− Question : Nous voudrions que tu nous dises le « pourquoi », le « quand » et le « comment » du M.R.P.P. ?
− Arnaldo MATOS. : Notre mouvement s’est constitué le 18 septembre 1970. A son origine : la prise de conscience par les communistes et les ouvriers d’avant-garde de notre pays, sur la base d’une étude de la réalité portugaise, et des échecs successifs de leur lutte, du fait qu’il n’existait pas au Portugal de parti authentiquement communiste, de parti marxiste-léniniste, et que, même, il n’y en avait jamais eu.
En dépit de l’absence d’un tel parti, la classe ouvrière avait mené des combats résolus, héroïques, sous la direction des différentes couches petites-bourgeoises qui s’étaient infiltrées en son sein.
Pour construire le parti, le véritable parti communiste, on ne pouvait pas faire table rase de cette expérience de la classe ouvrière de notre pays, ni de celle des prolétaires du monde entier. La constitution d’un véritable parti communiste soulevait des problèmes nouveaux, issus de la situation portugaise, et qui n’existaient dans aucun autre pays, même en Europe occidentale où les problèmes se rapprochent beaucoup des nôtres.
Il fut donc nécessaire de regrouper les forces et de former, dans le feu de la lutte, les cadres capables, en interprétant le marxisme-léninisme-maoïsme, de l’appliquer à la réalité concrète de la révolution portugaise, et de construire le parti qui leur manquait dans leurs luttes et pour la prise du pouvoir. C’est ainsi qu’a surgi, il y a un peu plus de quatre ans le parti qui est sur le point d’être fondé.
− Question : En quel sens est-il sur le point de se fonder ?
− A. M. : Les conditions politiques, idéologiques et organisationnelles qu’il était de la mission du M.R.P.P. de créer sont réunies. Nous avions hérité d’un passé politique rempli d’erreurs ( en tout cas une expérience riche) : pour créer le parti, nous ne pouvions pas suivre une méthode identique à celle des communistes d’autres pays.
La méthode, les principes politiques, idéologiques et organisationnels du parti de la classe ouvrière sont définis par les expériences historiques antérieures, mais leur application à chaque pays dépend des conditions concrètes du moment et du lieu.
Dans notre pays, ce parti ne pouvait être créé sans que soit rempli un certain nombre de conditions que nous définissons désormais comme les cinq conditions essentielles, que nous avons incorporées à notre programme général [Statuts du M.R.P. P.].
Sans la réalisation de ces cinq conditions, fonder le parti serait une aventure subjective, petite-bourgeoise, volontariste, qui conduirait à un nouvel échec. Pour l’essentiel, ces conditions visent à créer une base de masse sur la base de laquelle le parti puisse être fondé.
C’est-à-dire qu’il ne suffirait pas qu’un petit groupe de communistes se constitue en parti pour que les masses ouvrières portugaises viennent à l’appuyer.
Il était nécessaire de faire un travail préparatoire de propagande et d’agitation du marxisme-léninisme-maoïsme au sein des masses, afin qu’elles puissent par elles-mêmes distinguer ce qui différenciait la ligne révolutionnaire de la ligne révisionniste, qu’elles étaient habituées à accepter.
Cela afin que nous puissions réunir un appui suffisant, que le parti, au moment de sa fondation représente une force politique authentique, réelle, nécessaire, et qu’il ne s’agisse pas là d’un pur décret de constitution de parti, comme d’autres opportunistes, en plus des révisionnistes, ont cru pouvoir le faire.
− Question : Existe-t-il un parti jumeau du M.R.P.P. dans d’autres pays ?
− A. M. : Dans la mesure où nous sommes marxistes-léninistes-maoïstes, il existe plus d’un parti identique à notre Mouvement. Mais le processus de constitution du parti que notre mouvement a suivi est entièrement « sui generis », car il n’y a pas deux pays semblables, ni deux pays où la lutte des classes traverse les mêmes phases, et prenne les mêmes formes aux mêmes moments.
