La commission du programme a tenu plusieurs séances avant le commencement de l’Exécutif élargi. Nous commençons la publication des matériaux les plus importants extraits du procès-verbal des débats.
(La Réd)
Caractéristique générale de la période de transition.
(Rapporteur Boukharine)
1) Les processus fondamentaux et les processus secondaires.
Sous cette rubrique, je comprends l’ensemble du processus de formation d’un nouveau régime :
a) la révolution véritablement prolétarienne, considérée dans toutes ses phases, qui a le prolétariat comme force dirigeante, en un mot la révolution prolétarienne classique ; ensuite
b) la fusion de cette révolution prolétarienne avec les insurrections paysannes, ainsi que Marx l’a formulé. Marx a dit que la combinaison la plus heureuse est la révolution prolétarienne jointe à la guerre des paysans. Par conséquent, insurrection du prolétariat avec une révolution agraire ;
c) les guerres nationales, les insurrections coloniales.
Ces processus peuvent être mis en lumière dans notre projet de programme avec leurs influences réciproques. La décomposition de puissances impérialistes base de la création du nouveau régime de la dictature prolétarienne.
2) La modification du sens objectif de ces processus, considérée du point de vue de l’ambiance historique générale.
Au cas où un mouvement révolutionnaire national quelconque reste isolé, il ne constitue pas une partie intégrante du processus général de la révolution mondiale. Il en est tout autrement, s’il peut être considéré comme une partie Intégrante de la révolution mondiale.
3) Le degré de maturité variable des divers pays au point de vue de la préparation du socialisme.
Ce point est en connexion avec les précédents. Il y a différents degrés et différentes transitions dans la maturité des divers pays. Par exemple la Russie. On a beaucoup discuté si nous avons ou non une base matérielle pour le socialisme. Il est évidant que la Russie forme un type où toutes les conditions préalables ne sont pas mûres, mais néanmoins le prolétariat, ayant remporté la victoire, a la possibilité, sinon rapidement, du moins peu à peu, d’évoluer vers le socialisme. Cette question a été traitée dans un des derniers articles de Lénine. Je pense qu’elle est très importante pour comprendre la diversité des processus de la révolution.
4) Les divers types du socialisme et du capitalisme.
Il est clair que le fondement nécessaire pour la révolution, d’un côté, et pour les phases initiales du développement socialiste positif, d’autre part, se trouve au terme de l’évolution du capitalisme, si l’on se place au point de vue d’une analyse tout à fait abstraite.
Au point de vue de la pratique, nous devons distinguer différents types. Le capitalisme, qui existe depuis plusieurs siècles, accuse à la fin de son développement des traits divers et originaux. Comparons par exemple le capitalisme en France et aux Etats-Unis, ils sont tous les deux à leur déclin − non pas au sens direct, mais d’un point de vue général, historique − mais nous voyons qu’ils sont très différents. Le capitalisme français adopte le type rentier. On peut poursuivre plus loin les recherches. Je ne donne ici que des indications générales. Mais de ces réflexions il découle avec une clarté absolue que les phases initiales du socialisme présenteront également des types originaux. La structure sociale économique du pays joue un rôle décisif.
En Russie par exemple, la structure de la phase initiale du socialisme est fortement influencée par la paysannerie, la petite bourgeoisie. On dit socialisme asiatique. Ces traits ne se retrouveront pas, par exemple, en Angleterre. Les traits spécifiquement russes sont par exemple le rôle de la coopération, le problème de la paysannerie sous l’hégémonie économique de l’Etat révolutionnaire. Le crime des social-patriotes consiste à déduire de là l’impossibilité de la révolution. Nous ne devons pas considérer l’ensemble du processus trop schématiquement ni craindre que dans les pays arriérés le socialisme revête économiquement des formes arriérées.
5) La transformation de dictature prolétarienne en socialisme.
J’ai fait à ce sujet un exposé au 4e Congrès.
Après la conquête du pouvoir, commence une phase d’évolution. Le bouleversement révolutionnaire crée les conditions préalables du développement ultérieur.
Ce dernier suit des lois autres que le processus qui précède la conquête du pouvoir. Le terme « d’avènement du socialisme » a été quelque peu déformé parce que les réformistes en ont abusé.
