La grande différence, fondamentale, entre l’approche de Eugen Dühring et de l’anticapitalisme romantique d’un côté et le matérialisme dialectique de l’autre, tient à la notion de mouvement. Pour le matérialisme dialectique, tout est en mouvement, tout est relatif.
Ce n’est pas le cas de l’idéalisme, pour qui par définition une contradiction est quelque chose d’absurde. C’est la raison pour laquelle il n’est pas capable de voir les deux aspects dans la production capitaliste: le travail payé et le travail non payé, ainsi que le double caractère d’un objet, utile d’un côté et marchandise de l’autre, ou encore l’aspect historiquement progressiste du capitalisme dans la mesure où il permet de dépasser le mode de production antérieur qu’est le féodalisme.
Voici ce que Friedrich Engels enseigne dans l’Anti-Dühring :
« Tant que nous considérons les choses comme en repos et sans vie, chacune pour soi, l’une à côté de l’autre et l’une après l’autre, nous ne nous heurtons certes à aucune contradiction en elles.
Nous trouvons là certaines propriétés qui sont en partie communes, en partie diverses, voire contradictoires l’une à l’autre, mais qui, dans ce cas, sont réparties sur des choses différentes et ne contiennent donc pas en elles -mêmes de contradiction. Dans les limites de ce domaine d’observation, nous nous en tirons avec le mode de pensée courant, le mode métaphysique.
Mais il en va tout autrement dès que nous considérons les choses dans leur mouvement, leur changement, leur vie, leur action réciproque l’une sur l’autre. Là nous tombons immédiatement dans des contradictions.
Le mouvement lui-même est une contradiction; déjà, le simple changement mécanique de lieu lui-même ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment, un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement.
Nous avons donc ici une contradiction qui “se rencontre objectivement présente et pour ainsi dire en chair et en os dans les choses et les processus eux-mêmes”.
Qu’en dit M. Dühring ? Il prétend qu’en somme, il n’y aurait jusqu’à présent “aucun pont entre le statique rigoureux et le dynamique dans la mécanique rationnelle”. Le lecteur remarque enfin ce qui se cache derrière cette phrase favorite de M. Dühring, rien d’autre que ceci : l’entendement, qui pense métaphysiquement, ne peut absolument pas en venir de l’idée de repos à celle de mouvement, parce qu’ici la contradiction ci-dessus lui barre le chemin.
Pour lui, le mouvement, du fait qu’il est une contradiction, est purement inconcevable. »
Le matérialisme dialectique, justement, comprend la nature dialectique du mouvement de la matière :
« Le mouvement est le mode d’existence de la matière. Jamais, ni nulle part, il n’y a eu de matière sans mouvement, ni il ne peut y en avoir.
Mouvement dans l’espace de l’univers, mouvement mécanique de masses plus petites sur chaque corps céleste, vibration moléculaire sous forme de chaleur ou de courant électrique ou magnétique, décomposition et combinaison chimiques, vie organique : chaque atome singulier de matière dans l’univers participe à chaque instant donné à l’une ou à l’autre de ces formes de mouvement ou à plusieurs à la fois. Tout repos, tout équilibre est seulement relatif, n’a de sens que par rapport à telle ou telle forme de mouvement déterminée (…).
Le mouvement est donc tout aussi impossible à créer et à détruire que la matière elle-même. »
Par conséquent :
« Qu’est-ce donc que la négation de la négation ?
Une loi de développement de la nature, de l’histoire et de la pensée extrêmement générale et, précisément pour cela, revêtue d’une portée et d’une signification extrêmes; loi qui, nous l’avons vu, est valable pour le règne animal et végétal, pour la géologie, les mathématiques, l’histoire, la philosophie, et à laquelle M. Dühring lui-même, bien qu’il se rebiffe et qu’il regimbe : est obligé à son insu d’obéir à sa manière.
Il va de soi que je ne dis rien du tout du processus de développement particulier suivi, par exemple, par le grain d’orge, depuis la germination jusqu’au dépérissement de la plante qui porte fruit, quand je dis qu’il est négation de la négation.
En effet, comme le calcul différentiel est également négation de la négation, je ne ferais, en renversant la proposition qu’affirmer ce non-sens que le processus biologique d’un brin d’orge est du calcul différentiel ou même, ma foi, du socialisme. Voilà pourtant ce que les métaphysiciens mettent continuellement sur le dos de la dialectique.
Si je dis de tous ces processus qu’ils sont négation de la négation, je les comprends tous ensemble sous cette unique loi du mouvement et, de ce fait, je ne tiens précisément pas compte des particularités de chaque processus spécial pris à part.
En fait, la dialectique n’est pas autre chose que la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée. »