Jacques Derrida (1930-2004) est une personnalité totalement inconnue des larges masses, et pourtant il a été un contributeur décisif à l’existentialisme, le faisant passer, avec Michel Foucault, à un stade supérieur.

A ce titre, dès le début des années 1970, il est accueilli avec un énorme intérêt dans les facultés américaines. De fait, sa démarche est une escroquerie intellectuelle, passant par un discours vaguement littéraire et surtout nihiliste sur le plan de la raison.

Voici un extrait de ce que peut raconter Jacques Derrida :

« La différence, c’est le jeu systématique des différences, des traces de différences, de l’espacement par lequel les éléments se rapportent les uns aux autres. Cet espacement est la production, à la fois active et passive (le a de la différence indique cette indécision par rapport à l’activité et à la passivité, ce qui ne se laisse pas encore commander et distribuer par cette opposition), des intervalles sans lesquels les termes « pleins » ne signifieraient pas, ne fonctionneraient pas. C’est aussi le devenir-espace de la chaîne parlée – qu’on a dite temporelle et linéaire ; devenir-espace qui seul rend possibles l’écriture et toute correspondance entre la parole et l’écriture, tout passage de l’une à l’autre. »

Mais par ce nihilisme, Jacques Derrida a posé les bases de la « déconstruction » : tout doit être déconstruit. En cela, il propose un nihilisme radical, ouvertement fondé sur Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud, Martin Heidegger.

Jacques Derrida

Jacques Derrida

A ses côtés, on trouve Jean-François Lyotard (1924-1998), auteur de La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir (1979) qui a popularisé le concept de « postmoderne ».

Militant dans le groupe ultragauchiste « Socialisme ou barbarie » de Cornelius Castoriadis, Jean-François Lyotard affirme que désormais ne sont plus acceptables « le métarécit de l’émancipation du sujet rationnel et le métarécit de l’histoire de l’esprit universel », c’est-à-dire la raison et le matérialisme.

Aux Etats-Unis, l’impact sera tel qu’il sera parlé de la « French Theory », qui va consister en une vague subjectiviste radicale, faisant l’apologie de l’individu sous le masque de déconstruire tous les concepts.

On trouve également dans ce courant naturellement Jacques Derrida et Michel Foucault, mais également le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995) et le psychanalyste Félix Guattari (1930-1995), auteurs ensemble de L’Anti-Oedipe (1972) et Mille Plateaux (1980), œuvres faisant l’apologie de la subjectivité radicale, dans un esprit ouvertement tourné vers Friedrich Nietzsche et Henri Bergson.

Gilles Deleuze

Gilles Deleuze

Ces œuvres affirment que l’individu doit s’arracher à toute emprise de la société. En ce sens, il affirme exactement la même chose que Michel Foucault.

Elles seront des références très importantes pour l’extrême-gauche anti-matérialiste dialectique, tout comme l’ont été les œuvres de Frantz Fanon (1925-1961).

Médecin tourné vers la psychiatrie et la psychanalyse, il a théorisé la justification du subjectivisme le plus complet du colonisé, y compris dans la violence aveugle.

Frantz Fanon a ainsi joué le rôle de principal penseur du « tiers-mondisme », dans l’esprit d’un existentialisme radical et naturellement soutenu en cela par Jean-Paul Sartre.

Pour Frantz Fanon, il faut déconstruire la colonisation dans les esprits. Il finit par rejoindre les rangs du Front de Libération Nationale en Algérie, soutenant ouvertement sa ligne subjectiviste et sa violence aveugle contre tous les colons de manière indiscriminée.

Frantz Fanon justifie sa position par la mise en valeur de l’individu, et non de la classe : l’individu a souffert mentalement et il ne peut se libérer qu’en renversant individuellement sa situation, sans considération de l’ensemble.

Cette vision totalement subjectiviste de l’individu aura bien entendu un grand succès dans la gauche anti-matérialiste dialectique. Voici un exemple de la conception ultra-individualiste de Frantz Fanon :

Frantz Fanon

Frantz Fanon

« La première chose que l’indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites ; c’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je grimpe.Je rêve que j’éclate de rire, que je franchis le fleuve d’une enjambée, que je suis poursuivi par une meute de voitures qui ne me rattrapent jamais.

Pendant la colonisation, le colonisé n’arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin. Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va d’abord la manifester contre les siens.

C’est la période où les nègres se bouffent entre eux et où les policiers, les juges d’instruction ne savent plus où donner de la tête devant l’étonnante criminalité nord-africaine. »

Frantz Fanon est ici le théoricien de « l’homme nouveau », le même concept utilisé dans les pays du tiers-monde par les « mouvements de libération » en fait liés au social-impérialisme soviétique, le même concept utilisé par Ernesto Che Guevara, qui selon Jean-Paul Sartre était « l’homme le plus complet de sa génération ». On est ici dans la mythologie révolutionnaire rupturiste, sur un mode vitaliste.

On retrouve ici l’ombre d’Ali Shariati (1933-1977), son équivalent iranien. Voici ce que Frantz Fanon lui écrit :

« Même si je ne partage pas les mêmes sentiments que toi vis-à-vis de l’Islam, j’accepterai ton propos en disant que dans le Tiers Monde (et, si tu le permets, je préfère dire dans le Proche et Moyen-Orient), l’Islam a, plus que toutes les autres puissances sociales et idéologiques, une capacité anti-colonialiste et une nature anti-occidentale. »

Ce principe de colonialisme à déconstruire sera généralisé dans le prolongement de la « French theory », et va donner naissance au « queer » et à la théorie du « genre ».


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