Leur crime consiste à prétendre résoudre le problème du socialisme avant la dictature, alors que les conditions préalables n’existent pas encore. Chez eux, il s’agissait d’un passage au socialisme sous le régime de l’Etat capitaliste, ce qui s’est exprimé de la façon la plus claire au moment de la guerre. Le tremplin − la dictature − fut écarté. C’était une orientation complètement erronée à laquelle on donnait le nom d’avènement du socialisme, alors que ce n’était en réalité qu’une transformation dans l’Etat bourgeois.
On ne doit pas laisser se banaliser cette pensée. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas se produire de troubles ni de catastrophes dans la phase initiale du socialisme : les contre-révolutions qui retardent Je processus général sont possibles. D’un autre côté il peut surgir des conflits sociaux qui ne revêtent aucun caractère progressif particulier ; nous avons eu, par exemple, en Russie des insurrections paysannes où les riches paysans se sont coalisés avec les conspirateurs bourgeois. Ces phénomènes, qui ne sont autre chose que les convulsions de la phase initiale au sens étroit de ce mot, ne changent nullement la position de la question générale en ce qui concerne la ligne d’ensemble. Toutes ces catastrophes ne se trouvent pas dans la direction du socialisme, mais au contraire dans un processus d’éloignement du socialisme.
Ces considérations sur la transformation socialiste doivent être considérées de différents points de vue :
1) du point de vue de la politique, le dépérissement de l’Etat. (Dans la première période la courbe de lit formation de l’Etat prolétarien s’élève continuellement).
2) en ce qui regarde l’économie, la lutte entre le capitalisme privé, l’économie petite-bourgeoise, etc.… ; ce n’est pas un processus de destruction catastrophique, mais au contraire de guérison.
3) la formation d’une nouvelle génération. Marx a écrit que pendant cette période de guerres civiles, de guerres nationales, de guerres de classes le prolétariat changera sa propre nature. La politique, la forme économique, la modification de la nature du prolétariat, tous ces processus sont de nature évolutive. Il s’ensuit que toute tentative de développement catastrophique est contre-révolutionnaire.
6. La logique particulière de ce processus. On doit faire ici une distinction de principe. Le développement capitaliste n’est autre chose que la reproduction de plus en plus intense des contradictions du capitalisme, et, par conséquent, la cause principale du déclin du capitalisme. C’est là une conception essentiellement différente de celle des réformistes. Après la conquête du pouvoir, nous n’avons plus la reproduction toujours plus accentuée des contradictions, mais, au contraire, leur limitation. Nous ne pouvons d’un seul coup anéantir toutes les contradictions du capitalisme existant. Nous ne pouvons pas, aussitôt après la conquête du pouvoir, tout organiser. Les crises dans la phase initiale de l’économie socialiste qui s’organise sont des phénomènes absolument inévitables. Les contradictions sociales ne peuvent être surmontées que peu à peu. La différence principale consiste en ce que nous avons une autre logique du développement social.
7. Le bloc des travailleurs sous l’hégémonie du prolétariat.
Dans la dernière phase du capitalisme il existe un bloc entre les deux fractions des classes possédantes, les magnats de l’industrie et les grands propriétaires fonciers. Il y a entre eux des contradictions objectives, cependant dans la dernière phase du capitalisme ils se comportent comme une masse relativement compacte.
En opposition à ce bloc, se présente celui du prolétariat et de la paysannerie. Nous avons la répercussion pratique de cette théorie dans la question coloniale.
8. Le problème culturel, dans cette période. Cette question n’est pas seulement importante au point de vue de la préparation à la conquête du pouvoir, elle joue encore un grand rôle après la conquête du pouvoir. En nous plaçant à ce point de vue, nous trouvons une différence essentielle entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne. Le système bourgeois s’est développé dans le giron du régime féodal. L’appareil général du capitalisme, toute la hiérarchie capitaliste, non seulement les producteurs, mais aussi les dirigeants du processus de production tout était là. La bourgeoisie sous l’hégémonie féodale n’est pas une classe d’exploités mais au contraire une classe d’exploiteurs. Elle donne sous forme d’impôts une partie de son gain, mais elle exploite elle-même le prolétariat. Au point de vue économique elle n’est pas exploitée, elle est seulement opprimée, partiellement, au point de vue politique, et culturellement elle n’est pas opprimée. Toute la culture se réfugie dans les villes.