− Question : Après la répression qui s’est abattue sur votre Mouvement depuis le 25 avril, il y a aujourd’hui son interdiction pour toute la période électorale. Nous voudrions qu’Arnaldo Matos nous parle de la répression après le 25 avril, de la répression avant le 25 avril, et qu’il établisse un parallèle entre les deux.
− A. M. : Vous avez raison de poser ainsi la question, et il serait bon à cette occasion d’attirer l’attention sur un fait. Dans le cadre de la démocratie petite-bourgeoise, parmi les différents types de démocratie petite-bourgeoise de notre pays, les soi-disant socialistes, soi-disant communistes et autres, croient que la répression qui s’est abattue maintenant sur notre Mouvement, avec cette tentative d’interdiction, est un phénomène accidentel, qu’il s’agit là d’une erreur de l’actuel dictateur militaire et de ses confrères, et qu’une fois réalisées les élections pour l’Assemblée constituante cette mesure cessera d’être appliquée, notre Mouvement retrouvera les possibilités d’agir à nouveau légalement.
Cela est une illusion très dangereuse, que nous devons dès maintenant combattre. C’est depuis le 25 avril que le pouvoir, d’une manière ou d’une autre, et tout particulièrement le parti révisionniste du ministre Barreirinhas Cunhal ont élevé la voix et préparé l’opinion publique à l’interdiction de notre Mouvement, en répandant un certain nombre de calomnies des plus viles.
La mesure décrétée aujourd’hui contre nous n’est donc pas une chose fortuite ; il s’agit d’un nouveau pas en avant dans la mise en pratique d’une tactique contre-révolutionnaire que les organes du pouvoir ont toujours eu en tête. Nous savons par conséquent que cela va continuer à s’aggraver pour parvenir à un point identique en tout identique, à ce qui se passait sous le fascisme, avant le 25 avril.
A notre avis, les événements du 11 mars, et le renforcement de la contre-révolution qui les a aussitôt suivis, ont entraîné un changement de cycle dans le processus révolutionnaire portugais. La première phase tire à sa fin. Nous entrons dans une phase nouvelle dans laquelle le développement pacifique de la révolution n’est plus possible, et au cours de laquelle la révolution devra se poursuivre selon d’autres voies, entièrement nouvelles.
Nous courons un réel danger à nous convaincre nous-mêmes (en particulier nos militants) de l’idée que nous allons longtemps encore connaître des conditions de lutte des classes qui permettraient un développement pacifique de la révolution.
Et donc une confrontation entre le programme du prolétariat révolutionnaire et les différents programmes de la bourgeoisie. Cette phase, à notre avis, touche à sa fin. Il faut prendre de nouvelles mesures pour consolider nos positions, fortifier nos souterrains, et nous préparer à une confrontation révolutionnaire d’un autre type, violente et non plus pacifique.
Cela signifie que nous sommes sur le point d’entrer dans une phase dans laquelle la répression qui va s’abattre sur notre Mouvement, sur la classe ouvrière et sur le peuple, reprendra les formes qui étaient les siennes sous le fascisme avant le 25 avril.
Les Cavaignac vont apparaître, s’ils n’existent pas déjà. Les conditions de leur intervention contre le peuple seront bientôt réunies. Si, du temps de la clique marceliste-salazariste, toutes sortes de provocations étaient commises, contre le peuple, cela commence à se reproduire, et se produira de plus en plus.
− Question : Votre différent, appelons-le ainsi, avec le P.C.P. comporte, pensons-nous, une lourde charge historique, en particulier celle de votre propre passé historique. Nous nous demandons si vous n’aviez pas commencé par être une formation communiste orthodoxe, qui aurait évolué ensuite dans un autre sens. Concrètement, comment ce différent a-t-il évolué, comment a-t-il pu se développer au point que vous êtes aujourd’hui en guerre ouverte, et quelles sont les formes que prend cette guerre ouverte ?
