Dans le numéro 13 de Crise, il avait été question longuement des pénuries en cours. Avec le variant Delta, de nouvelles pénuries émergent et continuent de miner en son cœur la restructuration capitaliste. Dans le cadre de la crise générale, l’anarchie de la production intrinsèque au mode de production capitaliste prend un tournant antagonique en s’exprimant par la pénurie.

La Grande-Bretagne, des crises dans la crise

La Grande-Bretagne a très vite été confrontée, au printemps 2021, à l’explosion des contaminations dues au variant Delta. Dans ce pays, c’est l’isolement des cas contacts qui provoque une pénurie en tout genre, avec l’obligation pour les cas contacts de s’isoler.

Chaque cas contact reçoit ainsi une notification sur l’application similaire à « Coronalert » en Belgique ou « Tous anti-Covid » en France ; comme le variant Delta est beaucoup plus contagieux, cela entraîne une série d’arrêts de travail.

De nombreux secteurs sont très impactés comme la santé, l’hôtellerie, les supermarchés, etc. Au total, il y aurait actuellement plus d’un million d’emplois vacants. Certaines entreprises distribuent même d’importantes primes pour attirer les travailleurs. C’est la « pingdemic ».

Mais il y a également l’expression de la contradiction intellectuel/manuel dans la métropole impérialiste : les travailleurs étrangers qui sont repartis chez eux avec la pandémie reviennent difficilement. C’est l’anarchie de la production avec une hausse de la demande liée à la reprise économique mondiale, mais ne pouvant la satisfaire le besoin en forces travail. Et avec le Brexit, cela ajoute aux difficultés.

Cela est bien visible avec la question des chauffeurs-livreurs, avec un besoin d’entre 70 à 100 000 travailleurs dans ce secteur en Grande-Bretagne. Avant la crise, il y avait déjà un problème de fond posé par le vieillissement de ces travailleurs et le manque de renouvellement. Les emplois laissés vacants étaient occupés principalement par des travailleurs venus d’Europe de l’Est.

Avec la crise sanitaire est les restrictions, la main d’œuvre se trouve bloquée. De plus, le Brexit n’autorise dorénavant les visas de travail qu’aux travailleurs les plus qualifiés, ce qui exclue les chauffeurs.

En conséquence, le temps de travail légal a déjà été élevé de 9 à 10 h pour les salariés restant et la situation est telle qu’il est envisagé de réquisitionner le corps militaire « Royal Logistics Corps » pour effectuer les livraisons manquantes dans le cadre de l’opération « Rescript », c’est-à-dire l’intervention de l’armée depuis mars 2020 pour épauler le régime.

Mais cela n’empêche pas les 1250 restaurants britanniques de McDonald’s de ne plus être en mesure de proposer de milkshakes en raison des pénuries.

L’industrie de la chaussure touchée par la première vague au Vietnam

En Asie sud-est, cœur de l’industrie textile, la crise frappe également. Confronté à sa réelle première vague, le Vietnam a confiné tout le sud du pays, paralysant les chaînes de production des chaussures de grandes marques comme Nike, Adidas, Puma, etc.

C’est le variant Delta qui a tout déstabilisé avec seulement 1 % de la population qui est vaccinée, pour environ 8 000 cas positifs officiellement par jour. Même dans les usines restées ouvertes, il n’y a que la moitié du personnel présent

Ce problème s’ajoute aux pénuries en aval et en amont : l’industrie textile est en mal de matières premières et les exportations vers les marchés européens et américains ont vu leur coût flamber avec la hausse du Fret maritime. L’Asie, incluant la Chine, concentre l’industrie de la chaussure, avec 9 paires sur 10 fabriqués là-bas. World foot wear constate en juillet 2021 que :

« L’avertissement intervient après que deux des fournisseurs de Nike au Vietnam, Chang Shin Vietnam Co. et Pou Chen Corp., aient récemment arrêté la production »

« La pandémie de COVID-19 a perturbé les chaînes de valeur internationales entraînant une réduction du pourcentage de la production exportée qui est passé de 62 % à 59 %. »

Cela a un impact tel que la marque italienne Geox vient de fermer au mois d’août une de ses usines en Serbie, bien qu’ouverte en 2015 seulement. Au départ tenté par la délocalisation en Asie du Sud-Est, l’entreprise vient finalement d’abandonner en vue de la hausse des coûts de transport.

Pénurie alimentaire

Le 1er avril 2020, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale du commerce (OMS) ont publié un communiqué commun à propos du risque de pénurie alimentaire causé par la crise sanitaire du Covid-19.

Dans ce communiqué, on y lit que :

« Lorsqu’il est question de protéger la santé et le bien-être de leurs citoyens, les pays doivent s’assurer que toute mesure commerciale ne perturbe pas la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

De telles perturbations, y compris l’entrave à la circulation des travailleurs des secteurs agricole et agroalimentaire et les retards aux frontières pour les containers entraîneront une détérioration des denrées périssables et une augmentation du gaspillage alimentaire.

Les restrictions au commerce de produits alimentaires pourraient également être liées à des inquiétudes injustifiées concernant la sécurité sanitaire des produits alimentaires.

Si un tel scénario venait à se matérialiser, cela perturberait la chaîne d’approvisionnement alimentaire et aurait des conséquences particulièrement graves pour les populations les plus vulnérables et en situation d’insécurité alimentaire. »

Cela était annoncé en avril 2020. En juillet 2021 apparaissent pourtant les premiers signes de pénurie. Rien que ce phénomène montre toute la caducité des thèses du « capitalisme organisé » : le mode de production capitaliste gère les choses à court-terme, il n’a aucune capacité d’organisation, de planification rationnelle des choses.