Le processus est tout à fait différent dans la révolution prolétarienne. Nous ne le voyions pas autrefois et les social-démocrates ne le verront jamais. Le fondement du socialisme est la technique, la science, la classe ouvrière elle-même. Mais les cadres dirigeants au point de vue économique, ne peuvent pas mûrir dans le giron de la société capitaliste. Ce serait une contradiction essentielle. Le socialisme croit dans le capitalisme tout autrement que le capitalisme dans la société féodale. La classe ouvrière n’est pas seulement opprimée politiquement, mais encore économiquement et intellectuellement.
Quelques camarades − par exemple Bogdanov − ne sont pas de cet avis. Bogdanov dit que le prolétariat, grâce au développement des machines, se rapproche de plus en plus de l’ingénieur. Cela n’est pas vrai, car avec la valeur technique de l’ouvrier s’élève parallèlement celle de l’ingénieur, C’est pourquoi le prolétariat, avant la conquête du pouvoir a besoin de collaborateurs dans les autres couches sociales et aussi parmi les intellectuels bourgeois. Le problème devient encore plus aigu après la conquête du pouvoir. Nous n’avons ni géologues, ni ingénieurs, ni mathématiciens, ni professeurs. La question des spécialistes, la question de l’invitation de spécialistes étrangers se poseront. La formation de cadres qualifiés intellectuellement au sein du prolétariat est une très grosse question.
Kautsky dit dans son dernier ouvrage : La période de transition consiste dans un Gouvernement de coalition, mais, à ce propos, il ne parle pas une seule fois de l’économie. Sous un Gouvernement de coalition, nous ne pourrons jamais résoudre le problème de la culture.
9. La dégénérescence possible de la révolution prolétarienne.
La manque d’intellectuels au sein du prolétariat entraîne nécessairement l’engagement de spécialistes bourgeois. Ce problème, à mon avis, est celui de toute révolution prolétarienne quelle qu’elle soit ; il n’est pas spécifiquement russe, il ne peut y avoir de différence que dans les proportions. La maladresse et l’ignorance de notre Gouvernement doivent être, attribuées au fait que le prolétariat n’avait aucune expérience et ne pouvait en avoir aucune. Comme nous sommes obligés à faire appel à des individus hostiles dans la phase initiale du socialisme, il peut arriver que ces spécialistes avec quelques-uns des nôtres s’écartent du but général du mouvement socialiste. La supériorité intellectuelle de gens qui nous sont hostiles et qui nous sont en même temps socialement nécessaires, peut entraver tout développement.
Ce problème doit être résolu par la formation de cadres à nous, mais cette solution n’est pas encore définitive, car ces cadres eux-mêmes tendent à se transformer en une autre classe ; en de nouveaux intellectuels composant une nouvelle bourgeoisie. Où est en effet la garantie que ces cadres qui se forment garderont toujours un contact étroit avec les nouvelles couches prolétariennes ? La question est donc double
Premièrement, la création de cadres à nous,
Deuxièmement, exhaussement du niveau culturel de la masse tout entière et par conséquent garantie d’une affluence permanente de nouveaux éléments prolétariens dans les cadres, ce qui à la fin rend superflue cette notion de cadres.
Toute révolution prolétarienne contient des tendances contradictoires. Lorsque nous les constatons, nous ne devons pas nous laisser aller à une crainte exagérée, puisqu’elles sont inévitables et qu’elles ne sont pas insurmontables.
10. Le problème de la production. Le fondement matériel du nouveau régime économique.
Ici nous embrouillions d’exagérations propagandistes nos considérations théoriques. Dans aucun pays, le prolétariat ne peut être assez mûr sous le joug capitaliste pour que sa passion révolutionnaire puisse coïncider avec l’amélioration du mode de production. En prêchant le perfectionnement de la production, nous ne réussirons jamais à attirer la haine des masses contre les capitalistes ; or c’est cependant la condition d’une révolution victorieuse.
