose, entre natalité et mortalité?

Ici aussi des modèles sont possibles, des représentations graphiques.

Ils exigent cependant beaucoup plus de distance par rapport à la réalité, c’est-à-dire qu’ils imposent de plus grandes exigences à celui qui les conçoit et à l’observateur.

Former un bureau central pour l’instruction des sciences sociales et de l’économie en utilisant principalement les moyens optiques, les graphiques et les modèles est plus difficile que de créer un centre de formation technique ou médical, parce que dans ces dernières les erreurs peuvent moins s’y diffuser.

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Peut-être que le moment viendra où certaines conventions pour la présentation de la recherche en sciences sociales et en sciences économiques auront été mises en place, de sorte que l’on pourra « lire » des graphiques statistiques en général, tout comme on peut lire des livres avec notes de musique aujourd’hui.

Mais jusqu’à ce que cela soit réalisé, il faut appliquer des méthodes immédiatement compréhensibles sans une telle convention.

Cette tâche incombe aux musées sociaux qui émergent à l’époque actuelle de l’histoire. Ils ne sont pas destinés à montrer des bizarreries ou à rassembler des souvenirs.

Ce qui compte, ce n’est pas d’unir des objets avec des accents sentimentaux, mais de rassembler les représentations instructives, les modèles, et de les présenter de telle manière qu’ils soient un ensemble systématique, un vrai parcours d’enseignement pour quiconque, sans préparation, entend se confronter aux questions sociales ou économiques.

Entrent avant tout en considération les représentations graphiques, les graphiques, les modèles, les films, les photographies, ainsi que les illustrations, les conférences, les publications et tous les autres moyens appropriés.

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La nécessité de tels musées peut difficilement être niée aujourd’hui, ils sont une exigence de l’époque.

Les musées du passé étaient en premier lieu des cabinets de curiosité et de rareté, des collections de passionnés, de trésors ; la valeur et la rareté des pièces individuelles ont joué un rôle essentiel. Les princes, les riches, les municipalités et les monastères ont par la suite rendu ces collections non-systématiques accessibles en général aux visiteurs.

Il est compréhensible que les musées qui ont émergé de telles collections aient quelque chose de mort.

Le visiteur le sent comme relevant du « passé » ; timidement, il pousse des centaines de lances, d’épées, de casques, de drapeaux en lambeaux, de bustes, d’autographes qui, d’ordinaire disposés de manière décorative, parlent plus à l’esprit qu’à l’intellect, satisfont la curiosité visuelle et n’ont que peu d’effet agissant sur la volonté !

Le musée moderne veut être un musée d’enseignement, un parcours d’enseignement, qui fonctionne avec de dures ressources. Lorque les armes sont montrées dans un musée technique moderne, alors pour présenter le développement des armes! Mettre en place un musée moderne, c’est donc être un enseignant.

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Aux musées techniques modernes s’ajoutent les musées sociaux.

Alors qu’un musée technique recherche les plus hautes performances de l’esprit humain, un musée social et économique devrait montrer comment est procurée l’ensemble de la vie des masses populaires.

Dans la mesure où des aspects techniques sont touchés, il s’agit de montrer la diffusion d’une conquête technique, par exemple en montrant de combien de personnes elles sont utilisées, et non comment cela fonctionne.

Un musée technique montre des méthodes de construction, un musée social et économique montre combien il y a de maisons malsaines, combien de maisons saines.

Mais le Musée de la Société et de l’Économie montrera occasionnellement des objets techniques pour l’explicitation ; ainsi que des modèles architecturaux et des préparations anatomiques pour l’introduction à l’hygiène et leur signification sociale.

En général il sera conseillé de résoudre de façon centralisée les tâches assumées par le musée, car l’expérience a montré qu’il est beaucoup plus difficile de faire des représentations graphiques utiles à des fins d’éducation publique que cela ne paraîtrait à première vue.

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Même si l’on a surmonté les premières lacunes et erreurs que l’on peut trouver dans la plupart des représentations destinées à l’éducation populaire, il n’est pas toujours possible d’appliquer toujours avec succès les principes qui ont été acquis.

Car même si une représentation graphique des quantités statistiques et des rapports de grandeur n’est pas toujours imparfaite, elle n’en est pas moins pas forcément saisissante.

Il doit être pris en compte des moments où tant une formulation de type recette que ds moyens qu’applique un bon peintre d’affiches sont disponibles.

La mise à la disposition de forces appropriées pour la production de représentations picturales et plastiques vraiment utiles exige beaucoup de temps.

Outre le fait que les méthodes de représentation doivent être précisément examinées en fonction de leurs particularités intellectuelles, l’étendue, la couleur, la distribution dans l’espace, etc., doivent être modifiées encore et encore jusqu’à ce qu’un résultat soit obtenu, qui tout d’abord satisfait, pour être ensuite au bout de quelques temps, quand la pédagogie d’un tel musée est plus avancée, être amenée à être amélioré. »


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