Le problème fondamental pour Ibrahim Kaypakkaya, c’est que le Parti qu’il avait rejoint, le Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (TIIKP – Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie), se revendiquait de Mao Zedong, mais s’alignait en pratique sur le révisionnisme du TKP.

Le TIIKP convergeait en effet avec l’interprétation du kémalisme comme bourgeois patriotique.

Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi dans son analyse du kémalisme que :

« Le pouvoir kémaliste n’était pas, comme le prétendant les révisionnistes de la Şafak, une « dictature politiquement indépendante de la bourgeoisie nationale », mais une dictature semi-dépendante de l’impérialisme de la grande bourgeoisie turque ayant un caractère comprador et des grands propriétaires terriens…

L’affirmation des révisionnistes de la Şafak s’oppose tant à la théorie générale du socialisme qu’aux faits dans notre pays. Elle s’oppose à la théorie générale du socialisme, car en règle générale, dans les pays arriérés, une dictature politiquement indépendante de la bourgeoisie nationale n’est plus possible.

Le camarade Mao Zedong a déjà constaté cela en 1926 [dans son Analyse des classes de la société chinoise] :

« Sa plate-forme politique [à la bourgeoisie nationale – I.K.], c’est la création d’un État dominé par une seule classe, la bourgeoisie nationale (…).

Mais la tentative de cette classe de créer un État dirigé par la bourgeoisie nationale est absolument vaine, maintenant que dans le monde se déroule une lutte décisive entre deux forces gigantesques : la révolution et la contre-révolution.

Chacune d’elles a levé un immense drapeau : l’un est le drapeau rouge de la révolution, et c’est la IIIe Internationale qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les classes opprimées du monde ; l’autre est le drapeau blanc de la contre-révolution, et c’est la Société des Nations qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les forces contre-révolutionnaires du monde.

Il se produira inévitablement, à une date très prochaine, une scission parmi les classes intermédiaires : les unes iront à gauche vers la révolution, les autres à droite vers la contre-révolution.

Pour ces classes, la possibilité d’occuper une position « indépendante » est exclue.

C’est pourquoi la conception, si chère à la moyenne bourgeoisie chinoise, d’une révolution « indépendante » où cette classe assumerait le rôle principal n’est que pure illusion. [Souligné par nous – I.K.] »

Les propos du camarade Mao Zedong ont une valeur universelle pour l’époque des révolutions prolétariennes qui a commencé après la grande révolution d’Octobre.

Les révisionnistes de la Şafak [c’est-à-dire la direction du TIIKP] piétinent ouvertement et de manière vile la théorie générale du socialisme, dans la mesure où ils présentent des choses qui sont une « pure illusion » comme la réalité. »

Ibrahim Kaypakkaya, suivant Mao Zedong, dresse alors la conclusion inévitable que la bourgeoisie nationale qui a été mise de côté peut historiquement s’intégrer au processus de révolution démocratique. Il faut pour cela que la révolution agraire soit enclenchée ; le pouvoir rouge fera alors basculer l’Histoire.

Voici comment il présente cela :

« Pourquoi l’alliance avec la bourgeoisie nationale n’est-elle pas possible, avant que le pouvoir politique rouge ait émergé dans un ou plusieurs territoires ?

Parce que la bourgeoisie nationale n’acceptera pas avant cela la direction du prolétariat ; elle persistera de manière opiniâtre sa ligne prête au compromis, capitularde, réformiste, qui n’amènera jamais les masses à la révolution et à la libération.

Cette alliance ne sera pas possible, non pas parce que le prolétariat ne veut pas aller à une alliance avec la bourgeoisie, mais parce que la bourgeoisie n’entend pas aller à une telle alliance. »

Il s’agit d’une stratégie, pas d’une tactique :

« Les communistes distinguent le principal du secondaire lors de l’établissement de leur politique. C’est une chose de la plus haute importance et la condition pour avancer sur la juste voie.

Par exemple, nous disons qu’aujourd’hui la lutte armée est principale, les autres formes de lutte secondaire. Accepter les autres formes de lutte ne rend pas nécessaire de les rendre principales.

Nous disons par exemple également qu’aujourd’hui la lutte dans les campagnes est principale, celle dans les villes secondaires. Accepter la lutte dans les villes ne rend pas nécessaire de la traiter comme principale.

De la même manière, compter sur ses propres forces est principal, compter sur les forces des partenaires d’une alliance est secondaire.

Le front unique est unité avec des contradictions. Chaque contradiction a un aspect principal et un aspect secondaire. L’aspect principal du front unique ce sont les ouvriers et les paysans, l’aspect secondaire c’est la bourgeoisie nationale.

Accepter le front unique avec la bourgeoisie ne signifie pas d’en faire l’aspect principal de la contradiction.

Dans la lutte pour la réalisation du front unique du peuple, les marxistes-léninistes travaillent en première ligne à la réalisation de l’alliance ouvrière-paysanne, ils mettent l’accent dessus.

En seconde ligne, ils portent l’accent sur l’alliance avec la bourgeoisie nationale.

Cela signifie concrètement la chose suivante : en première ligne ils mettent l’accent sur la construction du Parti et de l’armée. »


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