CONTRE UNE « CRITIQUE » SANS PRINCIPE DE STALINE

Une méthode récente de la « critique » sans principe de Staline consiste à prendre ses distances à l’égard de la dictature du prolétariat en URSS « au nom » de la dictature du prolétariat en Chine, à attaquer le PC(b) de l’URSS « à partir » des positions du PCC, à liquider Staline en cherchant des « arguments » chez Mao Tsé-toung.

L’interview donnée en 1970 par Ch. Bettelheim à Il Manifesto est une application de cette méthode (Les Temps Modernes, août-septembre 1970, « Chine et URSS : deux modèles d’industrialisation »).

En comparant la construction du socialisme en URSS et la construction du socialisme en République populaire de Chine, Bettelheim, tout en évitant d’attaquer le problème de front comme il devrait le faire, établit directement un « bilan ». C’est de ce « bilan » indirect, implicite, insidieux que nous allons parler.

En substance, Bettelheim oppose le « modèle » « négatif » de l’URSS au « modèle » positif de la Chine. En se fondant sur l’expérience des camarades chinois (car, dit-il, la pratique et la théorie du parti de Mao Tsé-toung « permettent de mieux analyser la pratique soviétique »), Bettelheim oppose la ligne et le style des deux partis. Selon lui, en URSS, le Parti s’est progressivement coupé des masses, le « modèle » de l’industrialisation était trop centralisé, il était erroné d’accorder la priorité absolue à l’industrie lourde et d’imposer un tribut à la paysannerie en 1928. D’une manière générale, la question des rapports sociaux de production était sacrifiée à l’importance accordée de façon unilatérale à l’essor des forces productives.

Un tel « bilan » ne tient pas compte des exigences du matérialisme historique et du matérialisme dialectique. Il est mécanique, réactionnaire et conduit à des positions anticommunistes.

L’ANALYSE THÉORIQUE

1. Le bilan communiste est l’analyse concrète d’une situation concrète. Bettelheim commence par passer sous silence les circonstances historiques dans lesquelles a dû se faire la construction du socialisme en URSS : c’était la première expérience prolongée de la dictature du prolétariat, dans un pays arriéré encerclé par l’impérialisme et placé de façon permanente sous la menace de la guerre, menée enfin sans l’appui d’aucune aide. La gravité de cette situation non seulement n’est pas considérée, mais elle est même explicitement sous-estimée. Ainsi, selon Bettelheim, la NEP était pour Lénine « une politique momentanée dont il fallait sortir assez rapidement » (p. 201). En réalité, l’analyse que Lénine faisait ne lui permettait pas de porter une telle appréciation :

«… Il est impossible d’arriver même au niveau inférieur du communisme sans une période d’inventaire et de contrôle socialistes. A partir de 1918, lorsque le problème d’assurer le pouvoir se fut posé et que les bolcheviks l’eurent exposé devant le peuple tout entier, notre littérature théorique souligna nettement la nécessité d’une période longue et complexe (période d’autant plus longue que cette société est moins évoluée), impliquant l’inventaire et le contrôle socialistes, afin d’accéder, depuis la société capitaliste, aux premières approches de la société communiste. C’est ce que nous avons en quelque sorte oublié, le jour où nous avons dû prendre, dans la fièvre de la guerre civile, les mesures nécessaires pour l’édification. En ce qui concerne l’essence de notre n.e.p., c’est justement que nous avons subi une grave défaite sur ce point et que nous avons entrepris un repli stratégique : « Avant qu’on ne nous écrase définitivement, replions-nous donc et rebâtissons tout à neuf, mais plus solidement » (Rapport au IIe Congrès des services d’éducation, 1921, t. 33, p. 56).

Bettelheim n’est pas seulement dans l’erreur à propos des prémisses politiques : il se trompe aussi dans ses conclusions. Il est inadmissible d’écrire qu’en Chine, « l’industrialisation ne s’est pas faite au détriment du niveau de vie des masses » (p. 205), pour insinuer que tel fut bien le cas en URSS. Cela a été une constante de la politique staliniste de maintenir solidement l’alliance ouvriers-paysans et de veiller qu’à chaque étape de l’édification socialiste, le niveau de vie du peuple s’élève de façon sensible.

« Quel est l’aspect négatif décisif de la méthode d’industrialisation capitaliste ? Cette méthode mène à ce que les intérêts de l’industrialisation soient contraires aux intérêts des masses laborieuses, à ce que les profits ne servent pas à l’amélioration de la situation matérielle et culturelle des plus larges masses du pays, mais seulement à l’accroissement du capital et à l’élargissement de la base de l’exploitation capitaliste à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Quel est l’aspect positif décisif de la méthode d’industrialisation socialiste ? Cette méthode mène à l’unité des intérêts de l’industrialisation et à l’intérêt des masses laborieuses, elle ne mène pas à la misère des masses, mais à l’amélioration de leur situation matérielle, non pas à l’aggravation des contradictions intérieures mais à leur affaiblissement et à leur déclin, elle mène à une élargissement constant du marché intérieur et à l’accroissement de sa capacité d’absorption, grâce à quoi une solide base intérieure est créée pour le déploiement de l’industrialisation.

