« ANTI-DUHRING ». Ouvrage de F. Engels où sont exposés les trois éléments constitutifs du marxisme : la philosophie marxiste, c’est-à-dire le matérialisme dialectique et historique, l’économie politique marxiste et la théorie du communisme scientifique. Aussi cet ouvrage se divise-t-il en trois parties : « Philosophie », « Economie politique », « Socialisme ».

L’« Anti-Dühring » « analyse les problèmes les plus importants de la philosophie, des sciences naturelles et sociales… C’est un livre remarquablement instructif et riche de contenu » (Lénine : « Karl Marx ; Friedrich Engels », M. 1954, p. 51).

Engels écrivit ce livre pour défendre la théorie du marxisme contre les attaques de l’idéologue petit-bourgeois Eugène Dühring (V.) qui, avec un groupe de ses partisans, s’efforçait de soumettre à l’influence petite-bourgeoise le mouvement ouvrier et le parti social-démocrate allemand, encore jeune à cette époque.

Comme tous les philosophes petits-bourgeois, Dühring était un éclectique dont les vues conciliaient les théories les plus opposées. Le matérialisme vulgaire et les vues mécanistes s’alliaient chez lui à l’idéalisme de Kant (V.), Hegel (V.), etc.

Les opportunistes, Bernstein (V.) en particulier, accueillirent avec, enthousiasme les écrits de Dühring. Engels publia une série d’articles dirigés contre les prétentions réactionnaires de cet écrivain. En 1878, il les réunit en un volume intitulé « Monsieur E. Dühring bouleverse la science », qui reçut par la suite le titre d’« Anti-Dühring ». Dans cet ouvrage Engels démasque et tourne en ridicule Dühring, représentant typique d’une pseudoscience présomptueuse et ignare, détachée de la vie, grandiloquente et creuse, qui a la fatuité de proclamer des vérités « éternelles, définitives et sans appel ». Marx prit connaissance du manuscrit d’Engels avant l’impression et en écrivit lui-même le chapitre X de la deuxième partie (« Sur l’« Histoire critique »).

Dans l’« Introduction » et dans la première partie (« Philosophie »), Engels, critiquant le brouet philosophique de Dühring, expose les principes du matérialisme dialectique et historique. Il donne la solution matérialiste de la question fondamentale de la philosophie (V.), justifie les thèses essentielles du matérialisme philosophique marxiste : la matière est une donnée première tandis que la conscience est une donnée seconde, le monde est matériel et se développe en vertu de lois objectives, le monde est connaissable, etc. Par des exemples frappants tirés des sciences naturelles et de l’histoire, Engels fait ressortir le caractère dialectique de l’évolution de la nature, de la société et de la connaissance. Appliquant le matérialisme dialectique à l’étude de la nature et de la société, il projette une vive lumière sur nombre de problèmes des sciences naturelles et sociales.

Contrairement aux idéalistes pour qui les idées sont engendrées par In conscience, indépendamment du monde extérieur, Engels, invoquant les données de la science, et notamment l’exemple des notions mathématiques, démontre que toutes les connaissances humaines reflètent le monde matériel. « De même que le concept de nombre, le concept de figure est exclusivement emprunté au monde extérieur et non pas jailli dans le cerveau en produit de la pensée pure.

Il a fallu qu’il y eût des choses ayant figure et dont on comparât les figures avant qu’on pût en venir au concept de figure » (« Anti-Dühring », P. 1950, p. 70). Engels montre que le monde est un, non pas parce que la pensée unit tous les phénomènes, mais parce qu’il est matériel et que tous les phénomènes et processus de la nature sont des manifestations de la matière en mouvement. L’unité véritable du monde réside dans sa matérialité. La matière existe dans l’espace et dans le temps qui sont des formes de son existence. Engels fait une analyse profonde de la corrélation dialectique de la matière, de l’espace et du temps, et démontre l’infinité du temps et de l’espace.

Démasquant la conception mécaniste de Dühring, Engels approfondit les notions de matière et de mouvement. Le mouvement est l’attribut essentiel de la matière, le mode de son existence. Il n’y a pas de matière sans mouvement et, inversement, il n’y a pas de mouvement sans matière. Pour la première fois Engels expose amplement le problème des formes du mouvement de la matière. Le mouvement n’existe pas seulement sous la forme d’un déplacement mécanique des corps dans l’espace. Mouvement mécanique, physique, chimique, biologique : — « chaque atome singulier de matière dans l’univers participe à chaque instant donné à l’une ou à l’autre de ces formes de mouvement ou à plusieurs à la fois » (Ibid., p. 92).

Les thèses de la philosophie marxiste sur le monde organique, développées dans l’« Anti-Dühring », méritent une attention particulière. Engels apprécie hautement le darwinisme en tant que doctrine matérialiste de la nature vivante. Cela ne l’empêche pas de remarquer avec perspicacité les insuffisances de la doctrine de Darwin (V.), son manque d’attitude critique envers le malthusianisme, son abstention à l’égard de la recherche des causes qui provoquent les modifications dans les organismes. Engels n’a pas seulement constaté ces lacunes ; il a indiqué la voie scientifique permettant d’y remédier. Engels définit la vie en ces termes : « La vie est le mode d’existence des corps albuminoïdes, et ce mode d’existence consiste essentiellement dans le renouvellement constant, par eux-mêmes, des composants chimiques de ces corps » (Ibid., p. 114).

De nos jours, la doctrine mitchourinienne a comblé certaines lacunes et supprimé certains défauts de la théorie de Darwin et a pris le chemin indiqué par Engels.

