Dès sa création, le parti des Panthères noires a eu des problèmes avec des tas de gens qui y entraient pour s’en servir de base pour des activités criminelles que le parti n’a jamais soutenues, et dont il n’est responsable en rien.
Dès les premiers temps, il nous a fallu bien souvent faire remarquer à certains frères qu’ils ne respectaient pas les règles, et parfois leur dire qu’ils n’étaient plus membres du parti et qu’ils ne le représentaient donc plus.
Certains entraient au parti parce qu’ils nous avaient vu porter des armes, mais ils ne s’intéressaient qu’aux armes. Aussi, dès le début, on fit la chose suivante : quand des frères entraient dans le parti, on commençait par les éduquer politiquement. On leur donnait des livres comme l’Autobiographie de Malcolm X, Les Damnés de la terre, et on les aidait à assimiler leurs droits constitutionnels et quelques autres données juridiques de base.
Le programme en dix points était essentiel, car c’est à travers lui que les frères comprenaient que, si nous avions des armes, ce n’était pas pour des activités criminelles stupides dirigées contre le peuple, mais pour l’autodéfense, compte tenu du fait qu’il y avait tellement de brutalité et de meurtres commis par les flics contre le peuple noir.
Nous avons constamment essayé d’apprendre tout cela aux frères depuis le début, et beaucoup, beaucoup ont assimilé et compris les desseins du parti. Mais au cours de son développement, beaucoup ont dû abandonner, ont été exclus, ou ont quitté le parti à notre demande.
Il existe des gens qui vont et viennent disant qu’ils sont membres du parti des Panthères noires alors qu’ils ne le sont pas. Quand ils se font arrêter, ou qu’ils font une connerie, ou que simplement les flics leur collent une affaire montée de toutes pièces sur le dos, les services de la police annoncent alors à la presse qu’ils viennent d’arrêter des membres du parti des Panthères noires.
Naturellement, les politiciens démagogues et la police qui sont le bras armé de l’État et qui protègent celui-ci et les richesses des hommes d’affaires cupides et avares, mentent et essayent de tromper le peuple. Ils ne veulent pas que les gens comprennent la philosophie du parti des Panthères noires, le programme en dix points, et les programmes que nous mettons en place dans la communauté à un niveau concret pour essayer d’éduquer le peuple et mettre fin à son oppression.
Les violations des règles étaient dues au départ au conditionnement antérieur et à l’oppression que nous subissons. Le parti a pour principe que seuls, ceux qui sont vraiment dévoués au service du peuple, ceux qui sont capables de saisir la signification des règles et de la philosophie du parti des Panthères noires, sont dignes d’entrer en son sein.
Une de nos règles dit qu’un membre ne doit pas être saoul quand il travaille pour le parti. Cela ne veut pas dire que les membres du parti ne peuvent jamais boire, mais quand on est saoul, on ne peut pas faire de travail politique. Il est interdit de boire aux abords des locaux du parti.
A une certaine époque, on laissait les frères apporter à boire au local, mais on leur disait d’aller dans le fond, et qu’ils n’avaient pas intérêt à se saouler. Mais par la suite, on arrêta cela aussi. Quand des frères venaient saouls au local, et disaient qu’ils voulaient entrer au parti, on leur répondait qu’ils ne pouvaient pas en être membres.
Quand un frère se mettait à boire, et devenait par conséquent incapable d’un travail politique, on le suspendait. S’il violait les règles à nouveau, on l’excluait, et on mettait sa photo et son nom dans notre journal en expliquant que ses désirs et ses besoins personnels semblaient être au-dessus du principe du parti qui est de servir le peuple dans la communauté.
Certains rejoignaient le parti pour tenir un rang. Le parti était très connu dans la communauté, et on en parlait beaucoup dans les journaux. Ce genre de mecs se mettaient sur le dos un uniforme complet de Panthère, – béret noir, pantalon noir, chaussures noires bien cirées, chaussettes noires, chemise bleue, noeud papillon noir.
Ils se rasaient de près, et s’ils portaient la barbe ou le bouc, ils les taillaient avec soin. Ils montaient la garde devant le local, toisant les gens qui passaient, l’air mauvais, bombant le torse, et les bras croisés. Psychologiquement, ils s’identifiaient au portrait des Panthères qu’avaient fait les journaux à sensation.
On commença à les appeler les « terroristes de salon ». Leur seule activité, c’était de draguer les sœurs. Certaines sœurs aimaient ces frères qui roulaient des mécaniques, parlaient fort et crûment, et draguaient. Ils ne faisaient aucun travail, ou quand ils en faisaient, ils le bâclaient, si bien qu’on dut suspendre ou exclure bon nombre de ces frères et sœurs.
