Vous écrivez :
« Beaucoup d’entre les intellectuels européens commencent à sentir qu’ils sont des gens sans patrie, et notre intérêt pour la vie de la Russie augmente, mais nous ne comprenons tout de même pas ce qui se passe au pays des Soviets. »
Dans l’Union soviétique se déroule la lutte entre la volonté intelligemment organisée des forces du travail contre les forces de la nature et les « forces naturelles » de l’homme, dont l’essence n’est rien d’autre qu’un anarchisme instinctif de l’individu éduqué par des siècles d’oppression dans l’Etat de classe. Cette lutte constitue le sens principal de l’actualité de l’Union des Soviets.
On ne peut comprendre le sens profond du processus révolutionnaire et culturel de l’ancienne Russie qu’en le considérant comme une lutte pour la culture et pour la création culturelle.
Vous, hommes d’Occident, vous adoptez envers le peuple de l’U.R.S.S. un point de vue que je ne puis juger digne d’hommes se considérant comme les représentants d’une culture qui doit être acceptée par le monde entier, car ce point de vue est celui du commerçant à l’égard de l’acheteur, celui du créancier à l’égard du débiteur.
Vous vous rappelez que la Russie tsariste vous a emprunté de l’argent et a appris chez vous à réfléchir. Mais vous oubliez que les emprunts ont rapporté de très gros intérêts à vos industriels et à vos commerçants, que la science russe des XIXe et XXe siècles a puissamment participé au flot général du travail scientifique de l’Europe et que, maintenant, alors que votre puissance de création artistique s’épuise si tristement et si visiblement, vous ne vivez que grâce aux forces, aux idées et aux images de l’art russe. Vous n’allez pas nier que la musique et la littérature de même que les sciences russes sont devenues depuis longtemps l’apanage de tout le monde lettré.
Il semblerait qu’un peuple qui, en un siècle, a su élever sa puissance de création spirituelle à un niveau que l’Europe a mis plusieurs siècles à atteindre, ce peuple ayant actuellement reçu la possibilité de créer librement, mérite une attention plus sérieuse que celle qui lui est accordée par les intellectuels d’Europe.
N’est-il pas temps pour vous de poser résolument la question des différences de buts que poursuivent l’Europe bourgeoise et les peuples de l’Union des Soviets ? Il est suffisamment clair que les chefs politiques de l’Europe servent, non pas les intérêts « de la nation » en général, mais seulement les intérêts de groupes capitalistes mutuellement hostiles.
Cette hostilité mercantile de couches sociales absolument irresponsables devant les a nations a provoqué une série de crimes contre l’humanité comme la boucherie mondiale de 1914-1918 ; elle a approfondi la méfiance mutuelle des nations, a transformé l’Europe en une série de camps fortifiés ; elle dilapide une quantité énorme de travail du peuple, d’or et de fer pour la production massive d’engins de meurtre.
Cette hostilité des capitalistes entre eux est aggravée par la crise économique mondiale, qui, en épuisant les forces physique des « nations », diminue la croissance des forces intellectuelles ; cette hostilité des rapaces entre eux vous sert à l’organisation d’un nouveau carnage mondial.
Posez-vous la question : « Au nom de quoi tout cela se fait-il ? » et en général, si vous désirez sincèrement vous guérir de ces lourdes inquiétudes et de votre passivité à l’égard de la vie, posez-vous les questions d’ordre social les plus simples, sans vous laisser entraîner par les mots ; pensez sérieusement aux buts d’existence du capitalisme ou, plus exactement, au caractère criminel de son existence.
La « culture, dont l’importance pour l’humanité est indiscutable », vous est chère à vous, intellectuels, n’est-il pas vrai ? Mais, sous vos yeux, le capitalisme détruit chaque jour en Europe cette culture à laquelle vous tenez tant, et, par sa politique inhumaine et cynique dans les colonies, il crée incontestablement une armée ennemie de la culture européenne.
Si cette « culture » de rapaces éduque sur du matériel noir et jaune des milliers de rapaces analogues, il ne faut pas oublier que, là-bas, il reste des centaines de millions d’hommes détroussés et voués à l’indigence. L’Hindou, le Chinois, l’Annamite courbent la tête devant les canons, mais ce n’est pas là un geste d’admiration devant la culture européenne. Et ils commencent à comprendre qu’une nouvelle culture, par la forme et par le sens, s’édifie dans l’Union des Soviets. (…)
Dans le monde capitaliste se développe, d’une manière toujours plus acharnée, la lutte pour le pétrole, le fer, les armements, pour une nouvelle boucherie qui coûtera la vie à des millions d’hommes, pour le droit à l’oppression politique et économique de la majorité par la minorité.
