En réaction au mouvement ouvrier, ainsi que dans le prolongement de l’irrédentisme et du nationalisme, le fascisme s’est développé en Italie avec un grand succès. Son symbole était un faisceau, un fascio, d’où le qualificatif de fasciste (qui se prononce ainsi initialement en français avec un son en « s » et non en « ch »).
Le faisceau avait été utilisé comme symbole révolutionnaire, surtout démocrate, dans l’Italie de la fin du XIXe siècle, notamment en Sicile ; composé de verges, c’est-à-dire de baguettes en bois, le faisceau représentait la force de l’unité, de par la solidité de l’ensemble par rapport à la fragilité d’une verge seule.
Le faisceau date également de l’Antiquité romaine, symbolisant le pouvoir de fouetter au moyen des verges, mais également de décapiter puisque une hache y était accrochée par des lanières.
Les magistrats romains l’utilisaient comme symbole, étant accompagnés d’un officier licteur le portant sur son épaule gauche et ouvrant la marche. A ce titre, il est également utilisé dans les armoiries de la République française actuelle (qui sont toutefois officieuses seulement, car non précisées dans la Constitution).
Les fascistes italiens, qui apparaissent alors, reprennent le symbole, car se présentant eux-mêmes à la fois comme « révolutionnaires » et comme des miliciens dans une sorte d’esprit romain antique.
L’esprit est combattant et le fascisme italien a une caractéristique essentiel : le squadrisme. Le terme vient de « squadra », signifiant l’équipe, l’escouade, et désigne des petites équipes paramilitaires menant des opérations coup de poing.
Il n’y a initialement pas tant un fascisme, que des fascistes, qui reprennent la tradition de la Première Guerre mondiale et de son esprit d’équipe menant des offensives sur le front, le tout bien entendu idéalisé en « refus de la vie commode », en camaraderie et en esprit chevaleresque au service de la Nation.
La nature des slogans fascistes est ici absolument expressive. Le grand classique du genre est Me ne frego, signifiant Je m’en fous. Le fasciste se veut un pirate des temps modernes, ayant une existence sociale reconnue mais en étant en même temps un non conformiste à l’esprit d’aventure : Boia chi molla dit le slogan, c’est-à-dire Qui abandonne doit crever.
Faire partie des chemises noires – l’uniforme donnant esprit de corps – va avec la logique du combat : le mot d’ordre Libro e moschetto, fascista perfetto – Livre et mousquet, fasciste parfait – reflète cet état d’esprit où le fasciste met sa vie en jeu dans une bataille qui donne un sens à sa vie, comme dans un duel avec un pistolet avec un coup, ce que retranscrit bien le slogan Chi si ferma è perduto – Qui hésite a perdu.
L’idéologie viriliste est outrancièrement présente bien entendu, des slogans comme La guerra è per l’uomo come la maternità è per la donna – La guerre est pour l’homme comme la maternité pour la femme – en témoignant. Tout était extrêmement hiérarchisé de manière anti-démocratique, avec à chaque fois des Ras locaux, petits seigneurs de la guerre, le terme venant de celui pour désigner des chefs éthiopiens.
D’ailleurs, pour renforcer cette dimension hiérarchique, le Ministère de la Guerre viendra même aider à renforcer leurs rangs fascistes en démobilisant 60 000 officiers en juillet 1920, maintenant leur solde à condition qu’ils rejoignent un Fascio di Combattimento.
La cible des fascistes est ce qui est anti-national, avec des expéditions punitives allant de faire forcer à boire de l’huile de ricin jusqu’au meurtre à coups de poignards ou de pistolets, en passant par les incendies et les bombes.
A partir de l’automne 1920, les fascistes ont attaqué toutes les structures de gauche, depuis les coopératives jusqu’aux chambres du travail, en passant par les syndicats agricoles et les groupements ouvriers.
Giacinto Serrati, alors président du Parti Socialiste italien, décrit ainsi la stupeur des socialistes en la fin d’année 1920 :
« C’est tout notre mouvement qui se voit défiguré par un déchaînement de violence qui n’a d’égal dans aucun autre pays. Giolitti n’a rien à voir là dedans. Ce vieux routinier parlementaire avait évoqué le diable fasciste pour gagner les élections, mais en est aujourd’hui lui même victime.
