Alexandre Rodtchenko, avant d’être un photographe au travail dans l’URSS construisant le socialisme sous la direction de Staline, vient des milieux cubistes-futuristes, c’est-à-dire de cette couche intellectuelle petite-bourgeoise happée par la modernité capitaliste dans une Russie encore totalement arriérée.
Fils d’un membre des milieux du théâtre et d’une blanchisseuse, Alexandre Mikhaïlovitch Rodtchenko est né le 23 novembre 1891 à Saint-Pétersbourg ; il fit ses études d’art à Kazan, puis à Moscou, à l’école de sculpture et d’arhitecture Stroganov. Il appartient au milieu des étudiants tournés vers la « modernité » occidentale et expose pour la première fois des œuvres à « l’exposition futuriste magasin » organisé par Vladimir Tatline en 1916 dans un magasin vide, rue Petrovka à Moscou.
Sa peinture à l’huile consistant en un autoportrait de la même année est tout à fait représentative de cette approche du futurisme russe, qui se situe à la croisée de l’impressionnisme et de l’expressionnisme. Les traits sont flous, et pourtant marqués en même temps, l’atmosphère se veut pesante et déjà on a l’accent mis sur les espaces géométriques, que ce soit avec le costume et la chemise, ou bien le visage.
Le futurisme se voudra supérieur à ses prédécesseurs impressionnistes ou expressionnistes en supprimant toute trace d’objet dans ses œuvres ; le suprématisme de Kazimir Malevitch en sera l’aboutissement le plus formalisé.
Alexandre Rodtchenko a un cheminement strictement parallèle, il est partie prenante de cette tendance à l’abstraction, même s’il se posera en concurrent du suprématisme. Voici par exemple Composition n°50, de la série des « mouvements compositionnels colorés et des espaces projetés ».
On retrouve les mêmes obsessions que chez Kazimir Malevitch, la même tentative de former des surfaces qui s’insèrent les unes dans les autres, avec une disposition colorée cherchant à contribuer au rythme d’une sorte de représentation abstraite censée avoir une vie en soi.
Les œuvres d’Alexandre Rodtchenko ne sont ici pas originelles en soi, même si elles témoignent d’une compréhension très approfondie de la problématique futuriste d’une représentation s’appuyant sur le triptyque poids – vitesse – mouvement.
Voici une œuvre 1919, une « construction », une œuvre exprimant cela de la manière la plus incisive, la plus vigoureuse.
Alexandre Rodtchenko n’échappe pas non plus évidemment à la perspective russe issue des icônes, avec tout ce que cela sous-tend comme force du symbolique dans la représentation. Il y a à la fois une quête de mouvement de la représentation, mais aussi de pureté.
On retrouve particulièrement cet aspect dans la Composition n°68 (« nature morte ») de 1918, ou encore notamment avec la Composition n°65 de la série « concentration de couleur », de la même année.
Alexandre Rodtchenko travailla aussi de manière significative les lignes et c’est ici un aspect d’importance pour ses activités photographiques ultérieurs. Les lignes qu’il conçoit sont toujours spatialisées, elles ne sont pas tant abstraction que tentative de représentation graphique. On retrouve ici tout à fait un esprit bourgeois cartésien, soucieux de géométrisation.
Voici les Lignes sur une base verte n°92, de 1919, ainsi que des Etudes pour une construction de 1921, ainsi que Construction no. 126 de 1920.
Enfin, Alexandre Rodtchenko fit naturellement, dans cet esprit, des tentatives assumant directement l’abstraction. Voici Deux cercles n°127, de 1920, ainsi qu’une réponse directe au carré blanc sur fond blanc de Kazimir Malevitch : Peinture non-objective n°80 (noir sur noir) de 1918.
Cette démarche radicale-nihiliste culmina avec trois dernières peintures, exposées lors de l’exposition futuriste 5×5=25.
Pure couleur rouge, Pure couleur jaune et Pure couleur bleue symbolisaient pour Alexandre Rodtchenko la fin de la peinture comme expression artistique. Les couleurs pures écrasaient toute possibilité de représentation de l’objet. On en arrive à la même abstraction que le suprématisme, le même cul-de-sac idéaliste.