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Il y a 80 ans en Allemagne naissait l’Action antifasciste face aux SA. Ce fut un événement historique, d’une grande transcendance. Tant l’Action antifasciste que son symbole ne relèvent pas du folklore pour compenser un manque de contenu (comme certains le font), c’est toute une conception unitaire et stratégique face au fascisme.
De tous les aspects de l’histoire de l’Allemagne qui sont difficiles à comprendre pour les personnes non-allemandes, c’est la question de la SA qui est la plus dure, la plus lointaine de leur vécu.
Les SA, cela a été pratiquement du jour au lendemain des centaines de milliers de personnes, puis des millions, engagées de manière para-militaire sous le drapeau national-socialiste et menant sur une base régulière une politique d’attaques violentes ou terroristes.
L’acronyme « SA » désigne en allemand Sturmabteilung, soit « Bataillon d’Assaut » en français. Les SA disposaient d’un uniforme (à partir de 1932, c’est la marque Hugo Boss qui habille les organisations nazies) et étaient encadrés de manière paramilitaire.
L’engagement d’un individu dans les SA devait être total, se confondre avec la cause ; appuyé par des forces capitalistes sur le plan financier, par l’armée pour les armes, par la police pour la mansuétude de la répression, par la justice bourgeoise pour la mansuétude des condamnations, les SA étaient les fameuses « chemises brunes », les troupes de choc d’Adolf Hitler.
Le nombre de SA grandit lentement, de quelques milliers dans les années 1920 jusqu’à 60 000 en 1930.
Les 17 et 18 octobre 1931, toutes les forces ultra-conservatrices et nazies défilent à 100 000 dans la ville de Braunschweig, qui avait alors 150 000 personnes y habitant (le nombre de 100 000 était également celui de la dimension tolérée de l’armée allemande par les vainqueurs de la première guerre mondiale ; la presse internationale fut marquée par l’important nombre de cette force « parallèle »).
La ville était sous contrôle, les opposants écrasés ; il y eut plusieurs morts dans les rangs progressistes. Il y avait là une première « conquête » ; dans cette perspective de militarisation et avec les faibles avancées nazies aux élections font qu’alors il est donné libre cours aux SA.
Ceux-ci disposaient d’ateliers, de leur propre marque de cigarettes, de lieux pour dormir, Le nombre de SA passe à 455 000 en 1932, années où l’Allemagne connaît 612 0000 personnes au chômage (soit un peu plus de 16 % de la population).
Il faut s’imaginer ce que représente dans un pays 455 000 personnes menant des attaques violentes contre les personnes progressistes.
Et il ne faut pas penser que les SA ont vu leur progression s’arrêter avec la prise du pouvoir du parti nazi en 1933. Les recrutaient sur une base populaire, pour mener une « révolution national-socialiste ».
L’écrasante majorité de ses membres avaient moins de 30 ans (ce qui relativise la théorie comme quoi les nazis seraient simplement des soldats démobilisés après 1918 se « reconvertissant » dans « l’extrémisme »).
Avec l’effet boule de neige dans les masses, les SA atteignent le chiffre de 4,5 millions de personnes au milieu de l’année 1934. Les SA, soutenus notamment par l’entreprise IG Farben et représentant une certaine fraction de la grande bourgeoisie contre une autre, sont alors liquidés.
C’est dans ce contexte de progression des SA que naît l’Action antifasciste.
Le KPD – Parti Communiste d’Allemagne – avait développé la RFB, Roter Frontkämpferbund, l’Union des Combattants du Front Rouge, troupes de choc du Parti devant au fur et à mesure se transformer en Armée rouge.
Mais le KPD ne devait pas qu’affronter les nazis, il devait également affronter le SPD – parti socialiste – qui était violemment anti-communiste, participait aux institutions et soutenait la répression à l’encontre du KPD.
La ligne du KPD était ainsi bien sûr de gagner la base socialiste et de rejeter totalement la direction du SPD, considéré comme « social-fasciste. » La social-démocratie était vue comme l’obstacle à l’unité des masses pour la révolution.
Le problème étant, avec la progression des SA, que le SPD ne faisait pas que s’opposer à la révolution, ce qui théoriquement ne faisait que perdre du temps par rapport à l’inévitable révolution. Ce qu’il faisait également, c’est s’opposer à la lutte antifasciste, de plus en plus vitale.
Ainsi, suite à la manifestation de force nazie de Braunschweig en octobre 1931, la social-démocratie unifia ses forces dans le Eiserne Front, le front de fer.
Cette organisation reprit comme symbole les « trois flèches », symbole républicain anti-nazi et anti-communiste ; la social-démocratie refusait toute alliance avec les communistes.
La perspective de l’Action antifasciste était inversement d’unifier le plus largement face aux fascistes.
Le prétexte à la naissance de l’Action antifasciste fut un affrontement extrêmement violent entre nazis et communiste au parlement de Prusse, le 25 mai 1932, qui se solda par des blessés graves. Le KPD lança un appel à l’action antifasciste et des comités furent créés dans tout le pays.
