a) la liquidation des paysans riches (1929-1932)

Les années précédant 1930 auront été celles de dures luttes au sein du Parti pour la victoire de la ligne favorable à la construction du socialisme. Un premier pas est fait en avril 1929 au XVIème Congrès, où est pour la première fois discuté du plan quinquennal, qui fut accepté.

Staline met également en avant une thèse déjà mise en avant en octobre 1928, celle de la possibilité de la restauration du capitalisme en URSS si l’on ne prend pas garde au danger droitier :

« Dans les conditions du développement soviétique, alors que le capitalisme est déjà renversé, bien que ses racines ne soient pas encore arrachées, la déviation de droite, dans le communisme, est une tendance, un penchant qu’ont une partie des communistes – penchant imprécis, il est vrai, et dont ils n’ont peut-être pas encore pris conscience, mais penchant tout de même – à s’écarter de la ligne générale de notre Parti vers l’idéologie bourgeoise.

Lorsque certains de nos milieux communistes tentent de tirer notre Parti en arrière par rapport aux résolutions du XVème congrès, en niant la nécessité d’une offensive contre les éléments capitalistes de la campagne ; ou qu’ils exigent la réduction de notre industrie, estimant que le rythme actuel de son développement rapide est néfaste pour le pays ;

ou qu’ils nient l’utilité des affectations de fonds aux kolkhozes et aux sovkhozes, estimant que c’est de l’argent jeté par la fenêtre ; ou qu’ils nient l’utilité de la lutte contre le bureaucratisme sur la base de l’autocritique, croyant que l’autocritique ébranle notre appareil ;

ou qu’ils exigent le relâchement du monopole du commerce extérieur, etc. etc., cela veut dire qu’il y a dans les rangs de notre Parti des gens qui tentent, peut-être sans s’en rendre compte eux-mêmes, d’adapter l’œuvre de notre construction socialiste aux goûts et aux besoins de la bourgeoisie « soviétique ».

La victoire de la déviation de droite dans notre Parti signifierait un renforcement énorme des éléments capitalistes dans notre pays.

Or, que signifierait le renforcement des éléments capitalistes dans notre pays ? Cela signifierait l’affaiblissement de la dictature du prolétariat et l’accroissement des chances de restauration du capitalisme.

Ainsi donc, la victoire de la déviation de droite dans notre Parti signifierait l’accroissement des conditions nécessaires à la restauration du capitalisme dans notre pays.

Existe-t-il chez nous, dans notre pays des Soviets, des conditions rendant possible la restauration du capitalisme ? Oui, elles existent. Cela vous paraître peut-être étrange, mais c’est un fait ».

Staline avait expliqué que le danger, tel que Lénine l’avait expliqué, est la petite production marchande, urbaine et paysanne. L’économie n’est pas au niveau du politique, car celle-ci est encore capitaliste pour un pouvoir déjà socialiste. Il s’agit donc de « transférer l’économie du pays, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, celle de la production moderne » (Lénine).

Lénine avait dans de nombreux textes mis en avant l’importance du caractère organisé du capitalisme, qui devait être en URSS d’Etat, au service du développement socialiste.

« Cette fabrique qui à d’aucun semble être un épouvantail est précisément cette forme supérieure de la coopération capitaliste, qui a groupé, discipliné le prolétariat, lui a enseigné l’organisation, l’a mis à la tête de toutes les autres catégories de la population laborieuse et exploitée.

C’est le marxisme, idéologie du prolétariat éduqué par le capitalisme, qui a enseigné et enseigne aux intellectuels inconsistants la différence entre le côté exploiteur de la fabrique (discipline basée sur la crainte de mourir de faim) et son côté organisateur (discipline basée sur le travail en commun, résultant d’une technique hautement développée) ».

Staline reprend cette thématique en avril 1929, dans un discours intitulé « De la déviation de droite dans le Parti Communiste [bolchévik] de l’U.R.S.S.». Il souligne la nécessité de liquider les éléments capitalistes de l’économie, et que le Parti comprenne la tâche.

« Qu’ont montré les difficultés du stockage du blé ?

Elles ont montré que le koulak veille, que le koulak grandit, qu’il sape sournoisement la politique du pouvoir des Soviets, tandis que nos organisations du Parti, notre appareil soviétique et nos organisations coopératives, en tout cas un partie d’entre eux, ou bien ne voient pas l’ennemi, ou bien s’accommodent à lui au lieu de le combattre (..).

Qu’est-ce que la résistance des éléments capitalistes de la ville et des campagnes à l’offensive du socialisme ? C’est un regroupement des forces des ennemis de classe du prolétariat, ayant pour but de défendre l’ancien ordre des choses contre le nouveau.

