Pour comprendre le double caractère du baroque dans certains pays, on peut prendre en exemple l’oeuvre du peintre Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), appelé en français Caravage ou plutôt Le Caravage.

Chaque nation développe certains traits particuliers, qui formeront une contribution à l’humanité unifiée dans le processus que Karl Marx et Friedrich Engels ont appelé le socialisme, précédant la société communiste.

La société italienne n’ayant pas du tout connu le protestantisme, on doit par conséquent discerner dans quelle mesure le caractère national-bourgeois s’exprime, malgré tout, dans voire contre le baroque. Quand on voit cette terrible difficulté, on ne peut qu’être heureux des situations française et tchèque, où le baroque est clairement un objet extérieur, opposé au caractère national-bourgeois.

Prenons par exemple Saint François en méditation sur le crucifix. Ici, Le Caravage fait une représentation typiquement baroque d’un saint : celui-ci est pauvre, l’auréole est peu visible, un crucifix maintient ouvert l’ouvrage religieux, la scène est à l’extérieur dans une situation de dénuement, etc.

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Maintenant, voici deux représentations du Souper à Emmaüs. On a ici une configuration totalement différente, puisque, ici, c’est le réalisme qui frappe, qui prédomine nettement.

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Dans un même esprit, voici deux exemples de représentation d’une diseuse de bonne aventure, et également de tricheurs. Ici le thème même est non religieux.

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Prolongeons la question et augmentons la difficulté, avec Saint Matthieu et l’Ange ainsi que Sainte Catherine d’Alexandrie. On a ici un thème éminemment religieux, toutefois la représentation tend nettement au réalisme. Il y a ici une tension très grande entre la dimension religieuse (non mystique ici d’ailleurs pour la seconde oeuvre, même si les objets rappellent son martyr) et une représentation allant tout à fait dans le sens du concret.

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Voici une œuvre du même type, mais où l’aspect religieux prend beaucoup plus clairement le pas sur le réalisme : Saint François en méditation. C’est également le cas pour La Madone des pèlerins.

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Regardons maintenant La Mise au tombeau et La Crucifixion de saint Pierre. Ici, on a encore la tension religion/réalisme, mais cette fois avec véritablement le caractère national-bourgeois italien qui s’exprime. On retrouve ici cette tentative de virtuosité propre à l’Italie, sa complexité raffinée.

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On ne trouve rien de cela dans La Flagellation du Christ.

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Tel est le problème du baroque. S’il est clair que le caractère national-bourgeois français ou tchèque a rejeté le baroque, dans d’autres pays le processus a été d’une grande complexité.

L’Autriche s’est par exemple séparée de l’Allemagne par le catholicisme et le baroque, mais il est évident que l’espace pour un caractère national-bourgeois démocratique était tellement faible que cela a provoqué une affirmation tourmentée : c’est cela qui explique la littérature ultra-critique jusqu’au baroque, depuis Franz Grillparzer jusqu’à Thomas Bernhard, ou encore les « actionnistes » viennois.

L’Italie n’a pas eu ce souci de se « séparer » et son baroque prolonge de manière fort naturelle sa propre « Renaissance ». Mais là encore, l’espace national-démocratique bourgeois a été restreint : on ne peut pas comprendre le fascisme et Mussolini sans saisir cela.

Comprendre le baroque demande donc d’un côté de bien en voir le coeur réactionnaire, et de l’autre de voir comment des tendances tentent de s’exprimer à son travers, en se rappelant bien que cette forme, par définition, est liée à la féodalité.


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