D’où vient la sensation ? Une telle question est une erreur typique, le produit des approches féodale et bourgeoise, qui séparent le cerveau et le corps. La conception féodale les sépare totalement, tandis que la voie bourgeoise les relie d’une manière tourmentée.
Les deux considèrent que la question de la sensation est relié au corps, à l’interprétation du corps par le cerveau. Un sentiment, une sensation, ne peut pas exister en soi ; cela n’a une existence que dans le cas d’une interprétation par un individu.
La raison de cet anthropocentrisme réside dans la métaphysique. Pour la conception féodale, l’esprit doit quitter le corps et rejoindre l’origine du monde, Dieu, qui est immatériel. Pour la conception bourgeoise, nous ne pouvons pas expliquer l’origine du monde, de sorte que nous devrions nous limiter à l’élaboration d’une théorie sur les relations que nous faisons avec la réalité.
La vie est vue à travers les individus, à travers leurs rapports. Il n’y a pas de monde, pas de nature, seulement un monde, une nature existant dans la mesure où nous avons une relation avec eux.
Cette conception était nécessaire à la bourgeoise pour justifier l’existence du capitaliste, qui est un individu agissant par sa propre compréhension de sa réalité environnante. Le protestantisme est ici la principale construction idéologique de cette approche.
Aujourd’hui, l’existentialisme et toutes les variantes post-modernes qui existent soutiennent une version terroriste de cet égoïsme, de cette vision du monde basée uniquement sur les individus.
Par conséquent, dans l’histoire de la science dominée par la bourgeoisie, il a toujours été considéré que les animaux ne connaissent pas la douleur. Ils sont considérés comme de simples mécanismes, par René Descartes et Nicolas Malebranche notamment, sans « conscience ».
Bien entendu, cette conception erronée s’est avérée de plus en plus erronée, par l’affirmation de la pensée démocratique et socialiste.
Un événement historique majeur ici est lorsque, le 10 décembre 1907, dans une agitation suite à une dissection d’un chien brun vivant, à Londres, 1000 étudiants en médecine ont défilé dans le centre de Londres en agitant des effigies d’un chien brun sur des bâtons, justifiant et promouvant la vivisection, attaquant pour cette raison les suffragettes et les syndicalistes qui luttaient contre la vivisection.
Deux conceptions du monde luttaient. Aujourd’hui, la sensation des animaux de compagnie est reconnue, mais ils sont toujours maltraités ; la sensation de vertébrés est également reconnue, mais ils sont considérés comme d’intérêt mineur.
En outre, la sensation des poissons et des invertébrés est ouvertement niée, au nom du système nerveux et du cerveau, dans une conception anthropocentrique.
Au contraire, le matérialisme dialectique relie la matière vivante à la sensation.
Dans Matérialisme et empirio-criticisme, Lénine traite de cette question parmi d’autres, et nous rappelle cette importante question :
« Il reste encore à étudier et à étudier de nouveau comment la matière qui n’est prétendument douée d’aucune sensibilité se lie à une autre matière, composée des mêmes atomes (ou électrons) et pourvue en même temps de la faculté très nette de sentir. Le matérialisme pose clairement cette question encore irrésolue, incitant par là même à sa solution et à de nouvelles recherches expérimentales. »
Lénine dit aussi que nous avons certainement à aller dans le sens de considérer que, dans la fondation de la structure de la matière, nous pouvons supposer l’existence d’une faculté semblable à la sensation, comme Denis Diderot l’a fait.
Et en effet, la compassion et l’empathie sont une preuve de cela. Quelle est la conception dialectique matérialiste du reflet ? Que le cerveau reflète la réalité ; ce que nous pensons est un écho.
Mais, si René Descartes et Emmanuel Kant ont raison, si chaque individu est comme entouré par une muraille de Chine, comment est-il possible de ressentir ce que quelqu’un d’autre se sent ? Comment sont possibles la compassion et l’empathie ?
Ce n’est possible que parce que la matière vivante connaît les sensations ; les sensations sont liées au principe de l’écho, du mouvement de la matière.
C’est pourquoi une révolution peut se produire : les masses ont synthétisé, à différents niveaux, la même vision du monde, qui correspond à la réalité.
La révolution se produit au niveau général, la compassion et l’empathie au niveau individuel, mais leur fondement est le fait que la matière et la sensation ne peuvent être séparées.
La matière vivante est donc au cœur du matérialisme dialectique, car c’est une forme développée de la matière, une direction qui correspond à l’auto-mouvement de la matière elle-même pour davantage de complexité.