Dans les chapitres suivants de la première partie Engels critique les conceptions dogmatiques, métaphysiques de la connaissance et de la vérité, de la morale, de l’égalité, de la liberté et de la nécessité, etc. Réfutant les vérités « éternelles » de Dühring, Engels met en évidence la dialectique de la connaissance. Il démontre l’existence de la vérité objective, le caractère relatif des vérités scientifiques et démontre en même temps que la pensée humaine est capable de découvrir la vérité absolue.

Par la suite, Lénine développa ces idées d’Engels et élabora ainsi la théorie achevée du rapport de la vérité relative et de la vérité absolue. (V. Vérité absolue et vérité relative.)

L’« Anti-Dühring » contient une analyse approfondie de la thèse matérialiste marxiste relative au caractère objectif des lois de la nature et de la société, et démontre que la liberté est la nécessité devenue consciente.

Dans l’« Introduction » et dans les derniers chapitres de la partie « Philosophie », Engels expose lumineusement les principes de la dialectique matérialiste marxiste. (V. Méthode dialectique marxiste.)

Traitant des questions du matérialisme historique, Engels explique l’origine de la propriété privée, des classes et de l’Etat, le rôle de la lutte de classes dans le développement de la société et la nature de classe de l’Etat. Il montre que l’Etat et le droit, la morale et la religion ne sont ni éternels ni immuables, qu’ils changent sous l’influence du développement de la base économique de la société.

Engels réfute le concept abstrait d’égalité et démontre que « le contenu réel de la revendication prolétarienne d’égalité est la revendication de l’abolition des classes » (Ibid., p. 139).

Dans la deuxième partie (« Economie politique »), Engels critique les vues de Dühring dans ce domaine et expose les principes de l’économie politique, marxiste. Il définit l’objet de l’économie politique. Il expose la théorie marxiste de la marchandise et de la valeur, de l’exploitation des salariés, de la plus-value, de la rente foncière, de l’anarchie de la production et de la concurrence en régime capitaliste, des crises de surproduction. Les chapitres consacrés au rôle de la violence dans l’histoire revêtent une très grande importance philosophique. Ayant démoli la « théorie de la violence » idéaliste qui prétend que la violence est le facteur principal de la vie sociale, Engels montre le rôle décisif des conditions économiques, tout en soulignant avec force l’immense portée progressive de la violence révolutionnaire à l’égard des classes d’exploiteurs.

Dans la troisième partie (« Socialisme »), Engels donne un brillant abrégé de la théorie du socialisme scientifique, montre le rapport entre le socialisme scientifique marxiste et le socialisme utopique et expose les vues marxistes sur diverses questions fondamentales du socialisme : la production, la répartition, l’Etat, la famille, l’école, etc. A la différence du socialisme utopique, le socialisme prolétarien s’appuie sur la connaissance des lois objectives du développement de la société, sur la conception matérialiste de l’histoire. La substitution du socialisme au capitalisme est une nécessité objective : les contradictions internes du capitalisme rendent inévitable l’écroulement de ce régime fondé sur la propriété privée et l’exploitation de l’homme par l’homme.

Les rapports de production capitalistes, qui favorisaient le développement des forces productives de la société, se transforment en entraves à ce développement. Le capitalisme engendre lui-même la force qui le détruira : la classe des ouvriers salariés, le prolétariat industriel. Le chemin qui conduit du capitalisme au socialisme, montre

Engels, passe par la révolution socialiste du prolétariat qui s’empare du pouvoir d’Etat, c’est-à-dire par la dictature du prolétariat (V.). Présumant que la révolution socialiste peut triompher simultanément dans tous les pays, Engels formule la thèse suivant laquelle, après la victoire de la révolution socialiste, l’Etat commence à dépérir. Cette thèse n’est juste que dans les conditions de la victoire du socialisme dans la totalité ou dans la majorité des pays. Mais elle est inapplicable quand le socialisme n’a triomphé que dans un seul pays, car, dans ce cas, ce pays doit non pas affaiblir mais renforcer au maximum l’Etat socialiste, notamment l’armée, les services de renseignements, etc. Dans ces conditions, l’Etat socialiste joue un rôle considérable dans l’édification du communisme et la défense des conquêtes de la révolution socialiste.

Parlant de la société communiste, Engels dit qu’un de ses traits distinctifs sera l’absence d’opposition entre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel. Mais il pensait à tort que l’opposition de la ville et de la campagne disparaîtrait par suite du « déclin des grandes villes ». L’expérience de la construction du socialisme en U.R.S.S. montre que sous le régime socialiste naissent de nouvelles villes importantes, foyers de la culture, centres industriels, etc.

L’ouvrage d’Engels, l’« Anti-Dühring », est un modèle d’esprit de parti communiste, de défense résolue de la conception scientifique du monde et des intérêts du prolétariat révolutionnaire, un modèle d’intransigeance marxiste envers les déformations pseudo-scientifiques et l’opportunisme politique. Engels mène une lutte implacable contre les ennemis du marxisme et met au service de la classe ouvrière le matérialisme dialectique, la connaissance scientifique des lois du développement économique de la société, la théorie du communisme scientifique. Modèle de polémique marxiste, l’« Anti- Dühring » foudroie les ennemis du marxisme avec des faits incontestables empruntés aux différentes branches de la connaissance humaine, et prouve avec une logique irréfutable la force invincible du marxisme.

Aujourd’hui encore, l’« Anti-Dühring » constitue pour les travailleurs une arme acérée dans la lutte contre l’idéologie bourgeoise, contre l’idéalisme philosophique, la métaphysique et la religion, une arme dans la lutte contre le capitalisme, pour le socialisme.


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