Cette lutte cynique, infâme et criminelle, organisée par un petit groupe de gens que la soif imbécile de l’argent a ramenés à l’état sauvage, reçoit la bénédiction de l’Église chrétienne, qui est la plus fausse et la plus criminelle de toutes les Églises de la terre.
Cette lutte a complètement tué et anéantir « humanisme » qui coûta si cher aux intellectuels d’Europe et dont ces derniers étaient si fiers. Jamais encore les intellectuels ne montrèrent leur faiblesse avec une telle netteté et leur indifférence à l’égard de la vie avec une telle impudeur qu’au XXe siècle, si fertile en tragédies créées dans le monde entier par le cynisme des classes dominantes.
En politique, les sens et la pensée des intellectuels sont commandés par des aventuriers, exécuteurs serviles de la volonté des groupes capitalistes, qui, faisant commerce de tout ce qui peut s’acheter, trafiquent en fin de compte de l’énergie du peuple. Ici, par « peuple », j’entends non seulement les ouvriers et les paysans, mais les petits fonctionnaires et l’armée des « employés » du Capital et en général, les intellectuels qui, sur la défroque sale de la société bourgeoise, forment une pièce de couleur encore suffisamment vive.
Entraînés par la recherche creuse de « quelque chose d’humain », les intellectuels de langues diverses s’observent mutuellement derrière le mur de leurs préjugés de nation et de classe.
C’est pourquoi les défauts et les vices du voisin les intéressent beaucoup plus que ses qualités. Ils se sont entrebattus si souvent qu’ils ne savent déjà plus lequel d’entre eux a été le plus ou le moins battu et mérite pour cette raison, le plus de respect. Le capitalisme leur a inculqué une méfiance sceptique mutuelle et joue habilement sur ce sentiment.
Ils n’ont pas compris le sens historique de la révolution d’Octobre et n’ont trouvé en eux ni la force ni la volonté, de protester contre l’intervention sanglante et criminelle des capitalistes en 1918-1921.
Ils protestent quand, en U.R.S.S., les pouvoirs arrêtent un professeur monarchiste et comploteur, mais ils restent indifférents lorsque leurs propres capitalistes violentent les peuples de l’Indochine, de l’Inde et de l’Afrique.
Si, dans l’Union soviétique, on fusille une cinquantaine d’ignobles criminels, ils crient à la férocité ; mais si, aux Indes, dans l’Annam, des milliers de gens innocents sont exterminés à coups de canon et de mitrailleuses, les intellectuels « humains » se taisent modestement. Ils ne peuvent, jusqu’ici, évaluer les résultats d’un travail de treize années des forces actives de l’Union des Soviets. Les politiciens, dans les Parlements et dans la presse, leur inculquent l’idée que le travail du pouvoir des Soviets tend exclusivement à la destruction de l’ancien « monde », et ils croient qu’il en est ainsi.
Mais, dans l’Union des Soviets, le peuple travailleur s’assimile rapidement tout ce qu’il y a de meilleur et d’incontestablement précieux dans la culture humaine, et ce processus d’assimilation est accompagné d’un processus de développement de ces valeurs.
Nous détruisons, naturellement, le vieux monde, car il est nécessaire d’affranchir l’homme des restrictions diverses qui limitent sa croissance intellectuelle, de le libérer de la prison des idées nationales, religieuses et de classe, ainsi que de ses superstitions. Le but principal du processus culturel de l’Union des Soviets est la réunion des hommes du monde entier en un tout unique.
Cette œuvre est indiquée et commandée par toute la marche de l’histoire de l’humanité ; elle est le commencement de la renaissance non seulement nationale, mais mondiale.
Des individualités comme Campanella, Thomas, More, Saint-Simon, Fourier rêvaient déjà cette renaissance dans un temps où les données techniques industrielles nécessaires à la réalisation de ce rêve étaient encore inexistantes. Maintenant ces données existent : le rêve des utopistes est fondé scientifiquement, et des masses de plusieurs millions d’hommes s’emploient à sa réalisation.
Encore une génération et, dans la seule Union des Soviets, il y aura près de 200 millions de travailleurs qui opéreront sur ce champ d’action.
