Au lendemain de 1945, la situation est très différente dans chacun des pays de l’Est européen. Dans certains cas, les communistes ont joué un rôle particulièrement fort, dans la continuité de la situation d’avant-guerre, et profitent d’une popularité incroyable. C’est le cas en Tchécoslovaquie.
Pays industrialisé, marqué depuis la tempête hussite du XVe siècle par une forte tradition démocratique, caractérisé par un mouvement ouvrier extrêmement puissant, la Tchécoslovaquie fait du Parti Communiste, au lendemain de 1945, le premier parti politique du pays, atteignant presque la moitié des voix dans la partie tchèque du pays, la Bohème-Moravie-Silésie (par opposition à la Slovaquie, marqué par un retard économique et un caractère agraire issu d’une très longue domination hongroise).
Dans d’autres cas, la situation est catastrophique. Pays largement agraire, la Pologne est marquée par une prédominance de la réaction, qui n’hésite pas à pratiquer la guérilla, le terrorisme, le meurtre, le tout sur fond de catholicisme ultra et même de violents pogroms au lendemain de la défaite nazie. A cela s’ajoute un très violent nationalisme, largement anti-russe.
Les pays de l’Est européen, en quelque sorte, se situent politiquement et culturellement entre ces deux situations. Dans tous les cas, les Partis Communistes posent le problème en terme démocratique, en termes de Front populaire. Ils visent la formation de démocraties populaires.
La ligne au lendemain de 1945 était ainsi celle du Front populaire décidée au septième congrès de l’Internationale Communiste ; en raison de l’occupation nazie, le Front populaire a été élargi et a pris la forme d’un Front patriotique ; l’antifascisme est considéré comme la tâche suprême. Ce qui va définir toute la vie des démocraties populaires, jusqu’en 1948, va être précisément la question du caractère de ce Front, de sa nature et de ses modalités.
La vision d’une URSS instaurant dans les pays de l’est des régimes socialistes copiés sur elle est absolument fausse. En réalité, la ligne a été celle d’une grande prudence, d’une grande lenteur, avec comme stratégie la victoire du Front populaire, dont l’hégémonie était rendue possible grâce à la présence de l’armée rouge empêchant la réaction intérieure et les pays impérialistes d’intervenir.
L’URSS – qui au lendemain de la guerre, relance la construction du socialisme selon un plan formulé par Staline de manière précise en 1946 – se voit ainsi placée au centre de la question, en tant qu’appui essentiel permettant aux démocraties populaires d’exister, de renforcer les forces progressistes au fur et à mesure.
Mais même lors du triomphe des Fronts populaires dans ces pays de l’Est européen, les pays sont socialistes de manière formelle, et juridiquement à un niveau de transition au socialisme, par une forme nouvelle, la démocratie populaire. D’ailleurs les forces révisionnistes locales, partisanes d’un développement non collectiviste au nom de caractéristiques « nationales » particulières, ont très vite bataillé pour prendre le dessus, pour empêcher les avancées de la démocratie populaire vers le socialisme en tant que tel.
C’est tout le sens de la bataille entre 1948 et 1956. Par la suite, les forces anti-révisionnistes seront anéanties suite au triomphe du révisionnisme en URSS, tandis que les forces révisionnistes « locales » des pays de l’Est européen seront considérablement affaiblies, alors qu’apparaissaient inversement des forces révisionnistes exprimant directement les intérêts d’une couche bourgeoise bureaucratique soumise au social-impérialisme soviétique.
Le présent document présente donc ces quatre périodes :
– entre 1945 et 1948, la genèse et le triomphe de la ligne de Front populaire au service de la prise de direction par le Parti dirigeant le renforcement de la démocratie populaire, dans le cadre de la révolution ininterrompue faisant passer de la démocratie populaire au socialisme ;
– entre 1948 et 1953, la bataille pour la collectivisation et les monopoles dans la grande industrie, c’est-à-dire l’établissement d’une base authentiquement socialiste, avec en arrière-plan une lutte de deux lignes contre le titisme et ses divers avatars (Gomulka en Pologne, etc.) ;
– entre 1953 et 1956, l’écrasement des forces révolutionnaires par l’alliance du révisionnisme du social-impérialisme soviétique aux formes locales, « nationales » de révisionnisme ;
– entre 1956 et 1968, l’écrasement par le social-impérialisme soviétique des formes locales, « nationales » de révisionnisme, se transformant selon les situations en compromis ouvert avec elles (Roumanie, Hongrie, etc.).