Ces comités eurent un grand succès, car les nazis attaquaient toutes les personnes progressistes, qui par conséquent faisaient face à la même situation et s’entraidaient.
Le 8 juillet 1932, 20 socialistes furent invités au bâtiment central du KPD pour poser des questions au secrétaire général du KPD, Ernst Thälmann, au sujet de l’antifascisme. Les questions et les réponses furent publiées dans une brochure, servant de base pour pousser à la constitution de l’Action antifasciste.
La réponse de Thälmann sur ce que devait être celle-ci était très claire :
« Elle est un point de ralliement au-dessus des partis pour une lutte sans merci contre le fascisme des travailleurs qui y sont prêts.
Ce n’est pas une organisation, mais un mouvement de masse. C’est un courant, où se jettent toutes les forces combattantes qui veulent vraiment mener la lutte, l’attaque de masses contre le gouvernement actuel, qui mène la mise en place à court terme de la dictature fasciste.
La direction des comités d’unités formés dans les usines, dans les rues etc, doit évidemment être dans les mains des travailleurs voulant lutter eux-mêmes ».
Lors du congrès de fondation de l’Action antifasciste à Berlin les 10-12 juillet 1932, il y eut ainsi 1550 délégués : 379 communistes, 132 socialistes et 954 sans parti.
Le symbole de l’organisation fut deux drapeaux rouges, représentant les communistes et les socialistes.
Dans le document publié en 1932, « Que veut l’action antifasciste ? », on peut lire :
« L’Action antifasciste ne permettra pas que soit établie sur l’Allemagne la dictature fasciste, que les les organisations de classe du prolétariat soient détruites et interdites, que tous les droits de la classe ouvrière soient piétinés, que la sécurité sociale et toutes les réalisations du mouvement ouvrier soient éradiquées.
L’Action antifasciste organise dans le Front Uni le plus large possible l’auto-protection de masse rouge décidée des ouvriers, des chômeurs et des travailleurs en Allemagne.
L’Action antifasciste veut la lutte de masse de tous les travailleurs conscients, de tous les Combattants antifascistes de la liberté pour la défaite totale du fascisme hitlérien, pour la reconquête des millions de travailleurs trompés par les nationaux-socialistes ».
A partir de là, lors des meetings ouvriers de lutte, on pouvait voir des socialistes prendre la parole, voire des SA. Un aboutissement très connu en Allemagne est la grande grève des transports en commun de Berlin, en novembre 1932.
Sur les 22 000 personnes qui y étaient salariées, 1200 étaient liées au KPD et 1200 aux nazis, et la grève devait « ramener » les ouvriers trompés par les nazis. Si la grève fut un échec relatif, elle permit au KPD de prendre l’ascendant ; si le parti nazi avait soutenu la grève, il fut incapable d’initiative réelle et cela posa de surcroît de nombreux problèmes par rapport à ses appuis bourgeois.
Mais la direction socialiste sabota autant que possible le projet, condamnant systématiquement les personnes participant à l’Action antifasciste.
Le résultat fut le triomphe nazi en juillet 1932 lors d’élections marquées par l’offensive générale de la SA (affrontements systématiques, faisant pratiquement 100 morts).
Avec une participation de 84,1%, les nazis obtinrent 37,3% des voix, soit 19 % de plus qu’auparavant. Aux élections de novembre de la même année, le reflux commença, les nazis obtenant 33,1 %, mais ils étaient déjà en place, disposant d’une masse de SA, et pouvaient être utilisés par la bourgeoisie, qui les appela au pouvoir en janvier 1933.
Les communistes avaient trouvé une perspective, mais il était trop tard, en raison de la social-démocratie (les résultats électoraux communistes sont assez expressifs : juin 1920 : 2,1 %, mai 1924 : 12,6 %, décembre 1924 : 9,0 %, mai 1928 : 10,6 %, septembre 1930 : 13,1 %, juillet 1932 :14,6 %, novembre 1932 : 16,9 %,).
L’Action antifasciste a été la première tentative de trouver un moyen pour unifier les masses par-delà l’influence de la direction social-démocrate. L’Action antifasciste échouera, mais pavera la voie au Front Populaire, victorieux un peu plus tard en France.
La conception de laisser s’exprimer la base des masses pour court-circuiter les idéologies conservatrices était juste ; les masses veulent la révolution, elles peuvent suivre des parcours erronés, mais alors il faut les rattraper, en les remettant face aux réalités.
Encore faut-il une avant-garde capable d’indiquer des valeurs de culture, de civilisation. Et la réussite ou non de cette avant-garde est également un critère de sa justesse ou non.
L’Action antifasciste, démocratique à la base, unissant face au fascisme qui est l’expression du capitalisme décadent allant à la guerre, est une grande expérience. Il n’y a pas de raisons pour les révolutionnaires de rejeter une telle unité.