On croit aveuglément quand on ne veut pas ou qu’on n’a pas la force de comprendre. L’instinct de classe, la mentalité du petit possédant et la philosophie des défenseurs aveugles de la société de classe font croire aux intellectuels que l’individu est opprimé et asservi dans l’Union des Soviets, que l’industrialisation du pays s’effectue à l’aide du travail forcé, d’une manière analogue à celle qui présida à la construction des pyramides d’Égypte.
C’est là un mensonge tellement évident que, pour l’accepter comme vérité, il faut avoir perdu toute personnalité, être dans un état de dégénérescence et d’épuisement complet au point de vue de l’énergie intellectuelle et du sens critique.
La rapidité de la croissance du nombre des gens talentueux dans toutes les branches de la vie, dans l’art, les sciences et la technique, démontre irréfutablement la fausseté de cette légende sur l’oppression de la personnalité en U.R.S.S. Il ne pouvait en être autrement dans le pays où toute la masse de la population participe à l’œuvre culturelle.
Sur vingt-cinq millions de « propriétaires privés », paysans presque entièrement illettrés, opprimés par l’autocratie des Romanov et par la bourgeoisie foncière, douze millions ont déjà compris le caractère rationnel et les avantages de l’économie collective.
Cette nouvelle forme de travail libère le paysan de son esprit conservateur et anarchique, ainsi que de la mentalité bestiale propre au petit propriétaire. Elle lui procure des loisirs qu’il emploie à s’instruire. En 1931, en U.R.S.S. cinquante millions d’adultes et d’enfants étudient ; on prévoit, pour cette même année, la publication de huit cent millions de livres ou trois milliards et demi de feuilles d’imprimerie.
Les besoins de la population atteignent déjà cinq milliards de feuilles, mais les fabriques ne suffisent pas à la production du papier. La soif d’instruction croît. En treize ans, plusieurs dizaines d’instituts d’études scientifiques, de nouvelles universités et d’écoles polytechniques ont été créés. Tous, ils regorgent d’étudiants. Des milliers d’ouvriers et de paysans reviennent en qualité de travailleurs culturels travailler au sein de la masse dont ils sont sortis.
Un Etat bourgeois s’est-il jamais donné pour but l’éducation culturelle de toute la masse du peuple travailleur ? L’histoire répond négativement à cette simple question. Le capitalisme n’a aidé au développement intellectuel des travailleurs que dans la mesure où c’était nécessaire et avantageux pour l’industrie et le commerce.
Le capitalisme a besoin de l’homme en qualité de force plus ou moins chère qui sert à défendre le régime établi. Il n’est pas encore arrivé et ne pouvait pas arriver à la compréhension que le sens et le but de la culture véritable sont dans le développement et l’accumulation de l’énergie intellectuelle.
Pour que cette énergie puisse se développer sans interruption et aider le plus rapidement possible l’humanité à utiliser toutes les forces, tous les dons de la nature, il est nécessaire de libérer le plus possible d’énergie physique du travail inepte et anarchique accompli dans les intérêts étroits et mercantiles des capitalistes, rapaces et parasites de l’humanité travailleuse.
Les idéologues du capitalisme sont tout à fait étrangers à l’idée de l’homme en tant que source immense d’énergie intellectuelle. Malgré toutes les ruses et fioritures orales, l’idéologie des protagonistes de la soumission de la majorité à la minorité est essentiellement bestiale.
L’Etat de classe est construit sur le type des jardins zoologiques, où tous les animaux sont enfermés dans des cages de fer. Dans l’Etat de classe, ces cages, plus ou moins bien construites, servent à enfermer les idées qui, divisant l’humanité, rendent impossible le développement de la conscience que chaque homme a de ses intérêts, de même qu’elles empêchent la croissance d’une culture réelle unique de l’homme.
Dois-je nier que, dans l’Union soviétique, l’individu est limité ? Naturellement, non. En U.R.S.S. la volonté de l’individu est limitée chaque fois qu’elle est dirigée contre la volonté de la masse qui a conscience de son droit à l’édification de nouvelles formes de vie, contre la volonté de la masse qui s’est assigné un but inaccessible à un seul individu, quelque génial qu’il soit.
Les détachements d’avant-garde des ouvriers et des paysans de l’Union des Soviets marchent vers leur but élevé en surmontant héroïquement une quantité d’obstacles et d’incommodités d’ordre extérieur.