− A. M. : A l’intérieur de notre Mouvement, les militants qui ont eu une quelconque expérience dans le parti révisionniste, ou qui ont navigué dans ses eaux, se comptent sur les doigts des deux mains. Toutefois, s’il n’existe pas une charge historique au sens où vous l’entendiez, au sens personnel, individuel, il existe, sans aucun doute, une charge historique de classe, dans la mesure où c’est dans l’opposition au révisionnisme, dans la critique ouverte du révisionnisme, et dans la conduite d’une lutte contre ses positions, que les marxistes-léninistes se sont démarqués, sont arrivés à la conclusion de la nécessité historique de créer le parti qui n’existait pas, et ont entrepris d’organiser les rangs révolutionnaires pour le constituer.
Il n’y a donc pas de charge historique, au sens émotionnel du terme, entre nous et eux. Il y a une lutte de classe intense, dans la mesure où, sans les isoler et les écraser comme parti et comme courant bourgeois, nous ne pourrons jamais unir la classe ouvrière autour du marxisme-léninisme et avancer pour la conquête du pouvoir.
Voilà pourquoi nous attaquons tous les jours, impitoyablement, toutes les positions incorrectes, qui sont l’essentiel des positions du parti révisionniste.
– Question : D’où vient l’argent ? Un point controversé est celui de la provenance des fonds de votre Mouvement. Vous avez commencé par vendre Luta Popular à 1 escudo, et vous avez un appareil de propagande très important. Les accusations les plus variées ont été portées contre vous, et diffusées de différents côtés, entre autres l’accusation de recevoir de l’argent étranger. Nous vous posons la question en face quelle est l’origine des fonds de votre Mouvement ?
− A. M. : Les fonds de notre Mouvement viennent intégralement des masses populaires. Aussi sommes-nous un parti extrêmement pauvre, à l’image du peuple et de la classe ouvrière. Nous avons d’énormes difficultés à surmonter pour pouvoir réaliser la propagande que le peuple exige de nous. : Notre principe, notre position philosophique, sur cette question, sont simples : le peuple a besoin de propagande pour faire la révolution, c’est donc lui qui rendra cette propagande possible.
Pas un communiqué de plus ne se fera, si le peuple ne veut pas le financer. Plus le peuple se rapproche de nous, plus il nous appuie, et plus nous augmentons notre propagande. Mais nos difficultés sont énormes.
Ce qui se passe cependant c’est qu’avec un dixième de l’argent que possède en ce moment le parti révisionniste, par exemple, nous faisons dix fois plus de propagande que ce qu’il parvient à faire. L’explication de cela en termes, disons, financiers, c’est que nous sommes absolument économes.
Un permanent de notre Mouvement gagne le strict nécessaire pour ne pas mourir de faim. Nos militants ne gaspillent pas l’argent, et ce sont ces pratiques d’économie qui nous permettent d’être toujours au service des masses, en faisant la propagande nécessaire.
A l’inverse, les partis de la bourgeoisie (du parti révisionniste au C.D.S. fasciste) savent qu’ils ne peuvent tromper le peuple avec leur propagande, sauf en l’empaquetant de façon très attrayante, comme ça se fait pour le savon ou la crème à raser. Aussi font-ils d’énormes dépenses que nous serions hors d’état de faire, à supposer que nous ayons les mêmes objectifs, les mêmes méthodes, et si nous avions à mentir comme ils sont obligés de le faire.
Pour dire la vérité, nous pouvons écrire sur un mur avec un bout de charbon, eux qui doivent donner à leur mensonge au moins la force d’un préjugé, ils sont obligés de dépenser des flots d’argent.
Cette histoire de subsides venus d’ailleurs que des masses est maintenant une très vieille histoire. Profitons-en pour l’éclaircir. Il existait et il existe toujours, une revue appelée O Tempo e O Modo. C’est à propos de cette revue qu’a germé cette honteuse calomnie sur les subsides.
