Lorsque la bourgeoisie a cessé d’être progressiste, elle a fragmenté sa vision du monde, de plus en plus. De l’impressionnisme, on est passé au cubisme, de l’esprit libéral concurrentiel au monopolisme, de l’art moderne à l’art contemporain.

Martin Heidegger

La bourgeoisie sait par un instinct de classe que pour freiner la révolution socialiste, elle doit générer des obstacles au matérialisme dialectique : ce sont les idéologies qui nient l’existence des classes sociales, de la société, de l’humanité, de l’humain.

Il s’agit pour la bourgeoisie de nier la vue d’ensemble, et de passer de la société à l’individu, de l’individu à son inconscient, tout cela afin de nier la possibilité d’une unification de classe du prolétariat pour dépasser la bourgeoisie elle-même. La bourgeoisie est obligée, par refus du matérialisme, de basculer dans la subjectivité.

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les pays capitalistes devenant impérialistes ont ainsi charrié un nombre très important de conceptions irrationnelles, largement influencées par la collision entre la bourgeoisie dominante et l’aristocratie toujours présente, entre le capitalisme triomphant et les caractéristiques encore largement agraires de cette société.

La bourgeoisie a repris le romantisme aristocratique à son compte, pour exiger davantage de modernité contre le monde moderne lui-même, dans ce qui est à la fois une vision « post-moderne » et une « révolte contre le monde moderne » théorisée par des figures célèbres comme Samuel Beckett, Henri Bergson, Sigmund Freud, Michel Foucault, Roland Barthes, Edmund Husserl, Martin Heidegger, Jean-Paul Sartre, Theodor W. Adorno, Herbert Marcuse… et cela jusqu’à Lady Gaga et Oussama Bin Laden.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes, en effet, que la révolution iranienne et l’islamisme radical soient deux phénomènes puisant directement leur idéologie dans les cours universitaires et les auteurs post-modernes, tout en se voulant une « rupture » avec la culture de l’époque de l’impérialisme.

Là est la difficulté de la bourgeoisie décadente, produisant à la fois une vision « post-moderne » et une « révolte contre le monde moderne » : l’islamiste radical et le bourgeois bohème hipster et queer sont deux faces de la même pièce.

La bourgeoisie française a joué un rôle historique dans ce processus. Elle est même au cœur du processus intellectuel ayant réalisé la pensée post-moderne. C’est la France qui a produit des figures clefs comme Samuel Beckett, Jacques Derrida, Michel Foucault, figures clefs du « post-modernisme » et, à ce titre, adulés dans les facultés américaines.

A ce titre, Michel Foucault a parfaitement raison de dire qu’il y a toute une histoire de la pensée anti-matérialiste dialectique qui puise dans les années 1950, histoire dont il fait partie lui-même :

J’ai lu récemment dans des journaux que les intellectuels français ont cessé d’être marxistes à partir de 1975, et à cause de Soljenitsyne. Il y a de quoi éclater de rire. Beckett, En attendant Godot [1953], c’est quand ?

Les premiers articles de Barthes, sur les Mythologies [1957], c’est quand ? Les concerts du Domaine musical [de Pierre Boulez organisant des concerts de « musique nouvelle », 1954], c’est quand ? Lévi-Strauss [auteur de Tristes tropiques, 1955], c’est quand ? Et [Philippe] Ariès [traditionaliste fasciste historien des mentalités des années 1960] ?

Il y a eu, disons de 1950 à 1960, toute une série d’événements majeurs, qui ont formé une planète culturelle, esthétique, scientifique et artistique d’un tout autre type que ce qui avait pu être élaboré ou légué par le marxisme et la phénoménologie.

(entretien avec A. Farge et les journalistes du Matin F. Dumont et J.-P. Iommi-Amunategui, Le Matin, 21 février 1984)

Réfuter l’idéologie de l’existentialisme et de la phénoménologie, de l’art contemporain et de la « révolte contre le monde moderne », est un devoir en défense du matérialisme dialectique.


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