L’individu défend sa liberté apparente et son indépendance habituelle qui lui ont été inculquées à l’intérieur de sa cage. Les cages dans lesquelles sont emprisonnés les écrivains, les journalistes, les philosophes, les fonctionnaires et toutes les autres particules soigneusement polies de l’appareil capitaliste sont naturellement plus commodes que la cage du paysan.
La hutte sale et enfumée du paysan et son a économie privée l’obligent à rester continuellement sur la défensive pour se protéger contre les caprices des forces de la nature et la violence de l’Etat capitaliste qui l’écorche. En Calabre, en Bavière, en Hongrie, en Grande-Bretagne, en Afrique, en Amérique, les paysans, abstraction faite du langage, ne se différencient pas beaucoup psychologiquement les uns des autres.
Sur tout le globe terrestre les paysans sont, à peu près d’une manière égale, livrés à eux-mêmes et contaminés par l’individualisme animal. Dans l’Union des Soviets, le paysan perd progressivement cette mentalité spécifique de l’esclave de la terre, de l’éternel prisonnier de sa misérable propriété.
L’individualisme est le résultat de la pression extérieure effectuée sur l’homme par la société de classe ; l’individualisme est une tentative stérile de l’individu pour se défendre contre la violence, mais l’auto- défense n’est pas autre chose que l’auto-limitation.
Car le processus de croissance de l’énergie intellectuelle se ralentit lorsqu’on est en état d’auto-défense. Cet état est également nuisible à la société et à l’individu. Les « nations » dépensent des milliards pour leurs armements contre leurs voisins ; l’individu épuise la majorité de ses forces afin de se défendre contre la violence dont il est l’objet de la part de la société de classe.
« La vie est une lutte ? » Oui, ce doit être une lutte de l’homme et de l’humanité contre les forces de la nature, une lutte pour vaincre celles-ci et les diriger. L’Etat de classe a transformé cette lutte grandiose en une bataille abjecte pour la maîtrise de l’énergie physique de l’homme et pour son asservissement.
L’individualisme de l’intellectuel des XIXe et XXe siècles diffère bien de l’individualisme du paysan, mais seulement par les formes d’expression : il est plus fleuri, mieux poli, mais aussi animal et aveugle. L’intellectuel demeure entre l’enclume du peuple et le marteau de l’Etat ; les conditions dans lesquelles il vit sont, en général, naturellement lourdes et dramatiques, car l’ambiance lui est habituellement hostile.
C’est pourquoi la pensée prisonnière de l’intellectuel lui fait si souvent reporter sur le monde entier le poids de ses propres conditions de vie, et c’est de ces conceptions subjectives que naissent le pessimisme philosophique, le scepticisme et autres difformités de la pensée. (…)
Le système social de classe actuel restreint la liberté de croissance de l’individu. C’est pourquoi celui-ci cherche sa place et cherche le repos en dehors des limites de l’actualité.
Par exemple, la question de Dieu. Le peuple travailleur, à la recherche d’une explication des phénomènes naturels qui lui étaient utiles ou nuisibles, personnifia magnifiquement ces phénomènes sous la forme d’êtres ayant une figure humaine, mais plus puissants que n’importe quel homme. Le peuple a orné ses dieux de toutes les qualités et de tous les vices qu’il possédait lui-même ; les dieux de l’Olympe sont des hommes à dimensions exagérées ; Vulcain et Thor sont des forgerons qui ne se distinguent en rien de tous les autres forgerons et qui sont seulement plus forts, mais non plus habiles au travail.
Les images religieuses créées par le peuple travailleur sont simplement des créations artistiques d’où le mysticisme est absent ; elles sont tout à fait réalistes et adéquates à la réalité, l’on y sent avec force l’influence de l’activité laborieuse, et le but de cet art consiste, en somme, à encourager cette activité.
En poésie, on remarque que le peuple a pris conscience du fait qu’en fin de compte, l’actualité est créée, non par les dieux, mais par l’activité laborieuse des hommes. Le peuple est idolâtre.
Même quinze cents ans après que le christianisme s’est affermi en qualité de religion d’Etat, les dieux, dans l’imagination des paysans, restent toujours tels qu’ils étaient dans l’antiquité : le Christ, la Vierge, les saints marchent sur terre et se mêlent à la vie ouvrière des gens, de même que les dieux des anciens grecs et des peuples Scandinaves.
