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Le grand dramaturge Bertolt Brecht a été contemporain de la montée du fascisme, et il a participé à la lutte révolutionnaire sur le front culturel.
La bataille pour la culture est essentielle pour nous communistes, et elle nous oppose ici non seulement au capitalisme et à ce qu’il charrie comme valeurs hiérarchiques et idéalistes, mais également au fascisme, qui se veut un « retour aux sources », un rétablissement de « l’ordre. »
Vu que Brecht est l’un des plus grands représentants du réalisme socialiste, réalisme socialiste qu’il a lui-même par ailleurs contribué à théoriser, il est donc intéressant de voir comment il a conçu le théâtre au service du peuple et ce que cela apporte à notre compréhension de la bataille culturelle.
Si ce thème est large et les oeuvres de Brecht nombreuses, une première (courte) évaluation peut être faite de deux oeuvres particulières.
Deux oeuvres se dégagent en effet pour nous en Belgique, pour deux raisons : tout d’abord il s’agit de deux oeuvres parmi les plus connues et les plus jouées de Brecht en Belgique, ensuite il s’agit de deux oeuvres traitant du fascisme, de la manière de comprendre celui-ci et de le combattre.
Et, troisième aspect nous intéressant : ces deux oeuvres sont totalement contradictoires !
En effet, Grand’ Peur et Misère du IIIème Reich et La résistible ascension d’Arturo Ui ont deux perspectives radicalement différentes.
Brecht a abordé dans d’autres pièces la question du fascisme (Têtes rondes et Têtes pointues, Les Fusils de la Mère Carrar, etc.), mais ces deux oeuvres sont les plus développées, les plus poussées.
Grand’ Peur et Misère du IIIème Reich consiste en 24 scènes représentant la vie quotidienne pendant les débuts de l’Allemagne nazie.
La pièce a eu également comme titre La vie privée de la race des seigneurs, et forme une sorte de panorama de la peur quotidienne face à la terreur, de l’esprit de délation, de l’idéologie « nationale » dominante, des privations, etc.
On peut voir un juge terrorisé à l’idée de rendre un jugement en raison des prévenus qui font partie de la SA alors que de l’autre côté le plaignant est lié à des dirigeants SS, ou encore des parents qui ont peur que leur enfant subjugué par les jeunesses hitlériennes les dénonce comme opposants.
On voit bien entendu la vie quotidienne pleine de privations des masses, avec également la question du rapport homme-femme. On a une scène dans un camp où un communiste reproche à un socialiste d’avoir empêché le front unique et d’avoir préféré la victoire nazie à l’alliance avec les communistes.
On a une scène très dure où un communiste sort d’un camp et affronte la suspicion inévitable et nécessaire de ses camarades à sa libération, qui doivent tout faire pour savoir si leur ancien camarade a été « retourné » et s’est transformé en indic.
On a donc un panorama qui ne se veut pas explicatif, mais réaliste, selon la perspective socialiste.
La résistible ascension d’Arturo Ui a une démarche différente.
Brecht a composé une grande parabole de l’Allemagne des années 1930 afin de démystifier les nazis. A la fin de la pièce est dite la phrase « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde », qui est assez connu en Belgique concernant le fascisme.
La pièce se déroule dans le Chicago des années 1930, avec le trust du chou-fleur qui subit la crise et ne trouve comme solution que d’utiliser les gangsters pour forcer les détaillants à obéir aux règles du trust du chou-fleur !
Arturo Ui, qui représente donc Adolf Hitler, présenté comme le chef de gang d’une horde de brutes (en fait les SA), est un opportuniste qui tente de s’imposer comme le « sauveur », afin de réaliser son « destin » de chef.
Dans La résistible ascension d’Arturo Ui on ne voit donc pas la vie quotidienne, on a au contraire une mise en scène, avec comme protagonistes les détaillants, les gangsters et le trust.
Et c’est là précisément que le bât blesse. Le peuple n’est pas représenté dans la pièce La résistible ascension d’Arturo Ui et c’est en opposition absolue avec les principes élaborés par Brecht.
Brecht a en effet toujours souligné que le réalisme socialiste devait représenter les masses comme protagonistes, qu’il était anti-dialectique de présenter l’histoire de l’Allemagne comme seulement négative.
Alors, pourquoi y a-t-il la pièce La résistible ascension d’Arturo Ui ?
La réponse est simple : il n’y a pas de pièce de Brecht qui s’appelle La résistible ascension d’Arturo Ui. Brecht n’a jamais publié de son vivant cette pièce, et il n’y a pas non plus eu de représentation de cette pièce alors qu’il était en vie.
La première représentation date de 1958, soit deux années après sa mort, à partir d’un cahier de Brecht, mais ce cahier ne représente en rien une œuvre terminée et reconnue telle quelle par Brecht.
D’ailleurs, il y avait eu des discussions, au début des années 1950 en République Démocratique Allemande, au sujet de cette œuvre, entre Brecht et des artistes communistes et Brecht avait effectué son autocritique.
Il avait notamment expliqué que l’œuvre n’avait de sens que par rapport à l’année où elle avait été écrite − 1941. C’est-à-dire que pour Brecht l’oeuvre n’avait de sens qu’à un moment donné et qu’elle n’était en rien une explication générale du fascisme.
De plus, Brecht admettait la critique comme quoi le personnage de Roma, qui symbolise le dirigeant des SA Roehm, assassiné durant la nuit des longs couteaux (Brecht faisant un parallèle avec une vague d’exécutions entre bandes à Chicago le jour de la Saint-Valentin en 1929), se voit donné de manière fondamentalement erroné des caractères de « martyr. »
Ainsi donc, si Grand’ Peur et Misère du IIIème Reich correspond à la ligne réaliste socialiste et est une œuvre à mettre en avant, La résistible ascension d’Arturo Ui est une escroquerie de la bourgeoisie dans la mesure où cette oeuvre est parcellaire.
D’ailleurs, la bourgeoisie appuie sur cette faille qu’est l’absence du peuple.
L’œuvre de Brecht est transformée en œuvre « anti totalitaire » ; ainsi à Berlin en 2008 où l’on peut voir inscrit « Moscou : 100 kilomètres » sur les jerrycans d’essence des gangsters, afin d’assimiler les « dictatures nazie et stalinienne. »
Tout cela est d’un grand enseignement. En s’intéressant à un aspect précis du fascisme − le caractère ridicule des dirigeants fascistes, Brecht a tenté de servir le peuple, mais sa contribution s’est transformé en son contraire de part la faiblesse concernant la présence du peuple, ou comme le dit Brecht de son « potentiel de création. »
Cela montre toute l’attention qu’il faut accorder au principe souligné par Mao Zedong comme quoi il est nécessaire de bien comprendre la contradiction principale et la contradiction secondaire au sein d’un phénomène.
Mais il est vrai, à la décharge de Brecht, que ce dernier n’a lu (et admiré) Mao Zedong que plusieurs années après avoir écrit La résistible ascension d’Arturo Ui, et écrit qui plus est dans les conditions terribles de l’émigration alors que l’Allemagne subissait la terreur nazie.
Voilà un premier point de départ dans la compréhension de l’oeuvre de Brecht, l’un de nos plus grands auteurs, dont l’oeuvre correspond dans son ensemble aux principes marxistes-léninistes-maoïstes.