« Si c’est là l’amour divin, il m’est très familier » : voici ce qu’a dit quelque proche du matérialisme lorsque, au XVIIe siècle, il vit Thérèse et l’ange, sculptures de Le Bernin (1598-1680), Gian Lorenzo Bernini de son véritable nom italien.
Ce Napolitain est, de fait, la grande figure artistique du baroque, son rôle est central et son style résume le baroque, comme en témoigne le baldaquin, qui abrite le ciboire (le vase utilisé lors des cérémonies), placé dans la basilique Saint-Pierre. Le Bernin fut le principal architecte porté par le Vatican ; menant une activité incessante, il est un activiste idéologique de premier plan.
Il se situe clairement, comme le montre son œuvre L’Enlèvement de Perséphone, dans le prolongement de la Renaissance, une Renaissance qui se divise en deux, avec d’un côté l’humanisme chrétien rapidement écrasé (celui de Thomas More et Erasme), et de l’autre le baroque.
On y retrouve déjà, ou plutôt encore, la vivacité, le mouvement, les formes, tout comme dans son David.
Tout cela est pourtant mis au service de la contre-réforme, notamment avec donc sa représentation de Thérèse, c’est-à-dire la mystique Thérèse d’Avila, canonisée en 1622 (en même temps qu’Ignace de Loyola et François Xavier).
Placée dans la Chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria, l’œuvre elle-même s’intitule L’Extase de sainte Thérèse ou plus exactement sa « transverbération », qui dans le catholicisme désigne le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé d’amour.
Thérèse d’Avila décrit cela de la manière suivante, dans son autobiographie intitulée pas moins que La Vie de sainte Thérèse de Jésus (1515-1582), une mystique cloîtrée, carmélite déchaussée, réformatrice et religieuse :
« J’ai vu dans sa main une longue lance d’or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu’il y avait un petit feu. Il m’a semblé qu’on la faisait entrer de temps en temps dans mon cœur et qu’elle me perçait jusqu’au fond des entrailles; quand il l’a retirée, il m’a semblé qu’elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu.
La douleur était si grande qu’elle me faisait gémir; et pourtant la douceur de cette douleur excessive était telle, qu’il m’était impossible de vouloir en être débarrassée. L’âme n’est satisfaite en un tel moment que par Dieu et lui seul.
La douleur n’est pas physique, mais spirituelle, même si le corps y a sa part. C’est une si douce caresse d’amour qui se fait alors entre l’âme et Dieu, que je prie Dieu dans Sa bonté de la faire éprouver à celui qui peut croire que je mens. »
Le Bernin a tenté de retranscrire cela, dans l’œuvre la plus célèbre du baroque.
Voici une représentation plus fidèle, verrue sur la joue comprise, de Thérèse d’Avila, par Fray Juan de la Miseria ; on est très loin de la représentation d’une jeune femme au visage extatique.
On est là dans le coeur du baroque : la vérité est, pour ainsi dire, ailleurs. Rappelons ici justement ces mots de Thérèse d’Avila, qui résume entièrement et précisément le baroque :
« Que rien ne te trouble
Que rien ne t’épouvante
Tout passe
Dieu ne change pas
La patience triomphe de tout
Celui qui possède Dieu
Ne manque de rien
Dieu seul suffit ! »
Le Bernin réalisa également une seconde « extase », celle de Ludovica Albertoni (1474-1533), béatifiée en 1671 et qui connut soi-disant également des extases, des lévitations, etc.
Avec cet aspect extatique, le baroque montre bien sa dimension militante, particulièrement agressive idéologiquement.