Au départ, une association européenne, appelée Association européenne pour la liberté de la culture ; cette association a une délégation dans notre pays, l’Association portugaise pour la liberté de la culture.
Dans les années soixante, un monsieur du nom de Claude Julien a publié, en France, un livre sur l’impérialisme américain, dans lequel il dressait la liste des associations qui recevaient des fonds de la C.I.A. Le Sénat américain a pris position à propos de cette liste, confirmant que certaines de ces associations étaient réellement financées par les U.S.A., mais certaines autres non.
Parmi les premières, se trouve l’Association européenne pour la liberté de la culture, financée par la Fondation Ford, elle-même financée par la C.I.A. Cette association finançait, pour sa part, l’Association portugaise pour la liberté de la culture, dont le siège se trouvait à Lisbonne, aux éditions Moraès, où était également édité l’O Tempo e O Modo de cette époque, qui appartenait aussi à ces associés.
Faisaient alors partie d’O Tempo e O Modo presque tous les principaux dirigeants aujourd’hui au gouvernement, à l’exception de Barreirinhas Cunhal. Quand le livre de Claude Julien a dénoncé ces liaisons de la C.I.A. avec diverses associations culturelles, tout ce qu’il y avait de bon à l’intérieur d’O Tempo e O Modo a entrepris une lutte exemplaire pour expulser les individus éventuellement soupçonnables d’avoir reçu des fonds de l’Association portugaise pour la liberté de la culture.
Parmi ceux qui avaient pu « bénéficier » de l’aide de la C.I.A., se trouvaient quelques personnages intéressants : par exemple l’écrivain José Cardoso Pires, sous-directeur du Diario de Lisboa, et Fernando Lapes Grasa lui-même pour les disques qu’il avait faits en commun avec Giacometi, et toute une série d’autres personnalités qui, en toute connaissance ou non, étaient aussi financées.
La fraction saine parmi les rédacteurs d’O Tempo e O Modo chassa aussi la clique révisionniste et socialiste, qui avait jusqu’alors reçu des fonds de cette nature, et prit la direction de la revue. Quel ne fut pas leur étonnement quand par la suite ils virent le journal Avante, dont les militants avaient si longtemps profité des subsides, accuser O Tempo e O Modo d’être financé par la C.I.A. Voilà l’exemplaire histoire des subsides.
− Question : Sur la scène internationale, le M.R.P.P. reçoit-il quelque appui, ou du moins peut-il compter sur une certaine solidarité ?
− A. M. : La lutte de notre Mouvement est solidaire de celle de tous les authentiques partis marxistes-léninistes, solidaire de la classe ouvrière de tous les peuples et nations opprimés. Cette solidarité est objective et ne peut manquer d’exister entre tous ceux qui luttent où que ce soit dans le monde. Mais si vous voulez parler de liens de solidarité économique, nous n’en avons pas avec les organisations étrangères. Ni non plus de liens de solidarité politique organisée.
Nous ne maintenons de relations officielles avec aucun parti communiste étranger. Nous établissons seulement avec eux des rapports fraternels d’échange de matériel et d’expériences, et d’étude.
− Question : Quels sont, par exemple, les partis étrangers avec lesquels vous avez entrepris un échange de correspondance ?
− A. M. : En général nous n’avons même rencontré aucun de ces partis. Nous comptons avant tout sur nos propres forces. Mais toutes les fois que ces partis demandent à nous rencontrer, comme cela s’est produit depuis le 25 avril, nous les recevons cordialement et fraternellement ; mais ce n’est pas à notre Mouvement ni à la classe ouvrière portugaise de déterminer s’ils sont ou non l’authentique avant-garde révolutionnaire de leurs pays respectifs.
C’est le cas pour un certain nombre de partis marxistes-léninistes européens, sud-américains, et même africains, pour lesquels le problème de la direction politique de leur classe ouvrière et de leur peuple n’est pas encore résolu.
