La sous-partie « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire » est aussi longue que les deux précédentes prises ensemble ; elle dispose qui plus est d’un addenda tout aussi long, qui fournit cependant des éléments secondaires, des précisions.
Elle est le prolongement direct de ce qu’a dit Karl Marx auparavant et présente les traits généraux de ce qu’est la crise du mode de production capitaliste au sens strict.
Le premier aspect, vraiment important, est l’explication pourquoi au bout d’un moment, les petits capitaux sont particulièrement agressifs. C’est qu’ils sont placés dans une situation particulièrement exigeante.
Voici comment la chose est présentée :
« La masse des petits capitaux éparpillés est ainsi contrainte à s’engager dans la voie de l’aventure : spéculation, gonflement abusif du crédit, bluff sur les actions, crises.
Ce qu’on appelle la plethora [la pléthore] de capital concerne toujours essentiellement la pléthore du capital pour lequel la chute du taux de profit n’est pas compensée par sa masse [comme pour le grand capital] – et c’est le cas toujours des bourgeonnements de capital frais qui viennent de se former – ou la pléthore qui, sous forme de crédit, met ces capitaux, incapables d’exercer une action à leur propre bénéfice, à la disposition de ceux qui dirigent les grands secteurs commerciaux ou industriels.
Cette pléthore de capital naît des mêmes conditions qui provoquent une surpopulation relative, et c’est donc un phénomène qui vient compléter celle-ci, bien que les deux faits se situent à des pôles opposés, capital inemployé d’un côté et population ouvrière non occupée de l’autre. »
Il ne s’agit ici que d’une précision de ce qui a été dit auparavant. Eugen Varga en fera d’ailleurs la base principale de sa description du capitalisme « bloqué », en théorisant un chômage de masse permanent.
La phrase qui suit la citation est pourtant d’une importance très grande :
« Surproduction de capital, non de marchandises singulières – quoique la surproduction de capital implique toujours surproduction de marchandises – signifie donc suraccumulation de capital. »
Eugen Varga mit cet aspect de côté ; son disciple français Paul Boccara en fit par contre le cœur de son interprétation du « capitalisme monopoliste d’État ». La suraccumulation, le fait que le capital ne puisse plus se placer quelque part, serait telle que l’État s’assimilerait au capital pour trouver de nouveaux espaces.
Le problème est que Karl Marx ne mentionne cette suraccumulation de capital, ou bien surproduction absolue de capital, seulement comme hypothèse de travail pour développer sa thèse sur la crise.
Chez Paul Boccara, cette hypothèse est prise pour la réalité, il est vrai pour justifier dans les années 1960 la participation aux institutions pour les protéger contre un prétendu assaut du capital en surplus.
Mais pourquoi Karl Marx a-t-il besoin de l’hypothèse de la surproduction absolue de capital ?
La raison en est la suivante. Il imagine que cela soit le cas et il dit qu’il y aurait alors une partie du capital en jachère, comme en attente, et de l’autre un capital en action, mais peu mis en valeur en raison de la grande concurrence posée par le capital en attente.
Il expose alors la situation, qui serait marquée par une destruction de capital provoquée par une crise ayant comme source l’impossibilité de valoriser par la vente de marchandises, dans un contexte d’hyper-concurrence.
Les prix s’effondreraient, il y aurait une sorte de décompression, mais ce n’est pas du tout la question ici : Karl Marx mentionne justement cette hypothèse pour dire qu’elle n’est pas possible. Il est explicite :
« Et ainsi la boucle serait de nouveau bouclée. Une partie du capital dévalué pour avoir cessé de fonctionner retrouverait son ancienne valeur.
Pour le reste, les choses décriraient de nouveau le même cercle vicieux sur la base de conditions de production élargies, d’un marché plus vaste, d’une force productive augmentée.
Mais même dans l’hypothèse extrême que nous avons émise de surproduction absolue de capital, il n’y aurait pas en fait surproduction absolue tout court, surproduction absolue des moyens de production.
Il n’y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci font office de capital et, partant, impliquent par rapport à leur valeur qui s’est gonflée avec leur masse une mise en valeur de cette valeur, dans la mesure où ils doivent créer une valeur additionnelle. »
On sait désormais comment Karl Marx voit la crise du capitalisme : comme surproduction des moyens de production.