De ce fait, les masses paysannes sont directement intéressées à la voie socialiste d’industrialisation » (Staline, Sur la déviation social-démocrate dans notre parti, 1926, O.C. (Dietz), t. 8, p. 256).

Que ce fut bien là la politique suivie effectivement, c’est ce que tous les rapports (des Congrès, des conférences et assemblées officielles) établissent avec constance. De son côté, le peuple soviétique a, de tout temps, par son soutien à Staline, témoigné de la justesse de la ligne du parti et des bienfaits du socialisme en URSS.

2. Le bilan communiste est un bilan fondé sur le matérialisme historique. Il est conçu en fonction de l’étape envisagée. Le marxisme-léninisme se développe théoriquement et pratiquement dans un processus ininterrompu. La tentative métaphysique de Bettelheim, au contraire, vise à liquider une étape antérieure au nom du progrès réalisé à l’étape suivante. A pousser cette « logique » jusqu’au bout, il faudra dire que les communards ont suivi une voie erronée, bourgeoise, parce qu’ils ne furent pas à même de construire un Parti et de marcher sur Versailles. Il y a une continuité historique, une unité idéologique indestructible liant Marx-Engels-Lénine-STALINE-Mao Tsé-toung – Enver Hoxha. Le successeur politique du camarade Staline, c’est son disciple et continuateur Mao Tsé-toung, ce ne peuvent être les traîtres Khrouchtchev et Brejnev.

Le bilan communiste est un bilan fondé sur le matérialisme dialectique. C’est un bilan de la lutte des classes et de la lutte entre les deux lignes, les deux voies à l’intérieur du Parti. « L’opposition et la lutte entre conceptions différentes apparaissent constamment au sein du Parti ; c’est le reflet, dans le Parti, des contradictions de classes et des contradictions entre le nouveau et l’ancien existant dans la société ». (Mao Tsé-toung, De la contradiction). Ce sont là pour Bettelheim des réalités extrêmement volatiles. Que le PC(b) de l’URSS, sous la direction de Staline, ait mené une lutte à mort contre les trotskistes, zinoviévistes, boukhariniens et autres ennemis de classe, devient un fait négligeable du moment que Bettelheim, installé sur son trône intemporel, est en mesure de « voir » que, de toute façon, tout le monde avait tort !

Pour faire accepter ce « fait », Bettelheim tombe dans le piège de la double tactique réactionnaire.

Première tactique

Insinuer que la ligne stalinienne de la construction du socialisme en URSS était en réalité une ligne de la construction du capitalisme.

Opération n° 1. Le « modèle de Préobrajensky » « a été finalement appliqué tant bien que mal ». (p. 200) C’est la vieille thèse trotskiste qui consiste à dire que Staline liquidait les opposants tout en appliquant leur politique. Nous savons qu’il est vain d’en attendre la démonstration. « A mes yeux, ajoute gravement Bettelheim, Préobrajensky a appliqué mécaniquement à la société socialiste ce que Marx a dit de l’accumulation capitaliste primitive ». Aux yeux de Staline aussi.

Voici la fameuse « loi » de Préobrajensky :

« Plus tel ou tel pays, qui passe à l’organisation socialiste de la production, est économiquement arriéré, petit-bourgeois et agricole … et plus, relativement, l’accumulation socialiste sera obligée de s’appuyer sur l’exploitation des formes présocialistes d’économie… Au contraire, plus tel ou tel pays, dans lequel la révolution sociale remporte la victoire, est économiquement et industriellement développé …, plus il est nécessaire pour le prolétariat du pays en question de réduire la non-équivalence des échanges de ses produits contre ceux des anciennes colonies, c’est-à-dire de limiter l’exploitation de celles-ci, et plus le centre de gravité de l’accumulation socialiste se déplacera vers la base de production des formes socialistes, c’est-à-dire s’appuiera sur le surproduit de sa propre industrie et de sa propre agriculture ».

Et voici ce qu’en pensait Staline :

« Il n’est pas nécessaire d’indiquer que Préobrajensky s’engage que le chemin des contradictions antagonistes entre les intérêts de notre industrie et les intérêts de l’économie paysanne de notre pays, c’est-à-dire le chemin des méthodes capitalistes de l’investissement.

A mon avis, en traitant l’économie paysanne comme une « colonie », et en voulant constituer le rapport entre prolétariat et paysannerie en rapport d’exploitation, Préobrajensky essai de saper les fondements de toute possibilité d’une industrialisation socialiste, sans lui-même le comprendre.

Je pensais que cette politique n’avait rien de commun avec la politique du Parti, laquelle fonde le travail d’industrialisation sur la collaboration entre prolétariat et paysannerie ». (Sur la déviation social-démocrate dans notre Parti, O.C. (Dietz), t. 8, p. 257-258)

Opération n° 2. Staline, confondu avec Préobrajensky sous l’appellation de « thèse industrialiste », est opposé à Boukharine pour que l’un et l’autre soient aussitôt renvoyés dos à dos.