Nous ne maintenons aucun rapport non plus avec le Parti communiste de Chine, ni avec le Parti du travail d’Albanie. Nous nous contentons d’apprendre de leur expérience autant que cela nous est possible, à travers la propagande qu’ils diffusent en direction de tous les peuples du monde.
− Question : Quelles sont, à l’heure actuelle, les relations du M.R.P.P. avec les mouvements de libération des ex-colonies portugaises ?
− A. M. : Nos relations sont actuellement dans une phase « basse ». Le 25 avril, le seul parti qui menait dans notre pays une lutte conséquente contre l’impérialisme, le colonialisme et la guerre était le M.R.P.P. Beaucoup d’actuels militants du M.P.L.A., du P.A.I.G.C., et du Frelimo ont milité dans nos organisations et parmi eux, quelques-uns qui ont aujourd’hui des fonctions de direction dans ces mouvements.
Cela représentait une modeste contribution de notre part dans le soutien à la lutte des peuples frères des colonies ; la plus grande aide que nous puissions leur apporter étant de mobiliser notre peuple pour qu’il appuie leur combat, et de lutter contre toutes les idées racistes, chauvines, colonialistes et néo-colonialistes que les partis opportunistes s’efforçaient de faire pénétrer dans la tête des masses de notre propre pays.
Aujourd’hui les intérêts des peuples des colonies sont des intérêts très concrets et très réels. Dans les circonstances actuelles, notre Mouvement n’étant pas un parti de gouvernement, c’est à eux principalement de veiller à leurs propres intérêts.
Etablir des liens de fraternité, quels qu’ils soient, avec notre Mouvement peut se heurter, de leur point de vue, à diverses difficultés.
Nous pensons que telle a dû être la raison pour laquelle leur attitude a changé depuis le 25 avril, certains de ces mouvements de libération des colonies appuyant nettement le parti révisionniste (ce n’est pas le cas du FRELIMO), chose qu’ils n’avaient jamais faite jusqu’alors, le considérant comme un parti traître à la lutte de leurs propres peuples.
− Question : Du point de vue économique, comment Arnaldo Matos voit-il les conséquences, pour le Portugal, de la chute de l’empire colonial ?
−A. M. : II existe deux économies. Du point de vue de l’économie de la bourgeoisie, de l’économie dominante dans notre pays, ce fait a représenté, sans aucun doute, un coup profond, un coup qui va déterminer l’aggravation de la crise du système d’exploitation qui existe dans notre pays. D’autant plus que cette crise n’est pas uniquement celle du capitalisme portugais, mais celle de l’impérialisme mondial et du social-impérialisme.
Les pays impérialistes qui dominent notre pays vont donc répercuter sur notre peuple leurs propres difficultés, ces dernières venant accroître irrémédiablement les difficultés de l’économie bourgeoise dans notre pays.
Il s’agit donc d’un coup profond pour cette économie, pour la domination politique de la classe dominante. Du point de vue de la révolution, cette situation ne fait qu’activer son développement, en aggravant les contradictions fondamentales.
Pour la classe ouvrière et le peuple, la chute de l’empire colonial a donc été une très bonne chose : elle a lancé notre peuple à la conquête d’une émancipation qu’on le contraignait jusqu’à présent à refuser aux peuples frères des colonies. Cela lui a ouvert les yeux et lui a appris, par l’expérience, qu’il ne pourra de fait se libérer qu’en osant recourir aux armes, et les tourner contre ses actuels exploiteurs.
− Question : Voulez-vous dire un mot de ce que vous pensez sur la nationalisation des banques et des assurances ?
− A. M. : Les revendications fondamentales de nationalisation des banques accompagnée de la création d’une banque unique, de nationalisation des assurances et de toutes les entreprises qui jouent un rôle important, ou qui sont d’intérêt national, sont inscrites dans notre programme.
Mais la nationalisation telle qu’elle se déroule n’est pas de celles qui intéressent la classe ouvrière et le peuple. On ne peut pas parler de nationalisation sans se poser la question du pouvoir, et sans savoir quelle est la classe qui nationalise.
