Les étoiles ont permis les quatre directions et l’exemple historique chinois est d’une grande pertinence pour saisir ce qui s’est passé.
L’astronomie en Chine a une très longue histoire ; le « classique des documents », un ouvrage fondamental de la civilisation chinoise pendant 2 000 ans, raconte également comment l’empereur Yao, qui a depuis pris une dimension légendaire, avait pris comme première mesure d’ordonner aux astronomes de mesurer le mouvement du soleil, de la lune des étoiles pour obtenir un calendrier avec la connaissance des saisons.
Un document très connu de l’astronomie chinoise est le fameux atlas de Dunhuang, une cartographie de 1300 étoiles datant du 7e siècle. On l’a retrouvé seulement au début du 20e siècle dans une cave fermée pendant mille abritant 50 000 documents et objets, dans un dispositif immense de grottes bouddhistes taillées à la main, dites de Mogao (soit en chinois « d’une hauteur inégalée »).
On a à l’origine le concept chinois de « Tian », qu’on peut traduire par les « cieux ». En fait, il s’agit du dieu impersonnel, arrière-plan cosmique de la réalité, qu’on retrouve dans tous les animismes polythéistes, ce que les commentateurs bourgeois n’ont jamais pu voir.
Tous les dieux existent comme expression, vecteur, aspect de Dieu-impersonnel, cela n’a rien d’original.
Naturellement, le dieu absolu se voyait placé au Nord comme pôle absolu, pivot du monde.
On lit dans les « Écrits du Maître à la Crête de Faisan », datant du 3e siècle et compilant des points de vue de l’époque des « Royaumes combattants » (c’est le moment où apparaît le confucianisme, l’école légaliste, le taoïsme, le moïsme et divers autres courants de pensée) :
« Quand le manche de la [grande casserole, appelée louche en Chine] pointe vers l’est [à l’aube], c’est le printemps pour le monde entier.
Lorsque le manche de la [grande casserole] pointe vers le sud, c’est l’été pour le monde entier.
Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers l’ouest, c’est l’automne pour le monde entier.
Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers le nord, c’est l’hi-ver dans le monde entier.
Quand le manche de la [grande casserole] tourne au-dessus, les choses se déroulent en dessous. »
Ensuite, avec l’étude des étoiles, la cartographie céleste s’est superposée à Tian. Voici de quelle manière.
On a d’abord, au centre, l’Enceinte pourpre interdite (ziweiyuan 紫微垣), qui recouvre les constellations de la Petite Ourse, de la Girafe, du Dragon, de Céphée, de Cassiopée, du Cocher, du Bouvier, et une partie de la Grande Ourse, des Chiens de chasse, du Petit Lion et de Hercule.
On a ensuite l’Enceinte du palais suprême (Taiweiyuan 太微垣), qui recouvre les constellations de la Vierge, de la Chevelure de Bérénice, du Lion et une partie de la Grande Ourse, du Petit Lion et des Chiens de chasse.
Enfin, on a l’Enceinte du marché céleste (tianshiyuan 天市垣), avec les constellations du Serpentaire et du Serpent, de l’Aigle, de la Couronne boréale et une partie de Hercule.
Toutes ces enceintes sont appelées ainsi, car censées être bordées à droite et à gauche d’une série d’étoiles des constellations qui forment des « murs ». Cela révèle la nature de cette « cosmovision ».
En effet, ces Enceintes célestes reproduisent l’organisation hiérarchique chinoise – évidemment, du point de vue chinois d’alors, c’est l’inverse : les cieux sont ainsi, donc le monde fait pareil.
L’Enceinte pourpre interdite désigne le palais impérial ; l’Enceinte du palais suprême, c’est le gouvernement ; l’Enceinte du marché céleste, c’est le marché et plus globalement là où vivent les gens.
La civilisation chinoise a poussé à fond le parallélisme, dans la mesure où les étoiles au Nord représente la famille royale (le prince, la concubine impériale…), d’autres représentent les quatre conseillers, le juge en, chef, le secrétaire royal, le responsable des archives royales, etc. ; d’autres encore une boucherie, un marché de bijoux, une prison, etc.
L’entreprise faite est très facile à comprendre. La lecture des étoiles est faite avec une interprétation propre à une société esclavagiste.
Cependant, on parle ici du noyau dur de la carte stellaire. Il reste bien d’autres étoiles autour de ces « Enceintes ». D’où un découpage en quatre zones, aux quatre directions, appelées les « quatre gardiens », les « quatre dieux ».
On a alors la tortue noire du nord (associée à l’eau et à l’hiver), le dragon bleu-vert de l’est (associé au bois et au printemps), le tigre blanc de l’ouest (associé au métal et à l’automne) et l’oiseau vermillon du sud (associé au feu et à l’été).
