Ce qui interpelle dans la photographie de Alexandre Rodtchenko, c’est sa richesse visuelle et c’est là où se situe le piège. En effet, une lecture bourgeoise tendra toujours à réduire sa photographie à un formalisme tel celui d’Albert Renger-Patzsch.
Son jeu sur le rapport de l’un au multiple associé au contraste apporte une touche particulièrement saisissante. Il y a une dimension dialectique. Toutefois, la photographie happée par ce rapport échappe parfois à la dignité du réel ; cela devient une lecture formelle, esthétisante.
Cela ne semble pas être le cas ici.
Cela semble être le cas ici. On devine trop ici que Rodtchenko a cherché à essayer de présenter une peinture à travers la photographie. Par « peinture », il faut ici plutôt entendre l’objectif constructiviste de présenter une construction.
Tout comme dans le suprématisme de Malevitch – le grand concurrent de Rodtchenko lors de sa période cubo-futuriste – il y a la tentative de faire d’une représentation une « fin en soi », par une composition construite.
Le réel l’emporte par contre nettement dans la photographie suivante. Le formalisme s’efface devant le concret, devant l’ensemble que représente un lieu où il est travaillé.
Chez Alexandre Rodtchenko,, l’approche oscille clairement entre une représentation du réel et la composition d’un « tout » qui s’auto-suffirait.
Il est absolument évident, indiscutable, que la richesse visuelle et compositionnelle de Rodtchenko est sauvé par son orientation vers le labeur, la réalité matérielle des travailleurs.
Sans cela, il retomberait dans l’abstraction ; sans cela, il retombe dans l’abstraction. Comme ici, pour une oeuvre assez ambiguë, trop construite.
Les grands projets soviétiques ont fait contrepoids à la tendance petite-bourgeoise de Rodtchenko d’isoler la représentation du réel, d’en faire un condensé métaphysique de la « production ». La complexité imposée par les grands projets a emporté la dynamique constructiviste, faisant de Rodtchenko non pas un constructeur mais un témoin de la construction.
En se rattachant au corps, au travail, à la transformation, la composition s’éloigne de toute abstraction. Elle s’accroche à la matière, d’où le fait qu’on trouve souvent la matière brute comme support d’une lecture compositionnelle, comme ici avec la chair mise en avant et contrastant avec la froideur du bâtiment.
Il y a ici une clef dans l’approche de Rodtchenko, dans son dépassement du cubo-futurisme, de son passage de la matière abstraite à la matière réelle, par l’intermédiaire du concept de surface. Mais c’est aussi sa limite, avec une tendance au retour à la ligne, à la ligne comme critère formel de toute puissance de la photographie.
L’ampleur des grands projets soviétiques, leur conquête spatiale du territoire soviétique, l’utilisation massive de matériaux, tout cela formait la véritable matière première pour Rodtchenko, qui pouvait s’appuyer par là pour développer sa photographie.
C’était en même temps un lieu où chercher à préserver son obsession pour la ligne.