Comme le pouvoir qui existe actuellement est le pouvoir de la bourgeoisie, ces nationalisations sont purement bourgeoises. Ce ne sont pas des nationalisations populaires, et elles ont tout l’aspect de nationalisations des misères.
Notre pays est un pays dominé par l’impérialisme étranger, principalement américain. Or le capital impérialiste n’a pas été nationalisé. Il ne l’a pas été et, compte tenu du système de domination actuel de l’impérialisme, il ne pourrait pas l’être, parce que quand des nationalisations ont lieu, tout particulièrement dans le cas portugais, c’est un peu comme nationaliser un sac qui aurait l’air plein, et qui en définitive serait vide.
Pourtant il existe deux sortes de nationalisations. La nôtre, qui ne peut être réalisée que par les ouvriers et les paysans au pouvoir. Et la leur, nationalisation de secteurs déficitaires, en faillite, qui ne leur permet pas un contrôle réel, efficace, sur ce qui est principal en ce cas : l’impérialisme américain, qui n’est touché, comme ils disent, par aucune de ces nationalisations.
Ce genre de nationalisation n’est pas ce qui intéresse le peuple, d’autant plus que la classe ouvrière n’exerce aucun contrôle, même au niveau de l’entreprise, sur le capital nationalisé. Elle se trouve toujours exclue. C’est l’Etat des patrons qui nationalise.
Du point de vue de la théorie, c’est une question que Marx lui-même, bien qu’il ne vive pas à notre époque, avait envisagée et prévue, quand (sauf erreur dans le livre II du Capital) il rappelle que l’Etat ne cesse pas d’être celui des capitalistes par le seul fait que la propriété privée individuelle cesse d’exister. Il admet, du point de vue théorique, qu’il peut exister une propriété privée collective de classe.
Et c’est ce que la bourgeoisie essaie de créer, ici, maintenant, sous l’impulsion politique du parti révisionniste en particulier : celui-ci s’efforce de jeter les bases matérielles d’une bourgeoisie d’Etat, de type nouveau, comme elle existe en Union soviétique, pour fonder là-dessus l’essentiel de sa dictature social-fasciste.
− Question : Toujours dans le cadre de la réflexion sur l’économie : le ministre Mélo Antunes a été un peu le précurseur d’un virage du Portugal vers les pays du « tiers monde ». Voulez-vous ajouter quelque chose sur ce sujet ?
− A. M. : La pensée politique du ministre Mélo Antunes, aux prises avec la question du virage vers le tiers monde, présente la curiosité suivante : quant à nous, nous soutenons que le peuple portugais doit établir, sur un pied d’égalité et en accord avec les principes de la coexistence pacifique, des relations avec tous les peuples du monde, et en particulier avec les peuples exploités, comme le nôtre, par l’impérialisme et le social-impérialisme.
Mais dans la tête du ministre Mélo Antunes, le virage vers le tiers monde, c’est un peu xm virage vers une « troisième voie ». Il n’est pas à proprement parler à la recherche des alliés principaux, parmi les autres peuples et nations, il est à la recherche d’une troisième voie pour sauver le capital.
Du reste, son Programme économique d’urgence est l’image exacte de cette « troisième voie ». Il n’est pas possible, dans les conditions actuelles de la crise du système impérialiste, d’adopter un programme capitaliste comme il le propose, tout en appelant les pays du tiers monde à « remédier » aux difficultés du peuple portugais.
Cette illusion petite-bourgeoise du ministre Mélo Antunes et de ses confrères est vouée à un échec complet, aussi bonnes que soient les intentions de ces gens-là, qui ne sont pas ici mises en cause.
Pour conclure, nous pensons donc que doivent être établies des relations correctes avec les peuples du tiers monde, qui sont des alliés tout à fait importants pour le peuple portugais. Mais ce n’est pas en les appelant à supporter nos propres difficultés que les choses avanceront.
