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J. Staline
Note de la rédaction de la Brdzola1
septembre 1901
Persuadés que, pour les lecteurs géorgiens conscients, une publication périodique libre est une question essentielle, persuadés que cette question doit être résolue dés aujourd’hui et que tout retard ne peut être que préjudiciable à la cause commune ; persuadés que tout lecteur conscient accueillera avec satisfaction une publication de cette nature et lui apportera pour sa part toute l’aide possible, nous, groupe de social-démocrates révolutionnaires géorgiens, allons au devant de ce besoin, en nous efforçant, dans la mesure de nos moyens, de satisfaire le désir des lecteurs. nous publions le premier numéro de la Brdzola 2, premier journal libre de Géorgie.
Pour que le lecteur puisse se faire une opinion sur notre publication, et sur nous-mêmes en particulier, nous ajouterons quelques mots.
Il n’est pas un seul point du pays qui n’ait été touché par le mouvement social-démocrate. Ce coin de Russie que nous appelons le Caucase n’y a pas échappé, ni, au Caucase, notre Géorgie. Le mouvement social-démocrate est, en Géorgie, chose récente : il ne compte que quelques années ; plus précisément, les bases de ce mouvement n’ont été jetées qu’en 1896. Chez nous, comme partout, le travail ne dépassait pas au début le cadre de l’action clandestine. Une agitation et une large propagande , comme celles que nous constatons ces derniers temps, étaient impossibles ; toutes les forces, bon gré mal gré, étaient concentrées dans un petit nombre de cercles. Cette période est aujourd’hui révolue ; les idées social-démocrates se sont répandues dans les masses ouvrières ; le travail lui aussi, est sorti de son cadre étroitement clandestin et touche une partie considérable des ouvriers. La lutte ouverte a commencé. Elle a posé aux premiers militants quantité de problèmes qui, jusqu’alors, étaient restés dans l’ombre sans qu’on éprouvât un besoin très vif de les élucider. Tout d’abord s’est posée dans toute sa force la question suivante : de quels moyens disposons-nous pour développer plus largement la lutte ? En paroles, rien de plus simple et de plus facile que de répondre à cette question. En fait, c’est tout différent.
Il va de soi que pour un mouvement social-démocrate organisé, l’agitation et une large propagande des idées révolutionnaires constituent le moyen essentiel. Mais les conditions dans lesquelles un révolutionnaire doit militer sont si contradictoires, si dures, elles demandent de si lourds sacrifices que la propagande et l’agitation deviennent souvent impossibles sous la forme qui serait indispensable au début du mouvement.
Les études dans les cercles à l’aide de livres et de brochures deviennent impossibles, d’abord par suite des conditions policières, et ensuite par cause de la manière même dont ces études sont organisées. Le travail d’agitation se relâche dés les premières arrestations. Il devient impossible de rester en contact avec les ouvriers et de leur rendre fréquemment visite : or, l’ouvrier attend des éclaircissements sur maintes questions d’actualité. Autour de lui, c’est une lutte acharnée, toutes les forces du gouvernement se tournent contre lui ; il n’a pas la possibilité d’envisager d’un œil critique la situation présente, il ignore tout du fond des choses ; souvent il suffit d’un échec minime dans quelque usine du voisinage pour qu’un ouvrier à l’esprit révolutionnaire se refroidisse, perde la foi en l’avenir, et que le dirigeant soit obligé de l’entraîner à nouveau au travail.
L’agitation par les brochures , qui ne donnent de réponses qu’à telle ou telle question concrète, est, dans la plupart des cas, peu efficace. Il devient indispensable d’avoir une littérature susceptible de répondre aux questions quotidiennes. Cette vérité bien connue n’a pas besoin d’être démontrée. Pour le mouvement ouvrier de Géorgie est venu le moment où une publication périodique apparaît comme l’un des moyens les plus importants du travail révolutionnaire.
Afin d’éclairer certains lecteurs non avertis, nous croyons nécessaire de dire quelques mots sur la presse légale. L’ouvrier qui verrait dans un journal légal, quelles que soient les conditions où il paraît et quelle que soit sa tendance, l’expression de ses intérêts à lui, ouvrier, commettrait, selon nous, une grande erreur. Avec un gouvernement « rempli de sollicitude » pour les ouvriers, tout va à merveille pour les journaux légaux. Une meute de fonctionnaires qu’on appelle censeurs est attachée à ces journaux ; ils exercent sur eux une surveillance spéciale, recouvrant à l’encre rouge et aux ciseaux dés qu’un rayon de vérité vient à se glisser par quelque fente. L’une après l’autre, les circulaires s’abattent sur le comité des censeurs : « Ne rien laisser passer concernant les ouvriers, ne rien publier sur tel ou tel évènement, ne pas permettre l’examen de ceci ou cela », etc…, etc. Dans ces conditions, il ne saurait naturellement être question de mettre sur pied un journal convenable : l’ouvrier chercherait en vain dans ses colonnes et même entre les lignes, des informations et une appréciation juste sur la cause qui est la sienne.
