Dans le palais Petschek à Prague, bâtiment occupé par la Gestapo, on trouvait le « cinéma » qui était une salle de torture, mais également au quatrième étage une salle aménagée uniquement pour s’occuper des communistes. Voici ce qu’en dit Julius Fučík. Sur le panneau commémoratif placé sur le palais Pettschek, on peut lire « Lidé, bděte! », « Hommes, veillez », qui est une allusion au mot d’ordre concluant l’écrit sous la potence écrit par Fučík : « Hommes, je vous aimais. Veillez ! [ou bien : soyez vigilants !] »
Cependant mets-y ensemble deux prisonniers et surtout des communistes et voilà en cinq minutes une communauté qui va bouleverser tous tes plans. Depuis l’année 1942, on ne l’appelait déjà plus que « la centrale communiste ».
Elle a connu beaucoup de changements et sur ses bancs ont passé des milliers et des milliers d’hommes et de femmes. Mais une chose n’y a jamais changé, c’est l’âme de la communauté, dévouée à la lutte et sûre de la victoire.
« 400 », c’était une tranchée avancée, encerclée par l’ennemi de tous côtés et bombardée par un tir concentré, mais ne pensant jamais à se rendre. Au-dessus flottait le drapeau rouge. Et au-dedans se manifestait la solidarité du peuple entier luttant pour sa libération.
En bas, au « cinéma », les gardes SS passaient avec leurs lourdes bottes et accompagnaient de leurs vociférations chaque petit mouvement de ton œil. Ici, au « 400 », la surveillance était faite par les inspecteurs et les agents de police entrés au service de la Gestapo comme interprètes, soit volontairement, soit par ordre de leurs supérieurs, et qui accomplissaient maintenant leur devoir soit comme des créatures de la Gestapo, soit comme Tchèques. Ou comme quelque chose entre les deux.
Maintenant, on n’était plus forcé d’être assis au garde-à-vous, les mains sur les genoux et les yeux fixes, maintenant plus librement, tu pouvais t’asseoir plus librement, tu pouvais regarder autour de toi, tu pouvais faire un signe de la main et tu pouvais faire même plus selon le cas, ça dépendait quelle sorte de surveillants étaient de service à un moment donné.
Le « 400 », c’était l’endroit où l’on faisait la connaissance la plus profonde de cette créature qu’on appelle l’homme. Ici, la proximité de la mort a mis tout le monde à nu, ceux qui avec leurs brassards rouges étaient des détenus communistes, ou qui étaient suspectés de relations avec eux et ceux qui devaient les surveiller et qui quelque part, dans une chambre voisine, participaient à leurs interrogatoires.
Là, pendant l’interrogatoire, chaque mot a pu servir de protection ou d’arme. Mais au « 400 », tu n’as plus la possibilité de te cacher derrière des mots. Ici, on n’a pas pesé ce que tu avais dit mais ce qui était au fond de toi. Et là-bas, au fond de toi, n’est resté que l’essentiel, tout ce qui est au deuxième plan pour ennoblir, affaiblir ou embellir le fond de ton caractère est tombé comme arraché d’un cyclone précédant la mort.
Il n’est plus resté que le simple sujet et l’attribut ; le fidèle résiste, le traître trahit, le bourgeois désespère, le héros se bat.
Dans chaque être, il y a la force et la noblesse, l’audace et la peur, la fermeté et l’hésitation, la propreté et la saleté. Et ici, il n’a pu y rester que l’une ou l’autre chose.
Soit ceci, soit cela.
Et si quelqu’un a essayé de naviguer entre les deux rives, il a été repéré plus vite qu’un danseur, les cymbales à la main, la plume jaune au chapeau, s’exhibant pendant une cérémonie funèbre.
On a pu trouver des personnes de ce genre parmi les détenus, ou a pu les rencontrer aussi parmi les inspecteurs et les agents.
Pendant l’interrogatoire ils brûlaient un cierge au bon Dieu du Reich, mais au « 400 », ils en brûlaient un deuxième au diable bolchevique.
Devant le commissaire allemand, il t’a cassé les dents pour t’arracher à force de coups le nom de ton agent de liaison, et au « 400 », il t’a proposé amicalement du pain pour chasser ta faim.
