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Ivanov (ouvrier de l’usine Michelson)
Comment fut blessé Lénine
21 janvier 1925
Un meeting avait été organisé à l’usine de Michelson. Les ouvriers commençaient à arriver. C’est à ce moment qu’entra Kaplan : elle attira mon attention parce que à ce moment il n’y avait dans la salle que trois à quatre cents ouvriers que je connaissais en majeure partie.
Elle vint à notre groupe formé de vieux membres du Parti, s’appuya du coude contre la table et se mit à écouter ce que nous disions. Elle fumait une cigarette et paraissait émue ; à ce moment, nous n’y prêtâmes aucune attention. Elle était chaussée de souliers sales et usés, portait une jupe noire et était sans chapeau ; elle était brune et paraissait avoir 28 ans. Un camarade émit l’idée qu’elle devait être propagandiste. Peu après, je la perdis de vue.
Personne n’était informé que Lénine devait assister à ce meeting. Je ne me rappelle pas qui parla le premier. C’est au milieu du premier discours que j’entendis crier : « Lénine est arrivé ». Il vint aussitôt à la tribune et on lui accorda immédiatement la parole. Lorsque Lénine était présent, l’auditoire ne voulait plus entendre personne d’autre que lui. Le discours de Lénine se résumait en ceci : que nous nous trouvions en face de l’offensive tchécoslovaque1, et il termina par ces mots : « Tous jusqu’au dernier, nous devons organiser la résistance contre l’agression des Tchécoslovaques ».
Ilitch parla près de 50 minutes, lorsqu’il eut fini, tous les ouvriers s’écrièrent : « Nous irons tous au combat, tous jusqu’au dernier ». On applaudit ; personne ne demanda la parole après son discours.
Il remit sa casquette et son pardessus en descendant de la tribune. Il traversa la salle, marchant tout droit vers la sortie à travers la foule qui s’écartait pour le laisser passer. Une partie des ouvriers l’entourait et avançait avec lui ; à ce moment, une jeune élève de lycée âgée de 15 à 16 ans vint à Ilitch et lui transmit un mot écrit. Ilitch lui adressa quelques paroles et l’élève se perdit dans la foule.
Comme Lénine, après le meeting, se dirigeait vers la sortie, il se trouva précédé de quelques ouvriers et suivi d’une grande foule. Descendant l’escalier (un escalier extérieur d’une vingtaine de marches), il était suivi d’un marin de la mer Noire, qui fit un faux pas et tomba. La foule se trouva ainsi séparée de Lénine, un embarras se produisit, Ilitch sortit accompagné seulement de quinze à vingt ouvriers.
Lorsqu’il parut dans la cour de l’usine, où se tenait l’automobile, à six mètres du bâtiment, à la porte même, deux femmes lui demandèrent de leur expliquer pourquoi on leur avait pris leur farine à la station du chemin de fer. Ilitch se mit à leur donner des explications tout en avançant vers l’automobile. Il avait déjà mis un pied sur le marchepied de la voiture tout en continuant de parler.
C’est à ce moment que Kaplan, qui était auprès de l’automobile, à quatre pas de Ilitch, fit feu sur lui à quatre reprises. La foule qui sortait revint sur ses pas vers l’usine dans un tumulte effroyable. Des coups de feu furent tirés de l’usine.
J’accours de l’usine me frayant un passage à travers de la foule et je vis deux ou trois ouvriers qui relevaient Ilitch tombé auprès de l’auto. On ne voyait pas de sang, mais Ilitch était couché par terre et avait perdu connaissance. On le mit dans une voiture et le fit transporter au Kremlin : J’ai vu aussi une femme blessée. C’était une de celles qui parlaient à Ilitch au sujet de la farine réquisitionnée. Il était impossible d’apprendre qui avait tiré sur Ilitch parce que tous s’étaient enfuis.
C’est grâce aux indications fournies par les enfants qui, au cours de la révolution avaient appris à ne pas craindre les coups de feu, que l’on sut la vérité. Les enfants me crièrent : « Ivanov, celle qui a tiré, s’est enfuie vers le tramway ». Je courus vers la porte cochère et j’ai vu une femme s’enfuyant dans la direction de Serpourchov. Je la poursuivis, accompagné de quelques ouvriers. Je la rattrapai et je reconnus la même femme qui était venue auprès de nous au commencement du meeting.
D’autres ouvriers accouraient et voulurent la lyncher sur place. Je m’y opposai, soutenu par d’autres communistes. Nous l’entourâmes et la conduisîmes à l’état-major des bolcheviques.
D’abord Lénine fut en danger. Les poumons étaient perforés, une balle s’était logée dans la clavicule, une autre avait percé le cou et effleuré la moelle épinière. Les balles étaient empoisonnées et tronquées. Tout homme moins vigoureux aurait succombé à ces blessures.
Ivanov, ouvrier de l’usine Michelson