Il n’est pas difficile de comprendre que ces circonstances ne peuvent manquer de provoquer une aggravation de la lutte des classes. Mais pour briser la résistance des ennemis de classe et déblayer le chemin de la progression du socialisme, il faut, en plus de toutes autres choses, affiner toutes nos organisations, les purifier du bureaucratisme, améliorer leurs cadres et mobiliser les masses innombrables de la classe ouvrière et des couches travailleuses de la campagne contre les éléments capitalistes de la ville et des campagnes ».

Staline critique principalement Boukharine comme le théoricien du refus de la collectivisation des campagnes, refus s’associant à diverses autres déviations (politique conciliatrice avec la social-démocratie au niveau international, etc.). La ligne déviationniste liquidée, la collectivisation des campagnes et la liquidation des koulaks en tant que classe sont réalisées.

Dans le texte « Le vertige du succès », Staline critiquera notamment la trop grande rapidité de la collectivisation, car celle-ci ne doit jamais être imposée, mais allée au rythme des masses.

Et, alors que le plan quinquennal permet un formidable accroissement de la production industrielle, Staline met bien en avant l’internationalisme prolétarien dans « Les tâches des dirigeants de l’industrie » :

« Mais nous avons d’autres obligations, plus graves et plus importantes. Celles que nous devons remplir envers le prolétariat mondial.

Elles coïncident avec les obligations du premier genre [concernant la construction de l’économie socialiste]. Mais nous les plaçons plus haut. La classe ouvrière de l’U.R.S.S. est une partie de la classe ouvrière mondiale. Nous avons vaincu non seulement par les efforts de la classe ouvrière de l’U.R.S.S., mais aussi grâce à l’appui de la classe ouvrière mondiale.

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Sans cet appui, on nous aurait depuis longtemps déchiquetés. On dit que notre pays est la brigade de choc du prolétariat de tous les pays. C’est bien dit. Mais cela nous impose les obligations les plus sérieuses. Au nom de quoi le prolétariat international nous soutient-il ? Qu’est-ce qui nous a valu ce soutien ?

C’est que nous nous sommes jetés les premiers dans la bataille contre le capitalisme ; que nous avons les premiers instauré le pouvoir ouvrier ; que nous nous sommes mis les premiers à bâtir le socialisme. C’est que nous travaillons à une œuvre qui, en cas de succès, bouleversera le monde entier et affranchira toute la classe ouvrière. Et que faut-il pour réussir ? Liquider notre retard, développer des rythmes élevés, bolchéviks, de construction.

Nous devons marcher de l’avant de façon que la classe ouvrière du monde entier, en nous regardant, puisse dire : Le voilà mon détachement d’avant-garde, la voilà ma brigade de choc, le voilà mon pouvoir ouvrier, la voilà ma patrie ; ils travaillent à leur œuvre, à notre œuvre à nous, et ils y travaillent bien ; soutenons-les contre les capitalistes et attisons les flammes de la révolution mondiale.

Devons-nous justifier les espoirs de la classe ouvrière mondiale, devons-nous remplir nos obligations envers elle ? Oui, nous le devons, si nous ne voulons pas définitivement nous couvrir de honte ».

Staline organise le développement de l’économie socialiste, et souligne les erreurs.

« Chaque léniniste sait, si tant est qu’il soit un léniniste véritable, que le nivellement des besoins et de la vie personnelle est une stupidité petite-bourgeoise réactionnaire, digne de quelque secte primitive d’ascètes, mais non d’une société socialiste, organisée à la manière marxiste. On ne saurait en effet exiger des hommes qu’ils aient tous les mêmes besoins et les mêmes goûts, que dans leur vie personnelle ils adoptent un standard unique (..).

En déduire [des principes marxistes] que d’après le plan des marxistes, tous doivent porter le même costume et prendre des repas identiques, en même quantité, – c’est dire des platitudes et calomnier le marxisme ».

b) Le socialisme (1933-1939)

Il serait faux de croire que les succès du socialisme aient affaibli la lutte de classe. Ainsi, le 1er décembre 1934, Kirov, le responsable du Parti à Léningrad, le second de Staline, se fait assassiner d’un coup de revolver par un membre d’un groupe clandestin.

Le Parti mène alors une grande politique de répression, pour briser les forces anti-soviétiques, ce qui amènera la liquidation de Kamenev et Zinoviev lors des fameux « procès de Moscou ».

Les événements sont compris comme une épreuve de force, et la répression dépasse le cadre des responsables.

Au lieu d’isoler les coupables et de neutraliser les « centristes », la politique menée est brutale et souvent aveugle. Staline critiquera fortement cette politique dans le document « Sur les manques du travail du Parti » ; il attaque la répression aveugle, incapable de prendre en compte l’évolution individuelle, ce qui aboutit à des « hontes » et à une politique ne comprenant que « deux extrêmes ».