Il est faux de croire que la production capitaliste dégénère parce qu’elle accumule trop. C’est précisément le contraire. Après la conquête du pouvoir nous pouvons nous attendre à une régression de la production, à un fléchissement du niveau d’existence du prolétariat. Cependant nous devons nous efforcer d’accumuler. Ce problème sera l’un des plus difficiles dans la phase initiale du socialisme.
En résumé :
1) La condition préalable la plus importante pour commencer une évolution sociale essentiellement différente est la conquête du pouvoir politique.
2) Création de la base matérielle économique.
3) Modification de la nature du prolétariat et ultérieurement de l’ensemble du matériel humain.
Telles sont les lignes essentielles de la période de transition.
Bela Kun : Qui nous garantit objectivement l’affluence de nouveaux éléments ouvriers dans le cercle des nouveaux intellectuels ?
Boukharine : Cette question est très intéressante. Il faudrait parler ici de ce qu’on appelle l’oligarchie. La bourgeoisie elle-même ne se gouverne pas directement elle-même, elle a ses partis et ses chefs. Par exemple, les rapports du cabinet de Lloyd George avec la bourgeoisie n’ont rien qui ressemble à une égalité de classe. On dit cependant que le bureau politique du P. C. R. gouverne la Russie et que le prolétariat n’a pas voix au chapitre. Mais il ne vient à l’idée de personne .de dire que Lloyd George est en haut et les capitalistes en bas, on ne voit pas là une différence de classes.
En quoi consistent les rapports sociaux nécessaires entre les chefs et la classe ?
Ils consistent dans les degrés différents de culture à l’intérieure d’une même classe. L’avant-garde de la classe est le parti. Dans le parti, il y a aussi des dirigeants, la soi-disant oligarchie. Dans le communisme, le rapport entre les « leaders » et les autres sera tout autre. Goethe est reconnu universellement comme le plus grand poète allemand, sans qu’on ait eu recours à l’élection. De même les hommes de génie seront ainsi reconnus socialement sans être désignés par des procédés spéciaux.
Ces rapports originaux peuvent dans certaines conditions se transformer en rapports de classes. Dans la bourgeoisie cela n’est pas possible, car la différence de culture entre les couches supérieures et moyennes de la bourgeoisie est bien plus petite qu’entre les dirigeants ouvriers et la moyenne prolétarienne. La seule garantie se trouve donc dans, l’élévation du niveau de culture du plus grand nombre possible de membres de notre classe. Le danger dont il est question plus haut ne deviendra pas aigu, si cette élévation se produit réellement. La condition préalable en est dans le monopole de l’éducation. Jamais le problème n’a été posé aussi clairement qu’à l’heure actuelle. Lénine a dit au 2e Congrès : le problème de la sélection des hommes est de première importance.
Dynamiquement il se pose ainsi chez nous : transformation de la psychologie des masses et création de nouveaux cadres.
Clara Zetkin. Il y a encore ici un f acteur à noter ; il ne s’agit pas seulement d’enlever le monopole de l’instruction à la bourgeoisie, il faut la volonté d’utiliser au maximum toutes les possibilités d’instruction. Mais qui peut nous garantir que cette utilisation se fera complètement ? Elle suppose une modification considérable de la psychologie des masses, l’abandon de la division du travail, de la séparation rigoureuse entre le travail manuel et le travail intellectuel. Les manuels ont une tendance à mésestimer les intellectuels. Si la séparation actuelle devenait encore plus rigoureuse, il n’en résulterait pas seulement une dégénérescence sociale, mais une dégénérescence de l’humanité. Cette séparation doit être amoindrie et anéantie. Ce n’est pas facile, mais il faut y arriver.
Varga. Il faut ici distinguer deux idées : la question de la maturité du prolétariat et la question des différents pays. Ces deux choses doivent être traitées en même temps. J’ai longtemps lutté pour que le programme, outre la construction dynamique de la transition du capitalisme au socialisme, donne aussi un tableau concret du monde avec ses caractères typiques. Cela est absolument nécessaire pour des raisons purement pratiques. Tous nos partis ont le défaut de consacrer les 99% de leur attention à leur propre pays.
Comment devons-nous classer ces types ? Il faut prendre en considération trois facteurs :
1) La maturité du pays ; a-t-il encore la perspective d’atteindre un niveau économique plus élevé au sein du capitalisme ?