A ceux qui estiment que l’ouvrier pourrait tirer parti du petit nombre de lignes qui, dans tel ou tel journal légal, traitent en passant de ses intérêts et que les bourreaux de la censure ont laissé passer par mégarde, nous répondrons : placer ses espoirs dans ces bribes et édifier sur pareille bagatelle un système quelconque de propagande, ce serait ne rien comprendre à la question.
Encore une fois, nous ne disons cela que pour éclairer certains lecteurs non avertis.
Donc, un périodique géorgien libre est pour le mouvement social-démocrate une nécessité pressante. Il ne s’agit plus que de savoir comment mettre sur pied cette publication, de quels principes elle doit s’inspirer et ce qu’elle doit apporter au social-démocrate géorgien.
A ne voir que du dehors le problème de l’existence d’un journal géorgien, et en particulier celui de son contenu et de son orientation, il peut sembler que ce problème se résout de lui-même, d’une manière simple et naturelle : le mouvement social-démocrate géorgien ne constitue pas un mouvement ouvrier isolé, uniquement géorgien, avec son programme particulier ; il marche la main dans la main avec tout le mouvement de Russie et, par conséquent, il est subordonné au Parti social-démocrate de Russie. Il s’ensuit donc qu’un journal social-démocrate géorgien ne doit être qu’un organe local, traitant surtout de questions locales et reflétant le mouvement local. Mais cette réponse cache une difficulté que nous ne pouvons esquiver, à laquelle nous allons inévitablement nous heurter. Nous voulons parler de la difficulté qui découle de la langue.
S’il est vrai que le Comité central du Parti social-démocrate de Russie a la possibilité, grâce à l’organe central du parti, d’expliquer toutes les questions d’ordre général, en laissant à ses comités régionaux le soin d’éclairer les seules questions locales, le journal géorgien, lui, ne s’en trouve pas moins placé dans une situation difficile en ce qui concerne son contenu. Il doit jouer à la fois le rôle d’organe central du parti et celui d’organe régional, local. La majorité des lecteurs ouvriers de Géorgie ne pouvant user couramment d’un journal russe, les dirigeants du journal géorgien n’ont pas le droit de laisser dans l’ombre toutes les questions que traite, et que doit traiter, l’organe central russe. Le journal géorgien a donc le devoir d’éclairer le lecteur sur toutes les questions de principe, de théorie et de tactique. Il doit en même temps guider le mouvement local, éclairer de façon juste chaque événement, sans laisser inexpliqué un seul fait, et répondre à toutes les questions qui préoccupent les ouvriers de nos régions. Le journal géorgien doit lier entre eux et unir les ouvriers en lutte, géorgiens et russes. Il doit informer les lecteurs de tous les événements de la vie locale, russe et étrangère, qui les intéressent.
Tel est, en gros, notre point de vue sur un journal géorgien.
Quelques mots au sujet du contenu et de l’orientation du journal.
Nous devons exiger de lui, comme il est naturel d’un journal social-démocrate, que les ouvriers en lutte soient l’objet principal de son attention. Nous croyons superflu de dire que seul le prolétariat révolutionnaire, en Russie comme partout, est appelé par l’histoire à libérer l’humanité et à donner au monde le bonheur. Il est clair que seul le mouvement ouvrier possède une base solide et que seul il est exempt de toute fantaisie utopique. En conséquence, le journal, en tant qu’organe social-démocrate, doit guider le mouvement ouvrier, lui montrer le chemin, le préserver des erreurs. En un mot, le premier devoir du journal est de se tenir aussi près que possible de la masse ouvrière, de pouvoir l’influencer constamment, d’être son centre conscient et dirigeant.
Mais comme, dans les conditions présentes de la Russie, il est possible que des éléments de la société autres que les ouvriers engagent aussi le combat « pour la liberté », et comme cette liberté est le but immédiat de la lutte des ouvriers de Russie, le journal doit réserver une place à tout mouvement révolutionnaire, même s’il se situe en dehors du mouvement ouvrier. Nous disons : « réserver une place », mais pas seulement à titre d’informations courantes ou de simple chronique, — non, le journal doit prêter une attention particulière au mouvement révolutionnaire qui se produit ou qui se produira parmi d’autres éléments de la société. Il doit expliquer chaque phénomène social et exercer ainsi son influence sur tous ceux qui combattent pour la liberté. Aussi doit-il accorder une attention toute particulière à la situation politique de la Russie, tenir compte de toutes les conséquences de cette situation et envisager de la façon la plus large la nécessité de la lutte politique.