Ils traînaient en groupe devant le local. Quand on leur demandait d’aller distribuer des tracts, ils racontaient qu’ils l’avaient déjà fait. Une fois sur deux, ils les jetaient au lieu de les distribuer.
On commença à en trouver des paquets entiers dans les corbeilles à papier « gardez votre ville propre » ou même simplement posés dessus. Ça nous écœurait vraiment. Tout ce qu’ils voulaient, c’était afficher qu’ils étaient au parti des Panthères noires pour draguer les sœurs. Certains d’entre eux n’étaient que de vulgaires nationalistes culturels, des racistes noirs. C’était une bande de cons dont il fallait se débarrasser.
Parfois, des amis blancs du Peace and Freedom Party venaient à notre local pour nous apporter de l’argent pour nos déplacements, ou des rames de papier. Ces crétins de « terroristes de salon » leur disaient alors : « Vous, les Blancs, vous n’avez pas le droit d’entrer dans notre local. » Il y avait un bon nombre de racistes noirs qui faisaient du travail, mais ils propageaient des attitudes racistes, ce qui allait parfaitement à l’encontre de la ligne révolutionnaire du parti.
On essaya de leur dire et de leur redire que notre coalition avec le Peace and Freedom Party n’était qu’une alliance de travail sur un projet particulier.
Certains essayaient de séparer cette coalition de son contexte politique, et disaient qu’on mettait notre confiance dans les Blancs.
On leur répondait : « Non, on n’a pas confiance dans les Blancs, on a seulement confiance dans ce qu’ils font. Les Blancs qui font des choses positives, on les respecte, ceux qui font des choses négatives, on les méprise. » C’est ainsi qu’il faut le comprendre. Souvent, les types utilisaient cela pour dissimuler leur manque d’activité. On leur en fit la remarque ; et on leur dit qu’ils glandaient, qu’ils ne travaillaient pas, qu’ils ne faisaient rien de positif pour le parti.
Finalement, on en parla à Huey. Il ordonna à tous les membres du parti des Panthères noires de ne plus porter le béret sauf pendant les cérémonies publiques ou autres, où le parti voulait attirer l’attention sur le fait que nous avions des uniformes, et que nous étions un parti politique dont les membres étaient au service de la communauté.
Si vous aviez vu les réactions. Les terroristes de salon dirent : « Qu’est-ce que tu racontes ? Tu me casses ma baraque mon vieux ! » « C’est ce qu’on voulait justement faire, leur dit-on, et qu’on ne vous voie plus avec le béret. Ça va permettre de voir qui travaille et qui ne fait rien. Et ne vous avisez plus de faire les fiers en étalant votre appartenance au parti. »
A cette époque, il y avait aussi un autre problème : les frères ne s’identifiaient qu’aux armes. Quand on lança le parti, Huey et moi, ça n’était pas du tout là notre intention.
On savait qu’il fallait apprendre aux frères que le fusil n’était qu’un outil, et qu’il ne devait être utilisé que dans cet esprit. Quand on démarra, les premiers membres devaient suivre des cours de formation politique qui comprenaient une heure d’instruction sur le démontage des armes, leur entretien, etc., et deux heures de véritable enseignement et de formation politique.
Le troisième domaine, c’était le travail, la coordination des diverses activités, et la compréhension des actions politiques entreprises, comme la fois où, par exemple, on se rendit aux services de police de Richmond pour aider les frères et sœurs de cette ville, et qu’on essaya de rentrer dans le bureau du shérif, armés et accompagnés de gens de la communauté, pour protester contre les meurtres et les brutalités policières.
On « patrouillait » aussi la police dans la communauté, essayant par là de mettre en pratique le septième point du programme. Dans toutes les actions que l’on entreprenait, on essayait d’apprendre aux frères combien il était important d’éduquer le peuple politiquement.
L’éducation politique correcte des membres était indispensable si l’on voulait dépasser les obstacles que l’on rencontrait en essayant d’organiser le parti. D’un autre côté, on voulait avoir le plus de membres possible, afin que le parti s’étende, et que les membres portent le message. On avait aussi besoin d’un solide noyau de gens pour travailler à mettre tout cela sur pied. Finalement, de la prison où il se trouvait alors, Huey envoya un message dans lequel il disait que ceux qui ne faisaient aucun travail devaient être exclus du parti, car il préférait travailler avec trois cents types bien qu’avec trois mille irresponsables.