Une fois lancée dans les années 1920 dans ses analyses, Eugen Varga ne s’arrêta plus et s’orienta toujours davantage vers deux questions : la crise d’un côté, les monopoles de l’autre. Il va affiner toujours plus ses positions.

Dans la revue L’Internationale Communiste, en 1927, Eugen Varga affirme ouvertement au sujet de la crise que les apparences ont été trompeuses quant au fait que toute une série d’États puisse basculer dans le socialisme à la suite des grandes révoltes prolétariennes d’après la guerre. La Russie a basculé, car elle était le maillon faible, et grâce au rôle de Lénine.

Cependant, le capitalisme ne s’est pas rétabli sur une base normale et va à l’effondrement :

« La période de déclin du capitalisme, c’est-à-dire la période de la révolution prolétarienne, n’est pas terminée.

Nous ne sommes pas au début d’une nouvelle période de croissance du capitalisme. Le capitalisme n’a pas regagné la certaine solidité relative dont il disposait avant la guerre, et le ne la récupérera plus jamais.

Nous vivons la période de la révolution prolétarienne. À l’intérieur de cette période, le capitalisme peut momentanément obtenir encore des hautes conjonctures temporaires, il peut donner des défaites au prolétariat, il peut fêter des victoires sur le mouvement de libération des peuples coloniaux : tout cela ne change rien au fait que la mort du capitalisme est en cours… »

Cette mort est présentée comme liée aux monopoles. En mai 1929, il accorde un grande place à l’analyse de ceux-ci dans l’un de ses bilans trimestriels publié dans l’International Pressekorrespondenz. Il y explique que la superstructure juridique est en retard sur les changements concrets qui ont amené une place toujours plus grande des monopoles. Les gouvernements, par contre, ont déjà intégré leur importance dans leurs politiques.

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Il accuse également les réformistes de soutenir directement les monopoles, en prétendant qu’un jour ceux-ci passeraient sous contrôle démocratique, facilitant la mise en place du socialisme. Il cite notamment les syndicats des métallos et du textile qui, en Grande-Bretagne, soutiennent tant les monopoles que les mesures protectionnistes.

De manière pertinente, Eugen Varga souligne alors qu’il est nécessaire de distinguer les monopoles nationaux des monopoles ayant une présence dans plusieurs pays.

Les monopoles prédominent, parce que leur taux de profit est plus élevé, dans la mesure où ils peuvent court-circuiter les pertes causées par la mise en concurrence. Ils peuvent négocier en force des achats, ils peuvent négocier en force des ventes, ils ont un meilleur degré d’organisation que les entreprises en concurrence.

Cependant, leur réalité dépend du développement inégal du capitalisme. À partir du moment où il y a plusieurs pays, plusieurs réglementations, des droits de douanes, des politiques gouvernementales différentes, etc., alors tout monopole international, ou bien tout cartel, tout trust c’est-à-dire toute forme de monopole, va se retrouver dans le risque d’être désarticulé.

Pour cette raison, Eugen Varga considère comme erronée la thèse du « super impérialisme » développée par Boukharine, conception d’un « capitalisme organisé » qui revient à celle de Hilferding et de l’ensemble de la social-démocratie dans les années 1920.

Boukharine pratique ici une déviation de droite, dans le sens d’un rejet des thèses de Lénine sur l’impérialisme. Le principe d’un capitalisme organisé est d’ailleurs incohérent, car un capitalisme en situation de maîtriser absolument tout reviendrait soit à un féodalisme puisqu’il n’y aurait plus de travailleurs libres sur le marché du travail, soit à une sorte de telle dictature tellement poussée que tout s’effondrerait directement.

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Malgré qu’il y ait des monopoles, la concurrence se maintient entre eux, à côté d’eux dans d’autres branches ; croire comme le fait la social-démocratie qu’un monopole peut gérer la production dans le sens de la planifier, c’est nier l’anarchie de la production capitaliste qui se maintient par sa nature même.

L’existence du chômage et les évolutions dans la production montrent que le capitalisme n’est pas en mesure de s’organiser ; les interventions multiples de l’État, des régions, des départements, des communes pour chercher à réguler le chaos capitaliste en sont une autre preuve.

Ce qui s’exprime en réalité, ce n’est pas la capacité d’organisation du capitalisme, mais la tendance immanente à la socialisation qui s’exprime en lui malgré lui. C’est là un processus contradictoire, qui ne revient pas une démocratisation possible de l’économie, comme le considèrent les sociaux-démocrates, ni à la domination totale dans chaque pays capitaliste des monopoles, comme l’affirme Boukharine.

Pour autant, voir la crise comme un conflit entre la tendance immanente à la socialisation et un blocage de la production posait un vrai problème idéologique et cela n’allait pas être sans conséquence.


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