Portons notre attention sur la notion d’individu, au coeur du problème de Spinoza dans son questionnement sur le rapport entre universel et un particulier. En apparence, ce point est relativement faible, mais est en réalité profondément dialectique dans sa perspective ; le développement inégal est flagrant.

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Spinoza parle des corps et dans la perspective de l’averroïsme et reprend la thèse d’Aristote de la cause et de la conséquence. Si un corps est en mouvement, c’est qu’un autre l’a amené à l’être.

Ce qui définit d’ailleurs un corps, c’est sa nature en repos et en mouvement. Il peut être plus grand, plus petit, cela ne change rien à sa nature si sa réalité en tant que fonction est pareil. Car Spinoza se précipite dans la brèche pour considérer les parties du corps humain comme autant de corps relativement indépendant.

Cette thèse est, bien sûr, relativement forcée, mais pas du tout toutefois si l’on parle des bactéries, que Spinoza ne connaissait pas, mais qui confirme son approche et la conclusion de son raisonnement.

Spinoza, donc, parle du corps comme composé de multiples corps ; il a même pensé à l’urine, aux excréments, aux sécrétions humaines, aux poils, aux cheveux, avec cette explication pouvant sembler énigmatique :

« Si d’un corps, c’est-à-dire d’un Individu composé de plusieurs corps, on suppose que certains corps se séparent et qu’en même temps d’autres en nombre égal et de même nature occupent leur place, l’Individu retiendra sa nature telle qu’auparavant sans aucun changement dans sa forme. »

C’est logique : lorsqu’on urine, on perd un corps composant son corps ; comme elle est remplacée, l’équilibre est maintenu.

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Mais il en alors pareil des individus : certains meurent, d’autres naissent. Ce qui est interchangeable relève d’une manière globale d’exister.

A cela s’ajoute que les corps s’emboîtent les uns dans les autres. Ce qui signifie que des corps peuvent être dans des corps, ceux-ci eux-mêmes étant dans d’autres, etc.

Comme Dieu est tout, qu’il est donc alors tous les modes d’existence, il est le corps absolu contenant tous les corps. Ces corps peuvent changer – Paul peut remplacer Pierre – mais leur nature, en tant que « mode » de Dieu, sera la même.

De ce fait, on a des corps dans des corps qui sont dans des corps.

« Et continuant ainsi à l’infini, nous concevrons que la Nature entière est un seul Individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’individu total. »

Spinoza revient tout de fois à la question du corps humain, car tout cela vise en fait à définir l’âme comme un simple reflet du corps. Il dit ainsi :

« Le corps humain est composé d’un très grand nombre d’individus (de diverse nature) dont chacun est très composé.

Des individus dont le corps humain est composé, certains sont fluides, certains mous, certains enfin sont durs. »

Or, ces corps peuvent être affectés, et la question est alors de savoir à quel niveau ces affections vont jouer. Évidemment, Spinoza va dire que l’âme enregistre ces affections, sous la forme d’images, associées à une capacité imaginative (relatives à des images connues).

D’ailleurs, nous ne connaissons pas tout ce qui se passe dans le corps, nous le savons uniquement par les affections de celui-ci, quand il y a du plaisir ou de la douleur, de la chaleur ou du froid, etc.

Cela est même la base de la pensée, puisque ces affections pensées forment la base de la pensée se connaissant elle-même. C’est une inversion du « je pense, donc je suis » : c’est l’existence matérielle qui forme la base où peut exister la pensée.

La conclusion est alors logique :

« Il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue ou libre ; mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. »

Ce qui revient à dire que les individus connaissant des affections réagissent en fonction de celles-ci, qui elles-mêmes sont des réactions à d’autres choses, qui elles-mêmes sont des réactions à autre chose, etc. Il n’y a pas de libre-arbitre et tout est un jeu de cause-conséquence.


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