Dans cette pénurie, il y a en relief la question de la main d’œuvre agricole. On sait que dans les métropoles impérialistes, le travail difficile dans les champs est le plus souvent réalisé par une main d’œuvre étrangère.

Avec les confinements et les incertitudes sanitaires, ces travailleurs sont retournés dans leurs pays d’origine et les restrictions ne favorisent pas leur retour. C’est le cas des Latino-américains aux États-Unis, des Maghrébins en Espagne, des travailleurs de l’Est en Allemagne et en France, etc.

Les pays exportateurs craignent de manquer de denrées, et par calcul, retiennent leur production. En avril, la Russie déclarait ainsi vouloir limiter ces exportations de céréales à 7 millions entre avril et juin.

Enfin, à tout cela s’ajoute la question de la pénurie de containers dont il a été question dans le numéro de Crise, avec des retards de livraisons qui rendent périssables les aliments les plus fragiles. Le variant Delta n’arrange rien aux choses.

Comme une énième crise dans la crise, les événements climatiques extrêmes qui ont eu lieu cet été au Canada et en Europe contribuent encore un peu plus à la désorganisation productive. Au Canada, premier producteur de blé dur et contribuant à deux tiers de son commerce mondial, l’épisode de dôme de chaleur en juillet a altéré de nombreuses récoltes.

Avec des chaleurs atteignant en certains endroits les 50°c provoquant des méga-feux, le blé dur a été touché tant en quantité qu’en qualité. La sécheresse liée au « dôme de chaleur » a détruit une partie de la récolte. Mais, les fortes chaleurs favorisent aussi la dissémination d’un champignon, le piétin, qui s’attaquent aux épis de céréales et les rendent inutilisables pour la production de pâtes.

Un des autres pays grand producteur de blé dur est la France. Là, ce sont les pluies diluviennes de cet été qui ont impacté fortement la production. En général, en Europe, la production de blé dur a été insuffisante, avec 7,3 millions de tonnes pour un besoin de 9,3 millions de tonnes.

Mais il y a aussi le vin, avec le gel tardif du mois d’avril et l’avancée toujours plus grande du mois de récolte. En 50 ans, les vendanges ont été avancées d’un mois. Il y a également le cours du café a bondi de 40 à 60 % à cause de vagues de froids et d’intempéries au Brésil mais aussi à une hausse de la demande mondiale.

Tous ces évènements climatiques sont provoqués par le réchauffement climatique et l’on voit combien le mode de production capitaliste se survit à lui-même dans un chaos général à tous les niveaux. Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, tous les voyants restent au rouge et l’émergence de variants, notamment le Delta, concourent à l’instabilité générale.

L’industrie automobile n’en finit plus de subir la pénurie de semi-conducteurs

Dans les numéros 11 et 13 de Crise, il a longuement été question de la question des semi-conducteurs. Il y était rappelé que la pénurie de semi-conducteurs, cette base aux puces électroniques essentielles dans bon nombre de produits, allait s’étendre encore longtemps. Là aussi le variant Delta est venu en remettre une couche.

En France, les usines Stellantis (fusion PSA/Chrysler) de Rennes et celles de Toyota sont à l’arrêt, après des mois de production en discontinue. Toyota, leader de la production à flux-tendu est particulièrement heurtée par la crise, le groupe annonçant une baisse de 40 % de sa production en septembre en raison des pénuries.

On doit noter ici la découverte d’un cluster dans une usine sous-traitante de semi-conducteurs en Malaisie détenue par le groupe allemand Infineon. Début août, l’usine a fermé pour 20 jours. Le groupe allemand Volkswagen est lui aussi impacté par la flambée des cas dans ce pays d’Asie.

Fin juin, la Malaisie comptait en moyenne un peu plus de 5 000 cas positifs sur 7 jours. A la mi-août, il y en avait plus de 20 000. Avec un peu plus de 31 millions d’habitants, le pays enregistre à l’été 2021, plus de 9 400 décès, ce qui entraîne une instabilité politique.

La seconde crise générale nous permet de mieux comprendre comment l’anarchie de la production devient l’un des facteurs centraux dans le blocage relatif de la machinerie capitaliste confrontée à sa crise générale.

Marx et Engels avaient pleinement raison lorsqu’ils écrivaient dans le Manifeste :

« Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir plus longtemps son rôle de classe dirigeante et d’imposer à la société, comme loi régulatrice, les conditions d’existence de sa classe.

Elle ne peut plus régner, parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est obligée de le laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu de se faire nourrir par lui.

La société ne peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec celle de la société. »

Pour assurer la civilisation, la société a besoin de se maîtriser elle-même, de se socialiser tant des les rapports sociaux que dans son rapport à la Nature, ce qui est le sens même du socialisme dans le cadre de la seconde crise générale.

Comme il l’avait été souligné dans le numéro 13 de Crise, l’anarchie de la production consubstantielle au mode de production capitaliste prend une forme antagonique en période de crise générale.

Pour faire simple, c’est la pagaille et la panique un peu partout et cela provoque d’importantes distorsions dans la production mondiale, avec une hausse du paupérisme. L’inflation apparaît ici comme la grande menace pesant sur les masses populaires, comme solution bourgeoise pour maintenir le profit de manière relative.

Les pénuries sont ainsi l’un des marqueurs économiques de fond de la crise générale : les chaînes d’approvisionnement n’en finissent pas d’être déstabilisées et la hausse des prix rendent d’autant plus incertain la reprise au niveau d’avant-crise, avec en toile de fond le risque constant d’un Krach financier.


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