« La thèse de Boukharine proposait d’avancer à pas de tortue : la thèse industrialiste proposait de réaliser l’industrialisation sur la base de l’accumulation socialiste primitive. Je dois dire que les deux thèses me paraissent fausses. L’une et l’autre renvoyaient à deux formes possibles de développement capitaliste ». (p. 204-205)

La lutte de classes a disparu, la défense et le renforcement par Staline de la dictature du prolétariat, n’ont jamais existé ! Il s’agissait de deux techniques (des « modèles »), toutes deux erronées !

Deuxième tactique

Elle sert à réduire, à édulcorer ces prises de position inouïes. Destinée à rendre les « thèses » plus acceptables, elle en fait apparaître plus manifestes encore l’inconsistance et l’inanité.

– Les erreurs que je « critique », dit Bettelheim, étaient peut-être des erreurs inévitables ; l’étaient-elles encore ? Je l’ignore. (p. 205). Seul un bilan historique concret permettrait de voir clair dans un tel problème !

– Ce que je vise, dit-il encore, ce n’est pas la collectivisation ni l’industrialisation elles-mêmes, ce sont leurs « formes spécifiques ». (p 201) Mais la lutte, entre Staline et Trotski par exemple (miraculeusement absente de ce débat), ne portait pas tellement sur les formes ! Il s’agissait de décider si la construction intégrale du socialisme elle-même était possible en URSS. A quelle contradiction de classes correspond, de l’avis de Bettelheim, une telle lutte ?

– Après avoir porté les attaques les plus inconsidérées, Bettelheim recule et déclare « qu’on ne refait pas l’histoire » (p. 198 et 204). Or, c’est précisément ce qu’à longueur de pages il passe son temps à faire. Le point de vue « supérieur », « maoïste », de Bettelheim, c’est le point de vue Sirius du spectateur « éclairé » qui compte les coups dans la lutte des classes.

LA POSITION POLITIQUE

Il est exact que pour analyser certaines erreurs de Staline et expliquer la restauration du capitalisme en URSS, il faut s’appuyer sur la théorie et la pratique du PCC, sur la pensée-maotsétoung. Bettelheim dira qu’il n’a pas voulu faire autre chose. Mais c’est précisément là que le bât blesse. Car l’usage théorique de la pensée-maotsétoung n’est une arme communiste qu’entre les mains des révolutionnaires s’appuyant sur l’idéologie marxiste-léniniste. Pour aboutir à des résultats corrects, il faut partir d’une position idéologique juste. Alors seulement une étude de l’ensemble du problème (analyse de classes de la dictature du prolétariat en URSS), menée selon le matérialisme dialectique, devient possible. Que fait Bettelheim ? A partir d’un savoir académique il infère des conclusions théoriques et politiques, en faisant abstraction de toute analyse de la lutte entre les deux voies et sans se soucier de prendre une position appuyant la ligne léniniste-staliniste-pensée-maotsétoung. Il confond les deux lignes dans une condamnation commune, et se heurte ainsi nécessairement à la contradiction philistine, « je critique, mais en réalité on ne refait pas l’histoire » ! Il ne s’agit pas de refaire ou de ne pas refaire l’histoire. Il s’agit (pour les dirigeants du prolétariat, pas pour les « savants » en chambre) de faire le bilan concret de deux étapes de la dictature du prolétariat, selon la méthode dialectique-matérialiste et de prendre position pour la ligne rouge, afin de la défendre contre l’ennemi et de la poursuivre, quelles qu’aient été les conditions objectives où elle a dû se développer et quelles qu’aient pu être les erreurs commises.

A Bettelheim, les progrès techniques et pratiques réalisés par le PCC sur la base des expériences et positives et négatives de l’URSS servent, au contraire, de cheval de Troie pour « démonter » la ligne rouge staliniste. Il veut démanteler le front communiste, briser le lien indissoluble qui unit Staline à Mao Tsé-toung, au moyen d’une « critique » opportuniste de Staline. Il veut insinuer que les contradictions entre la ligne staliniste et la pensée-maotsétoung sont antagonistes. Bettelheim prétend adopter le point de vue supérieur du PCC, en refusant de voir que la politique bolchévique a contribué de façon décisive à rendre possible ce point de vue, par la lutte que Staline a menée contre le capitalisme à l’extérieur et à l’intérieur de la Russie, par sa défense courageuse de la dictature du prolétariat et de l’internationalisme prolétarien.

Bettelheim a un point de vue « maoiste » en apparence, mais en réalité ses thèses ne peuvent rendre service qu’au trotskisme et au révisionnisme. Si l’on prétend que les « formes » de la construction du socialisme en URSS étaient des « formes possibles » de retour au capitalisme, et s’il est vrai que les erreurs de la politique d’industrialisation en 1927-1928 étaient « peut-être » inévitables, cela ne revient-il pas à se demander si le socialisme en URSS pouvait être construit ? Cela n’est-il pas un soutien à la théorie pourrie de la « révolution permanente » ? Qui attaque le camarade Staline, se retrouve immanquablement chez Trotski et Brejnev. Que vous le veuillez ou non, Bettelheim, toutes ces rigoles conduisent au même égout.


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