Avicenne a longuement exposé les moyens nécessaires pour que l’être humain parvienne à saisir les concepts universels.

On a chez Avicenne un être humain comme être pensant, c’est-à-dire capable d’appréhender son entourage matériel et de le comprendre en se conformant à l’ordre universel au moyen de la réflexion intellectuelle.

Cela amène une vision divine au sens où l’on voit littéralement le monde à travers les yeux de l’archange-intellect lui-même. Non seulement le prophète peut faire cela, mais également tout être humain se tendant dans la même direction.

C’est un matérialisme qui considère qu’il y a un Dieu et qu’on peut humainement fusionner avec le regard divin lui-même au moyen d’une intense capacité intellectuelle.

Il s’agit d’avoir à l’esprit l’ordre du monde lui-même, avec ses concepts, le monde entier reflété dans son esprit, et alors on devient le monde lui-même ou plus exactement on fusionne avec Dieu qui est le moteur de ce monde.

Avicenne formule cela de la manière suivante dans le Livre de la Guérison :

« La perfection de l’âme rationnelle est de devenir un monde intellectuel où l’on trouve un dessein de la forme du tout, de l’ordre intelligible qui est dans le tout et du bien qui flue dans le tout ; et cela en commençant par le principe du tout, en procédant vers les substances nobles, qui sont [les substances] spirituelles d’une façon absolue, pour continuer vers celles qui sont spirituelles mais reliées en quelque sorte aux corps, et encore vers les corps célestes, avec leurs dispositions et leurs puissances, et ainsi de suite, jusqu’à ce que la disposition de tout l’être se trouve exaucée dans [l’âme] et qu’elle devienne à la fois un monde intelligible, parallèle au monde existant tout entier ; et [tout] cela en contemplant ce qui est la bonté absolue, le bien absolu, la beauté absolue et réelle, en s’unifiant à elle, en imprimant en soi-même son modèle et sa disposition, en parcourant son chemin et en devenant partie de sa substance. »

L’être humain peut de fait parvenir à une jonction avec le sens du monde consistant en le « catalogue » des concepts universels des choses formant le monde. Et il y a plusieurs degrés dans la jonction : ceux qui y parviennent au moins un peu se mettent à l’écart des choses particulières, pour passer à l’universel.

C’est tout à fait dialectique, c’est la systématisation de la réflexion, dans sa nature dialectique, qui est ici exposée, les degrés de « jonction » étant ceux de la capacité à synthèse.

Avicenne expose ici toute une psychologie matérialiste qui se fonde directement sur Aristote et exprimée par le prisme de la question de la prophétie, au sens du « décryptage » du sens du réel par une personne en particulier.

Ce que dit Avicenne, c’est que la question essentielle ici, c’est celle de l’imagination. Si cette dernière est bloquée par les sens, elle est limitée. Elle ne peut pas se joindre à l’intellect (qui est le catalogue des concepts universels), autrement dit on reste prisonnier du particulier par rapport à l’universel.

Après, même en faisant travailler son imagination, encore faut-il que celle-ci puisse saisir des « images » adéquates, d’une part, et qu’elle soit en mesure de ne pas être effacée par une activité sensorielle trop débordante, d’autre part.

De plus, les « images » qu’on obtient en réfléchissant (et qui sont une réflexion des concepts universels dans son propre esprit) doivent être clairs, ils ne doivent pas être découverts au moyen de choses ressemblantes, approximatives, permettant de les saisir mais comme imparfaitement, de manière insuffisamment nette.

Voilà pourquoi Avicenne parle de capacité prophétique comme le degré maximum : on reçoit les concepts universels à la base du monde comme une sorte de « révélation ». Et il souligne que dans le sommeil, on obtient parfois des « images », qui proviennent de « l’invisible » (et sont pour nous le saut qualitatif d’une réflexion au sein du cerveau, ce qu’on traduit communément par « la nuit porte conseil ») :

« L’expérience et le raisonnement s’accordent à prouver qu’il appartient à l’âme humaine d’obtenir de l’invisible quelque faveur dans l’état de sommeil.

Rien n’empêche donc quelque chose de semblable de se produire dans l’état de veille, à moins que, pour un motif quelconque, cette faveur soit supprimée ou qu’elle puisse être enlevée. »

En clair, Avicenne pose une méthode pour ouvrir son esprit à l’ordre du monde, en allant vers les concepts universels. Le paradoxe est bien entendu que lorsqu’on arrive à ces concepts universels, par une voie intellectuelle, on arrive à une extase qui est elle parareligieuse ou du moins mystique.

On a d’un côté la raison, de l’autre Dieu que l’on redécouvre au bout de la raison.

Mais comment définit-il alors ce Dieu ?


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