2) Les pays où le capitalisme a atteint son apogée ou l’a même dépassé et dans lesquels la lutte pour le pouvoir est devenue aigüe.
3) Les pays où la lutte pour le pouvoir est déjà terminée.
Au sein des deux premiers groupes, il y a encore une division politique à faire, selon qu’il s’agit d’un pays impérialiste militant ou d’un pays objet du développement impérialiste.
Dans le premier groupe, celui des pays qui ont encore des possibilités de progrès, il arrive toujours que Je mouvement ouvrier n’est, pas encore assez fort, mais on y trouve des mouvements du genre du Labour Party, parce que le capitalisme se trouvant encore dans une phase ascendante, peut encore assurer des avantages à l’aristocratie ouvrière.
Dans les pays où l’apogée est déjà atteinte ou même dépassée, nous voyons des partis révolutionnaires en plein développement, parce que, économiquement la bourgeoisie n’est plus en état d’assurer un niveau d’existence convenable à la classe ouvrière et même à l’aristocratie ouvrière.
La formule que Boukharine propose de la distinction à faire entre le capitalisme américain et le capitalisme français, rentre dans le programme des pays particuliers. Nous ne devons noter dans notre programme que le degré de maturité révolutionnaire. L’idée principale de Boukharine sur les forces objectives qui peuvent nous garantir l’écroulement du capitalisme consiste dans cette loi dynamique que ses contradictions internes doivent se reproduire avec une intensité progressive. Ceci est vrai, mais nous devons vous soumettre l’idée que ces contradictions peuvent être surmontées. Nous avions avant la guerre mondiale 7 ou 8 Etats impérialistes. Il est possible théoriquement que finalement, après plusieurs guerres impérialistes, il reste un seul Etat impérialiste qui dominera tous les autres et par là même engloutira toutes ces contradictions. Nous ne devons pas donner à notre programme un caractère fataliste, ni dans le sens de Rosa Luxembourg, ni dans le sens que ces contradictions devraient nécessairement se compliquer de plus en plus. Nous devons souligner le rôle actif du prolétariat comme la principale et dernière garantie de victoire du prolétariat.
Dans les débuts de la dictature, il se produira un fléchissement du niveau de l’existence. Mais je pense qu’on peut insister sur la possibilité d’une production plus rationnelle que celle du capitalisme. On doit dire : tu travailleras moins pour une production plus grande.
La dernière question est celle du rôle des intellectuels dans la dictature. On peut la considérer sous deux aspects.
Boukharine dit que les différences s’atténueront avec l’élévation du niveau culturel et que, d’autre part, il y un abîme entre les intellectuels des couches dirigeantes dans le capitalisme et ceux de l’Etat communiste ou évoluant vers le communisme. Dans l’Etat Capitaliste, les couches dirigeantes jouissent de conditions matérielles excessivement raffinées. Cela doit disparaître dans un Etat socialiste et a disparu en Russie, où les intellectuels ne se distinguent en rien du prolétariat par leur niveau d’existence. A un degré de développement supérieur, il se produira tout naturellement le changement suivant : la force de production sera si grande que chaque ouvrier ne sera obligé de travailler que 3 ou 4 heures. Par suite la différence disparaîtra, puisque le travailleur pourra devenir aussi intellectuel que l’intellectuel spécialiste.
Thalheimer. 1. En qui concerne les différents types de pays, on doit faire une différence relativement aux formes possibles du passage au socialisme. Il faut noter avec soin les différences.
2. En ce qui regarde les détails dans lesquels nous pouvons descendre dans la description des différentes formes de transition, nous devons par exemple présenter avec la plus grande rigueur les revendications fondamentales, par exemple l’expropriation de la grande propriété· sans aucune indemnité.
Je pense que nous nous représentons tous que les révolutions allemande, anglaise et française ont offert certains caractères ; que la, révolution allemande nous en fournira encore d’autres, et que nous ne sommes guère en mesure de prévoir toutes les formes spécifiques possibles.
