« Vanité donc, d’amasser des richesses périssables et d’espérer en elles.
Vanité, d’aspirer aux honneurs et de s’élever à ce qu’il y a de plus haut.
Vanité, de suivre les désirs de la chair et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni.
Vanité, de souhaiter une longue vie et de ne pas se soucier de bien vivre.
Vanité, de ne penser qu’à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra.
Vanité, de s’attacher à ce qui passe si vite et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point. »
Ce point de vue, tout à fait conforme au baroque, est tiré du grand « best-seller » que fut l’Imitation de Jésus-Christ, écrit en latin dans la première partie du XVe siècle. Cela montre quel fut l’arrière-plan du baroque : d’un côté l’esprit de dévotion, de l’autre la religiosité populaire.
L’appel à la civilisation qu’on trouve dans le christianisme est ici dévié en culte d’une attitude obséquieuse, d’un esprit passif, de la soumission morale et intellectuelle à des valeurs idéales. On est là dans une démarche centrée sur la « vie intérieure », concept employé par « l’imitation » elle-même, comme le montrent les titres de ses parties :
Livre premier – Avis utiles pour entrer dans la vie intérieure
Livre deuxième – Instruction pour avancer dans la vie intérieure
Livre troisième – De la vie intérieure
Livre quatrième – Du sacrement de l’Eucharistie
L’Imitation de Jésus-Christ fut publiée à des millions d’exemplaires, permettant à l’Église catholique de diffuser une religiosité à la fois populaire et tourmentée, tournée vers la « passion ».
Puisque le hussitisme et le protestantisme mettaient, en effet, en avant un individu capable de morale, de choix corrects, il fallait un levier mystique pour le catholicisme, il fallait être en mesure d’en appeler à la « vie intérieure », aux sentiments là où ses adversaires mettaient en avant la raison.
Il fallait, en quelque sorte, réimpulser la religiosité du Moyen-Âge. Cependant, l’Église avait besoin pour cela d’intermédiaires entre les gens et Dieu, afin d’empêcher tant les soulèvements mystiques incontrôlés que les éventuels choix raisonnables se passant de l’Église elle-même.
Il y eut alors recours à la généralisation théologique des « intercesseurs » : les « saints ». Le culte des « saints » est par conséquent une composante essentielle du baroque. Le Vatican a dépensé une énergie importante pour disposer de « saints » locaux sur lesquels s’appuyer pour évangéliser et reconquérir les zones perdues aux protestants.
En 1588 fut ainsi fondée la « Sacrée Congrégation des rites » afin de faire en sorte que la béatification, puis la canonisation – la reconnaissance comme « saint » – relève non pas d’un simple choix personnel du pape, mais de tout un processus idéologique ancré localement également, ou bien du choix d’une « exportation » d’un saint selon les besoins du moment – ainsi historiquement, la moitié des « saints » a toujours été issue d’Italie.
La période du baroque a donc été celle d’une accumulation de « saints » : on en a 35 en 1592, puis 46 en 1644, 60 en 1691, 87 en 1769. Il faut noter ici que la fin du XXe siècle voit de nouveau lancé un processus similaire : il y avait 199 « saints » en 1978, mais Jean-Paul II procéda à pas moins de 80 canonisations, son successeur Benoît XVI à 28.
Naturellement, à ces « saints » qui furent « choisis » par l’Église, il faut en ajouter environ 10 000 autres, notamment de l’époque romaine et du début du Moyen-Âge.
Pour comprendre le culte des saints, il faut comprendre l’importance historiquement mondiale de la tempête hussite, qui a ébranlé pour la première fois l’Église catholique romaine dans son ensemble. Le prolongement protestant finit de menacer ses assises, et la reconquête était nécessaire.
C’en était fini des bases issues l’époque de l’âge gothique : désormais, il fallait se confronter à des monarchies absolues s’émancipant idéologiquement. Pour ce qui concerne la France, le Vatican avait dû céder lors du concordat de Bologne en 1516, permettant à François Ier de nommer six cent personnes jouant un rôle clef pour l’Église en France.
Un tel compromis fut toujours plus douloureux pour le Vatican, particulièrement lorsque par la suite Louis XIV accentua la tendance, soutenant les critiques acerbes et bourgeoises de Molière. Par conséquent, il exista une alliance objective entre les empires et le Vatican, en raison des besoins ultra-réactionnaires communs. Les empires, espagnol et autrichien, dominaient non seulement leurs propres masses nationales, mais également d’autres peuples, et la religion jouait un rôle politique unitaire.
Les « saints » permettaient à l’Église de reconquérir sa base et de renforcer l’unité avec les empires qui lui étaient alliés..