Pendant la perquisition il a complètement pillé ton appartement pour te donner en cachette au « 400 » la moitié d’une cigarette de son butin afin de te montrer ses bons sentiments envers toi.
D’autres et ceux-là sont seulement une variante de la même espèce, n’ont jamais fait de mal à personne de leur propre initiative, mais ils n’ont jamais aidé personne non plus. Ils n’ont jamais pensée qu’à leur petite peau.
Leur sensibilité en fait un baromètre politique excellent. Ils soit très réservés et très officiel ? Soit sûr d’une chose : les Allemands avancent en direction de Stalingrad.
Ils sont aimables et commencent à se mettre en conversation avec les détenus ? La situation est favorable. Les Allemands ont sûrement été repoussés à Stalingrad.
Ils commencent à parler de leur ancienne origine tchèque et racontent comment ils ont été forcés d’entrer au service de la Gestapo ? Excellent. L’armée Rouge avance déjà sûrement sur Rostov.
Et encore d’autres de la même espèce, qui gardent leurs mains dans leurs poches quand tu es en train de te noyer mais qui te donnent la main avec complaisance quand tu es déjà en train de te tirer d’affaire par tes propres moyens. Cette espèce de gens a senti la cohésion du « 400 » et a essayé de l’approcher parce qu’elle a apprécié sa force, mais jamais elle ne lui a appartenu.
Il y avait encore une autre espèce qui n’avait aucune idée de l’existence de cette communion ; je dirais bien des assassins, mais l’assassin appartient quand même au genre humain. Le fauve de langue tchèque, avec le bâton et le fer à la main, torturant les détenus tchèques à un tel degré que plusieurs commissaires allemands eux-mêmes finirent par se détourner de ce spectacle.
Ils n’ont même pas pu se donner l’excuse hypocrite de la lutte pour leur peuple ou pour leur Reich. ils ont torturé et assassiné par volupté, ils ont cassé les dents et perforé les tympans, ils ont pressuré les yeux, déchiqueté les parties sexuelles, mis a nu le cerveau des torturés et ils les ont battus jusqu’à la mort, poussés par une cruauté qui n’avait d’autre mobile que cette cruauté elle-même.
Tu les as vus chaque jour, tu étais obligé d’être quotidiennement en contact avec eux et de supporter leur présence, qui remplissait l’atmosphère de sang et de râles d’agonie, ta foi profonde seule t’a soutenu, la confiance qu’ils ne peuvent pas échapper à la justice même en assassinant tous les témoins de leurs crimes.
Et à côté d’eux, à la même table et appartenant, à première vue, à la même hiérarchie, s’asseyent des hommes qui mériteraient qu’on leur donne un H majuscule.
Des hommes qui ont appliqué le règlement de la prison à l’avantage des prisonniers, des hommes qui ont aidé à former la communauté du « 400 ». Et qui lui appartenaient de tout leur cœur et de toute leur audace.
Leur générosité est d’autant plus méritoire que, jadis, dans les services de la police tchèque, ils avaient travaillé contre les communistes. Mais ils ont reconnu la force et ils ont compris l’importance des communistes pour le peuple entier en les voyant dans la lutte contre l’occupation et dès ce moment ils ont fidèlement servi et aidé chacun de ceux qui étaient restés fidèles jusque sur les bancs de la prison.
Nombreux sont les militants du dehors qui hésiteraient s’ils connaissaient les horreurs qui les attendent s’ils tombaient dans les mains de la Gestapo. Mais ceux-là ont eu tout le temps ces horreurs sous les yeux, chaque jour, chaque heure. Chaque jour, chaque heure, ils devaient s’attendre à être mis à côté des autres détenus et à souffrir d’une souffrance pire.
Et pourtant ils n’ont pas hésité. Ils ont aidé à sauver les vies de milliers et ils ont allégé le sort de ceux dont il était impossible de sauver la vie. Ils méritent le titre de héros. Sans leur aide le « 400 » n’aurait jamais pu être ce qu’il est devenu et tel que des milliers et des milliers de communistes l’ont connu : l’endroit clair dans la maison sombre et morne, la tranchée dans le dos de l’ennemi, le centre de la lutte pour la liberté à l’intérieur même du repaire des occupants.