Mais, en pratique, cela n’a pas d’effet réels, car l’ensemble de ses critiques étaient faussées par une erreur générale.

Le Parti avait en effet décidé en 1935 de modifier la Constitution de 1924 ; le projet de constitution sera adopté en 1936. Staline explique dans le document « Sur le projet de constitution de l’U.R.S.S. » que :

bolchevisme5_4.jpg« Maintenant que le fascisme vomit ses flots troubles sur le mouvement socialiste de la classe ouvrière et traîne dans la boue les aspirations démocratiques des meilleurs hommes du monde civilisé, la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. dresse contre le fascisme un réquisitoire témoignant que le socialisme et la démocratie sont invincibles. La nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera une aide morale et un soutien effectif pour tous ceux qui mènent actuellement la lutte contre la barbarie fasciste.

Pour les peuples de l’U.R.S.S., l’importance de la nouvelle Constitution est encore plus grande. Alors que pour les peuples des pays capitalistes, la Constitution de l’U.R.S.S. sera un programme d’action, pour les peuples de l’U.R.S.S., elle est comme le bilan de leur lutte, le bilan de leurs victoires sur le front de la libération de l’humanité (..).

C’est ce qui affermit la foi que nous avons en nos forces et nous mobilise pour une lutte nouvelle, pour remporter de nouvelles victoires dans la voie du communisme ».

Mais le document contient des erreurs fondamentales. Il y est ainsi affirmé que, dans le socialisme, il n’y a plus d’antagonisme de classes

Or, cela est faux : les anciennes classes sont renversées, mais pas anéanties ; l’influence politique et idéologique de la bourgeoisie existe encore. Il ne suffisait pas de collectiviser les campagnes pour faire disparaître les antagonismes de lasse ; en « oubliant » ces contradictions Staline s’est éloigné des principes de la dialectique marxiste.

C’est-à-dire, comme l’ont dit des camarades de Turquie, que

« lorsqu’on parle de lutte de classe, on pense à une lutte de classes en conflit, l’une contre l’autre, par exemple le prolétariat contre la bourgeoisie et la bourgeoisie contre le prolétariat, et ce dans tous les domaines (politiquement, idéologiquement, culturellement, économiquement, militairement, etc.).

De la même manière on pense, en parlant de l’abolition des classes, de leur abolition dans tous les domaines. Abolir la propriété privée des moyens de production des classes exploiteuses ne signifie pas les abolir complètement en tant que classe ».

Staline répétera cette erreur théorique, qui va conditionner la politique du Parti :

« Ce qu’il y a de particulier dans la société soviétique de notre époque, à la différence de toute société capitaliste, c’est qu’elle n’a plus en son sein de classes antagonistes, ennemies ; que les classes exploiteuses ont été liquidées et que les ouvriers, les paysans et les intellectuels vivent et travaillent en collaboration fraternelle.

Alors que la société capitaliste est déchirée par des antagonismes inconciliables entre ouvriers et capitalistes, entre paysans et propriétaires fonciers, ce qui conduit à l’instabilité de sa situation intérieure,- la société soviétique, libérée du joug de l’exploitation, ignore ces antagonismes ; elle est affranchie des conflits de classes et offre l’image d’une collaboration fraternelle entre ouvriers, paysans et intellectuels ».

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Cette conception mécanique et anti-dialectique aboutit à la passivité politique, à la croyance en le développement des forces productives comme minimum suffisant pour arriver au communisme, une fois le passage au socialisme établi. Alors qu’auparavant Staline était conscient du danger de restauration, à partir de la collectivisation des campagnes et de l’industrialisation il nie ce danger.

Cette mauvaise analyse de l’économie et de la liaison entre infrastructure et superstructure trouve sa source dans une conception mécanique de la dialectique. La lutte des contraires est saisie, mais pas leur unité, ce qui aboutit à une mauvaise résolution des conflits, par négation des différences entre contradiction antagonique et non antagonique, entre contradiction principale et contradiction secondaire.

Cette négation se retrouve dans le document de Septembre 1938 : « Le matérialisme historique et le matérialisme dialectique », qui résume les principes du marxisme-léninisme.

A part cet oubli fondamental, que Mao-Tsé-Toung réparera (notamment dans « De la contradiction »), les définitions sont justes et ce document reste un classique (d’où sa publication ici).

Mais il faut bien comprendre le sens de cet oubli, et saisir sa signification dans le domaine de l’économie ; Staline n’a pas vu les contradictions entre les forces productives et les rapports de production.


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