− Question : D’un côté l’Espagne franquiste, de l’autre l’O.T.A.N…. A cause de cela, on parle beaucoup d’un probable « coup à la Pinochet ». Etes-vous d’accord avec cette analyse ?
− A. M. : Les conditions pour l’instauration d’une dictature fasciste, de type Pinochet au Chili, existent dans notre pays, encore que, la situation étant très différente, les caractéristiques formelles d’une dictature fasciste au Portugal ne pourraient être identiques à celles du Chili.
Mais l’essence d’une telle dictature est toujours la même, et les conditions pour qu’elle s’établisse existent, à la suite de la dispute intense pour l’hégémonie sur notre pays où s’affrontent le bloc impérialiste et le bloc social-impérialiste.
Il est évident que dans la mesure où les social-impérialistes et les impérialistes tentent de rediviser entre eux notre pays, cette lutte ira en s’intensifiant : dans ce cadre, il est tout à fait possible que les intérêts impérialistes menacés en viennent à fomenter toute une série de coups fascistes, y compris l’instauration d’une dictature de type Pinochet. Cela est d’autant plus possible que c’est l’armée qui détient le pouvoir. C’est une dictature militaire qui existe en ce moment dans notre pays.
La possibilité que cette dictature, écartant la feuille de vigne que représentent les partis de la coalition, se transforme en dictature militaire ouverte est une possibilité réelle ; cela peut se produire à brève échéance, et c’est encore une chose que les petits-bourgeois ne veulent pas voir.
Nous pensons que l’interdiction de notre mouvement et une série de mesures contre-révolutionnaires prises récemment sont un pas important dans la perspective de l’instauration d’un tel type de dictature, peut-être même sans qu’il faille attendre de longs mois.
Toutefois, nous estimons aussi que la révolution se développe à son tour, au fur et à mesure que la contre-révolution a davantage de fermeté et de cohésion, et que l’alternative qui s’offre au peuple portugais c’est aussi bien la prise du pouvoir par la classe ouvrière que l’instauration d’un Pinochet.
Les conditions sont un peu difficiles, mais la classe ouvrière peut prendre conscience, et, si elle est bien dirigée par les marxistes-léninistes, c’est l’alternative de la prise du pouvoir qui sera la plus réelle.
− Question : Dans le cadre qui vient d’être tracé, il nous semble que nous pourrions revenir sur une certaine histoire, mal racontée, du Chili dans notre pays.
− A. M. : II existe en effet une histoire du Chili mal racontée, c’est-à-dire une histoire racontée selon certains points de vue de classe. Chaque classe a sa manière de voir l’histoire, et, donc de voir l’histoire du Chili. Dans notre pays, le Chili est vu comme une histoire qui s’est achevée sur Pinochet à cause des « gauchistes ».
Et c’est cet épouvantail du « gauchisme », sans aucune autre qualification, qu’on brandit devant la classe ouvrière et le peuple pour qu’ils s’agenouillent, qu’ils acceptent les croûtes que les impérialistes et les grands capitalistes ont l’intention de leur jeter …
De notre point de vue, il y a une manière différente de raconter cette histoire : il faut parler de la conciliation, de la trahison des partis petits-bourgeois, de la trahison de tous les philistins, qui a conduit au désarmement idéologique de la classe ouvrière et du peuple (désarmement qui est plus dangereux encore que le désarmement militaire).
Voilà quel est, de notre point de vue, la véritable histoire du Chili. Mais nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’au Chili. Il suffit de se souvenir de 1910, et de l’instauration de la dictature fasciste en 1926. La démocratie petite-bourgeoise a tergiversé autant qu’elle a pu, et un beau jour, trompant les masses, elle a aidé à instaurer une dictature fasciste, venant plus tard gémir que c’est la classe ouvrière qui l’a laissée s’instaurer. Il vaut mieux avoir l’œil fixé sur notre propre histoire que sur celle des autres peuples.
− Question : A ton avis, les conditions pour le déclenchement d’une guerre civile sont-elles en ce moment réunies ?