Deuxième question : la dégénérescence des intellectuels prolétariens dans la période de transition. Ici il convient de parler de la division du travail. Il y a séparation entre le travail manuel et intellectuel, entre la ville et la campagne, au sein de l’industrie et enfin au sein de chaque métier. Le danger de dégénérescence des intellectuels dépend en grande partie des relations entre les différentes classes et des types nationaux Une classe ouvrière de 20.000.000 de membres en face d’une classe paysanne de 15 millions offre un autre tableau que 3.000.000 d’ouvriers en face de 80.000.000 de paysans.
Dvoïlatski. Je voudrais poser une question sur le problème de la production : nous affirmons habituellement que la production tombe immédiatement après la révolution sociale. Cela est clair, mais le cam. Boukharine n’a pas posé aujourd’hui l’autre question : comment pouvons-nous garantir au prolétariat un niveau plus élevé d’existence ? Pour moi cette question doit figurer au programme parce que tout le réformisme nous attaque en affirmant qu’en Russie, aussitôt après la révolution, la production est tombée. Nous savons que cela doit être ainsi, mais où sont les moyens d’arriver à une production plus haute ? Nous pouvons parler, par exemple, de standardisation et de régularisation. Pour la production capitaliste, où la monopolisation n’est pas aussi avancée qu’en Amérique, cette standardisation ne peut pas être poussée aussi loin que dans la production socialiste.
En Allemagne, nous avons les couches supérieures de la bourgeoisie, comprenant au moins trois millions d’individus, dont le niveau d’existence est probablement 5 fois plus haut que celui du prolétariat.
Nous devons parler aussi d’une nouvelle division des forces productives. Dans la production capitaliste, une grande partie des forces productives travaille pour les articles de luxe, ce qui n’a pas lieu dans la production socialiste. Ce fait doit être formulé sous une forme quelconque. Nous n’avons pas besoin de parler de standardisation, mais nous devons indiquer quelques moyens pour relever la production. Une formule aussi générale que celle qui est donnée par Varga est véritablement insuffisante.
Boukharine : Conclusions.
Je suis moi-même pour la formule la plus prévoyante ? J’ai déjà touché dans mon rapport différentes questions, non pas parce qu’elles doivent toutes entrer dans le programme, mais parce que nous avons besoin de clarté.
Il est question ici simplement d’une introduction au programme. Elle doit consister simplement en une caractéristique générale de la période.
Ce qui a été dit au sujet de la standardisation, de la régularisation, appartient à une autre partie du programme. Dans une introduction nous devons formuler les tendances objectives de l’évolution et la façon de les surmonter, sans entrer dans le détail. Sinon, nous risquons déjà de tomber dans les prophéties.
En ce qui regarde les types de pays, Thalheimer a raison dans sa description des différents processus. Mais ce qui a été dit de la tactique n’appartient pas à cette section. Nous pouvons formuler que les processus seront originaux, ajouter peut-être une ou deux propositions et traiter ce point plus longuement dans la partie tactique.
La question du trust unique, posée par Varga… J’ai déjà traité cette question au point de vue théorique dans mon livre : « L’Economie Mondiale et l’Impérialisme ». Au point de vue concret, ce pronostic d’un trust unique est purement académique. D’ailleurs il ne rentre pas dans l’introduction, il appartient à un autre point.
En ce qui regarde la production, on a confondu ici deux parties du programme. Toutes les peintures en rose appartiennent à la description de la société communiste. Si nous formulons la transformation du système de production à l’échelle mondiale, dans la partie générale, nous tombons de nouveau dans les prophéties. Nous courons le danger d’une construction rationaliste.
On peut en dire autant du problème de la consommation improductive. Dans la phase initiale, la consommation improductive s’accroîtra. Nous ne pouvons reconstruire immédiatement et d’une façon rationnelle le nouvel appareil. Dans la société communiste, il peut y avoir certains facteurs favorables : disparition du militarisme, disparition des frais de la lutte de classes, etc.
De même sur les différentes questions de détail, à propos des possibilités de dégénérescence des intellectuels, variables selon les différentes structures sociales, nous ne pouvons fournir de détails.
Dans cette partie introductive, nous ne devons faire’ entrer que des propositions absolument sûres, acceptées par tous les camarades, et ces propositions doivent être formulées brièvement. Je tenterai d’exposer par écrit mon rapport et, en second lieu, d’écrire textuellement le projet. Les camarades donneront leurs explications également par écrit.