Le nom de ces directions provient d’une « lecture » de la disposition des étoiles, censée correspondre à ces animaux (mythique pour le dragon).
Cela remonte ici à très loin : on a trouvé une tombe de 5300 ans avant notre ère avec des mosaïques dont deux représentaient le dragon vert et le tigre blanc.
On a donc, dans la cartographie chinoise, un « centre » entouré de quatre directions. Les étoiles de ces quatre directions sont elles-mêmes regroupés, en sept groupes par direction, pour un total de 28 « maisons lunaires » (appelées ainsi, car définies selon le parcours de la lune).
On remarquera qu’on a également en Chine les « quatre montagnes », les « quatre animaux bénéfiques » et les « quatre périls », les « quatre mers » (le lac Baïkal au Nord, le lac Qinghai à l’Ouest, la mer de Chine orientale à l’Est, la mer de Chine méridionale au Sud).
On notera également que la division en 28 « maisons lunaires » (« Xiu » en chinois est également la même chez les Arabes (les « Manzils ») et chez les Indiens (avec les « Nakshatras »).
On demandera alors : où sont les fameux animaux du calendrier chinois, si appréciés ? Où sont le Rat, le Buffle, le Tigre, le Lapin (ou Lièvre ou Chat), le Dragon, le Serpent, le Cheval, la Chèvre, le Singe, le Coq, le Chien et le Cochon (ou Sanglier) ?
C’est justement là où cela devient intéressant, car ils arrivent après historiquement, et ils ne sont pas vraiment un horoscope. Ils aident à une « interprétation » qu’on peut qualifier d’astrologique, dans la mesure où ils aident à voir sa place dans l’univers, mais ils ne fournissent pas de réponse aux questions immédiates.
Les 28 maisons lunaires vont en effet avoir une dimension qui relève du calendrier, alors que vrais horoscopes vont se mettre en place, sur une base toujours plus compliquée et en se fondant toujours plus sur la combinaison de chiffres.
On a ainsi l’astrologie de l’Empereur ou de l’Étoile pourpre (« Ziwei doushu »), qui utilise entre 36 et 118 étoiles. Cette astrologie était réservée au roi et à un moment tout autre divination fut interdite, ce qui rentre dans le cadre de la lutte contre le chamanisme, forcément décentralisé.
On a ensuite l’astrologie dite des neuf étoiles (« Jiuxing »), qui se fonde sur un carré magique de 9 années, s’appuyant sur le mouvement des étoiles autour de la Grande Ourse, pour évaluer la « valeur » d’une personne selon sa date de naissance.
On a également l’astrologie des quatre piliers du destin (« Ba-Zi »), où l’on prend la date de naissance ainsi que l’heure de naissance, pour trouver comment cela joue sur les éléments fondamentaux de l’univers.
Naturellement, tout ce processus de mise en place des horoscopes est horriblement compliqué, dans le cadre d’une Chine divisée et esclavagiste. C’en est au point où même les calendriers se voyaient modifier, en liaison avec les « Enceintes », pour expliquer qu’il y avait eu telle tendance dans le ciel et que le changement politique y correspondait.
Il y a même une entité céleste, Taisui, qui fut « inventée » pour représenter Jupiter parcourant à l’envers (ou plutôt à l’endroit pour les Chinois alors, d’Est en Ouest) les « branches terrestres », c’est-à-dire les « maisons lunaires » devenues jupitériennes (et donnant le calendrier avec les animaux).
Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.
Ce qui compte, c’est qu’on a la mise en place d’une « spatialisation » selon les quatre directions de manière absolue, puis son dépassement par les horoscopes.
Autrement dit, on a eu une « spatialisation » passive, reflet direct des étoiles, où les étoiles servaient à se repérer, où les êtres humains vivaient « sous » le Ciel. Puis on a une « spatialisation » active, les êtres vivants « à côté » du Ciel.
Enfin, on a des tentatives magiques d’utiliser les moments opportuns, ce qui correspond à une décadence de la « cosmovision » en rapport avec les dieux des étoiles ; quand on en arrive là, c’est qu’on est dans une période mûre pour l’émergence, l’affirmation du monothéisme.
Le mouvement est ainsi le suivant :
– observation primitive des étoiles ;
– portrait avancé de l’organisation stellaire comme négation de l’observation primitive ;
– négation de la négation avec les horoscopes.
Dans le cas chinois, on peut considérer que le bouddhisme correspond à une étape très forte dans l’émergence du monothéisme ; à la fin du 3e siècle, il est déjà aussi puissant que le confucianisme et le taoïsme.
Comme on le sait, le monothéisme ne se développera toutefois pas en Chine, de par les conditions historiques arriérées et les divisions, maintenant pendant des siècles, jusqu’à aujourd’hui, l’idéologie des horoscopes et de la numérologie, d’où une immense fascination pour les jeux de hasard.