Nul ne pourra, nous en sommes persuadés, arguer de nos paroles pour prétendre que nous sommes partisans de liens et de compromis avec la bourgeoisie. Une appréciation juste, la mise en évidence des points faibles et des erreurs d’un mouvement dirigé contre l’ordre établi, même si ce mouvement se produisait dans un milieu bourgeois, ne peuvent entacher d’opportunisme un social-démocrate. Seulement, nous ne devons pas oublier en l’occurrence les principes social-démocrates et les méthodes révolutionnaires de lutte. Si nous mesurons chaque mouvement à cette échelle, nous serons prémunis contre tous les radotages bernsteiniens.
Ainsi, le journal social-démocrate de Géorgie doit fournir une réponse précise à toutes les questions relatives au mouvement ouvrier, expliquer les questions relatives au mouvement ouvrier, expliquer les questions de principes, expliquer au point de vue théorique le rôle de la classe ouvrière dans la lutte et éclairer à la lumière du socialisme scientifique tous les faits qui intéressent l’ouvrier.
Le journal doit aussi représenter le Parti social-démocrate de Russie et faire connaître en temps utile à ses lecteurs toutes les conceptions tactiques de la social-démocratie révolutionnaire russe. Il doit renseigner ses lecteurs sur la vie des ouvriers des autres pays, sur ce qu’ils font pour améliorer leur condition et comment ils le font ; il doit appeler au moment voulu les ouvriers géorgiens à entrer dans la lutte. d’autre part, il ne doit laisser passer aucun mouvement social sans en rendre compte et sans en faire une critique social-démocrate.
Voilà comment nous concevons le journal géorgien.
Nous ne pouvons abuser ni nous-mêmes ni nos lecteurs en promettant de nous acquitter entièrement de ces tâches avec nos forces actuelles. Pour organiser le journal comme il convient, une aide est nécessaire de la part des lecteurs eux-mêmes et des sympathisants. Le lecteur notera dans le premier numéro de la Brdzola bien des imperfections, mais ce sont là des imperfections qui pourront être corrigées pour peu qu’il nous vienne en aide. Nous soulignons, en particulier, la faiblesse de la chronique locale. Nous trouvant loin du pays, nous n’avons pas la possibilité de suivre le mouvement révolutionnaire de Géorgie ni de donner en temps voulu des informations et des éclaircissements sur les problèmes de ce mouvement. Il faut donc qu’une aide nous vienne de la Géorgie même. Quiconque désire nous apporter aussi son concours littéraire, trouvera sans nul doute le moyen d’établir un contact, direct ou indirect, avec la rédaction de la Brdzola.
Nous invitons tous les militants social-démocrates de Géorgie à s’intéresser vivement au sort de la Brdzola, à prêter tout leur concours à sa publication et à sa diffusion, et à faire ainsi, de la Brdzola, premier journal libre de Géorgie, une arme de lutte révolutionnaire.
Brdzola [la Lutte] n°1, septembre 1901
Article non signé.
Traduit du géorgien.
La Brdzola était tirée à Bakou, dans une imprimerie clandestine, montée sur mandat de l’aile révolutionnaire de l’organisation social-démocrate de Tiflis par le plus proche collaborateur de Staline, V. Ketskhovéli. C’est à lui encore qu’incombait, pratiquement la tâche de faire paraître le journal.
Les articles leaders sur les questions de programme et de tactique du parti marxiste révolutionnaire furent rédigés par Staline. La Brdzola eut quatre numéros : le n°1, en septembre 1901 ; le N°2-3, en novembre décembre 1901, et le n°4, en décembre 1902. La Brdzola, le meilleur journal marxiste de Russie après l’Iskra [l’Etincelle], préconisait une liaison étroite entre la lutte révolutionnaire du prolétariat de Transcaucasie et la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière de toute la Russie.
Défendant les principes théoriques du marxisme révolutionnaire, la Brdzola, de même que l’Iskra léniniste, affirmait la nécessité pour les organisations social-démocrates de passer à l’agitation politique de masse, à la lutte politique contre l’autocratie ; elle défendait l’idée léniniste de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise.
Bataillant contre les « économistes », elle expliquait la nécessité de créer un parti révolutionnaire unique de la classe ouvrière, dénonçait la bourgeoisie libérale, les nationalistes et les opportunistes de tout acabit. L’Iskra léniniste salua la parution du n°1 de la Brdzola comme un événement d’importance.