− A. M. : Toutes les conditions pour qu’une guerre civile éclate sont réunies dans notre pays. En général celle-ci ne se déclenche pas quand la classe ouvrière y est préparée et l’attend. La guerre civile a deux aspects : la révolution et la contre-révolution, qui prend l’initiative pour essayer de brûler le terrain, avant que se développe la révolution.
Mais les conditions ici réunies sont parmi les meilleures, car le Portugal est un cas « sui generis » : dominé par l’impérialisme américain et européen, dans les années soixante, en vertu de la loi de développement inégal des pays capitalistes, on a assisté à une domination de l’impérialisme européen sur l’américain, ce qui a exacerbé les disputes entre les deux impérialismes.
L’apparition au Portugal d’un troisième secteur de l’impérialisme, le social-impérialisme révisionniste soviétique, a vu croître une lutte acharnée entre vautours pour se partager la proie. Mais, même sans ce fait-là, toutes les conditions sont réunies pour que la guerre civile puisse éclater.
Chacun des secteurs de l’impérialisme domine un secteur de l’appareil d’Etat, de l’appareil militaire, et contrôle une clientèle politique au niveau de l’appareil d’Etat. Ces intérêts sont tous représentés, au point que, sur toutes les questions importantes, ils ne manquent pas de faire connaître leur aV1s.
De là vient qu’aujourd’hui, dans notre pays, aucune question politique d’importance n’est tranchée sans que, à l’intérieur de l’armée, les trois secteurs comptent les « chars », les fusils, les mitrailleuses et les grenades qu’ils peuvent avoir à utiliser, et ceux auxquels ils peuvent avoir affaire. Cela crée évidemment des conditions propices à une guerre civile.
En même temps, par ailleurs, et c’est cet élément qui est fondamental dans le cas de notre pays, une partie de la classe ouvrière, douée d’une grande énergie révolutionnaire, et ayant ouvert les yeux, particulièrement au cours des mois écoulés depuis le 25 avril, est décidée à mener la révolution à son terme, et à ne pas en rester à moitié-chemin.
Toutefois, le secteur du peuple qui a encore des illusions parlementaires, des illusions sur la démocratie instaurée, est encore grand. Si la classe ouvrière ne rallie pas ce secteur encore trompé, il sera impossible que la révolution se développe impétueusement et prenne la voie de la lutte armée.
Mais les conditions objectives de ce ralliement vont se développer : la catastrophe économique est imminente, et la bourgeoisie ne pourra se sortir de là par les seuls cantiques doucereux qu’elle nous fait entendre.
Le secrétaire général du M.R.P.P. a adressé en terminant un message à tous les militants, à la classe ouvrière et au peuple portugais.
− A. M. : Je voudrais adresser mon message à la classe ouvrière et au peuple pour leur demander de méditer profondément sur les particularités de l’actuelle situation politique portugaise.
Leur destin est entre leurs mains, ce n’est ni à coup de rumeurs, ni à coup de calomnies qu’on résout les questions politiques, voilà ce dont il est nécessaire de prendre conscience. La classe ouvrière, et les communistes à sa tête, doivent aborder la réalité avec une méthode scientifique, et observer les choses avec l’intention de les résoudre et d’avancer.
Si le secteur du peuple qui a encore des illusions les conserve longtemps, et s’il se laisse tromper par la démagogie des partis opportunistes, philistins et traîtres, notre situation va s’aggraver et devenir de plus en plus dure. Si, au contraire, sa conscience se développe rapidement, et cela dépend pour l’essentiel de notre travail, l’accouchement sera peut-être douloureux, mais ce sera un accouchement heureux.
Unir et mobiliser toutes les forces pour détruire le pouvoir qui opprime la classe ouvrière et le peuple, voilà l’objectif que se fixe mon parti, dans une conjoncture où la crise est parvenue à un tel degré d’aiguisement qu’il est impossible de la faire revenir en arrière.