La réaction qui nous tourmente est telle qu’il est difficile de l’imaginer, car elle ne vient pas de l’État, elle ne part pas des pouvoirs publics, elle vient d’en bas (…). La bourgeoisie a eu tellement peur de nos aboiements qu’elle mord, elle, sans hésiter. »
Le financement venait du patronat, avec un petit salaire quotidien ; l’armée et la police prêtait main-forte en sécurisant les alentours. Les fascistes eux-mêmes avaient un mode opératoire très précis, débarquant en force dans des camions depuis des localités voisines, pratiquant le coup de force contre la gauche puis rassemblant les forces opposées à la gauche afin de faire bloc.
En 1920, il y a 108 faisceaux, 1600 en 1921 ; en quelques mois, les fascistes sont 80 000, puis pratiquement 200 000 et les affrontements font des dizaines de morts de manière régulière.
Les fascistes détruisent, par exemple, rien qu’en six mois, 83 ligues paysannes, 1090 centres culturels, 28 syndicats, 141 sections socialistes et communistes, 107 coopératives, 59 maisons du peuple, 119 chambres du travail, y compris celle de Turin.
L’assassinat en février 1921, de la figure communiste Spartaco Lavagnini, secrétaire du Syndicat ferroviaire de Florence, fut un très rude coup contre le mouvement ouvrier.
Il y a cependant plus que cela encore : le fascisme a comme base mobilisatrice le syndicalisme révolutionnaire qui s’est tourné vers le nationalisme. Il porte un économisme idéalisé au moyen de la Nation – le corporatisme – qui n’a aucun mal à bousculer idéologiquement et culturellement la gauche, elle-même fondée sur cette base syndicaliste révolutionnaire.
Le dirigeant des fascistes, Benito Mussolini, né en 1883, vient lui-même de cette gauche qui ne connaît pas le marxisme et est entièrement façonné par le syndicalisme révolutionnaire. Il a vécu dans la pauvreté en Suisse tout en menant une activité de révolutionnaire d’orientation syndicaliste révolutionnaire de 1902 à 1904, avant de devenir un activiste accédant à la direction du Parti Socialiste italien, devenant le directeur de son quotidien, L’Avanti!.
Avec la guerre de 1914 qui s’ouvre, une partie de la gauche, d’esprit syndicaliste révolutionnaire, soutient celle-ci, appelle à la participation et publie un manifeste intitulé Faisceaux d’action internationaliste, qui se voit succédé par la naissance d’une structure politique, les Faisceaux d’action révolutionnaire interventionniste.
En mars 1919, Mussolini reprend le principe et fonde des Fasci italiani di combattimento – Faisceaux italiens de combat –, organisation dont l’option militante fait qu’elle est massivement rejointe par des éléments bourgeois et petit-bourgeois paniqués par le mouvement ouvrier.
Benito Mussolini a été influencé par Georges Sorel, par Friedrich Nietzsche, il a compris que le syndicalisme intégral qu’il entrevoit peut profiter de l’élan nationaliste ; il a compris que le marxisme s’opposait à sa démarche.
Il peut donc profiter d’une aura « révolutionnaire » avec sa démarche syndicaliste, soutenu par la bourgeoisie, avec la petite-bourgeoisie comme forces sociales militantes, avec le nationalisme comme facteur de mobilisation. Benito Mussolini conserve du syndicalisme révolutionnaire l’union sociale et l’esprit mobilisateur, il reprend son refus du programme, il en fait un style de vie ; il dira quelques années plus tard :
« Le fascisme est une conception spiritualiste, surgie elle-même de la réaction générale du siècle contre le matérialiste et faible XIXe siècle… La vie telle que la conçoit le fascisme est par conséquent sérieuse, austère, religieuse, se déroulant toute dans un monde soutenu par les forces morales, et responsable de l’esprit. Le fascisme dédaigne la vie facile. Le fascisme est une conception religieuse… »
En face, la gauche est faible culturellement et idéologiquement ; elle ne comprend pas que le fascisme est un dépassement idéaliste de l’économisme syndicaliste révolutionnaire, avec le nationalisme comme moteur.
Elle est dépassée par la dynamique fasciste, qui combine action rapide et esthétisme, profitant d’appuis financiers d’industriels, de cadres de gauche qui par nationalisme cessent de croire au socialisme pour rejoindre une cause leur semblant transcendante, capable de changer les choses immédiatement, à la force de l’instinct, de l’intuition.