L’individualisme est né de « l’économie privée ». Chaque clan s’ajoutant au clan précédent, créait une collectivité. Un individu s’écartant pour une raison ou pour une autre de la collectivité et, par là même, de l’actualité qui se créait constamment, créait son propre dieu, unique, mystique, inaccessible à l’intelligence, dont la destination était de justifier le droit de l’individu à l’indépendance et au pouvoir.
Le mysticisme doit nécessairement intervenir ici, car il est impossible d’expliquer à l’aide de l’intelligence seule le droit de l’individu à l’« autocratie », au pouvoir unique.
L’individualisme a affublé son dieu des qualités d’omnipotence, de sagesse infinie et de connaissance absolue, c’est-à-dire des qualités que l’homme voudrait bien posséder, mais qui ne peuvent se développer que dans l’activité créée par le travail collectif.
Cette actualité reste toujours à un niveau inférieur à celui de l’intelligence humaine, car l’intelligence qui la crée se perfectionne, quoique lentement, mais d’une manière continue, faute de quoi, naturellement, l’actualité satisferait les hommes, et l’état de satisfaction est un état passif.
L’actualité est créée par la force inépuisable de la volonté intelligente des hommes, et son développement ne s’est jamais arrêté. Le dieu mystique des individualistes resta et reste toujours immobile, inactif et inerte ; il ne peut pas en être autrement, car il reflète la faiblesse intérieure absolue des forces de création de l’individualisme.
L’histoire des hésitations stériles de la pensée métaphysique et religieuse des individualistes est connue de tout homme lettré. A notre époque, la faiblesse de ces hésitations s’est manifestée avec une clarté indiscutable et a montré la banqueroute complète de la philosophie individualiste.
Mais l’individualiste continue encore ses recherches stériles pour trouver une réponse aux « énigmes » de la vie ; cette réponse, il la cherche, non dans l’actualité travailleuse qui se développe avec une rapidité révolutionnaire et d’une manière parfaite, mais dans le « tréfonds de son moi ». Il continue à conserver son « économie privée indigente » et ne veut pas féconder la vie.
Il s’occupe d’auto-approfondissement pour son auto-défense, il ne vit pas, il se cache et, par son « activité contemplatrice » ,il rappelle un des héros de la Bible : Onan.
Se soumettant docilement aux injonctions de l’Etat capitaliste, les intellectuels d’Europe et d’Amérique, littérateurs, publicistes, économistes, anciens socialistes devenus simples aventuriers, rêveurs du type de Gandhi, consciemment ou inconsciemment, défendent l’ordre de classe bourgeois, qui met résolument obstacle au développement du processus culturel humain.
Dans ce processus, un rôle toujours plus actif est joué par la volonté des masses travailleuses, dirigées vers la création d’une nouvelle actualité.
Les intellectuels pensent qu’ils défendent la « démocratie », quoiqu’ils aient déjà démontré et continuent à démontrer leur faiblesse ; ils défendent la « liberté individuelle », quoiqu’elle soit enfermée dans la cage des idées qui limitent leur croissance individuelle ; ils défendent la « liberté de la presse », quoique la presse soit conquise par les capitalistes et n’ait le droit de servir que leurs intérêts anarchiques, inhumains et criminels.
L’intellectuel travaille pour son ennemi, car le patron a toujours été et reste l’ennemi de l’ouvrier, et l’idée de la « collaboration de classe » est une ineptie aussi naïve que l’amitié du loup et des moutons.
Les intellectuels d’Europe et d’Amérique travaillent pour leurs ennemis, et cette activité se manifeste d’une manière particulièrement brutale et impudente à l’égard du processus révolutionnaire culturel qui se développe parmi la masse ouvrière et paysanne de l’Union des Soviets.
Ce processus se développe dans une atmosphère d’hostilité inouïe créée par la bourgeoisie européenne et sous la menace de son attaque criminelle contre l’Union des Soviets. L’influence de ces deux facteurs explique presque entièrement tous les faits négatifs qu’aiment tellement à souligner les ennemis des ouvriers et des paysans de l’Union des Soviets.
Les politiciens de bas étage de l’émigration blanche, qui sont les informateurs attitrés de la presse bourgeoise européenne, s’occupent de la comptabilité de ces faits négatifs de l’actualité soviétique.
Qui sont-ils ces émigrés ? La majorité d’entre eux sont des politiciens ratés, des gens amoureux de la gloriole, de petites gens à « grands espoirs ». Les uns voulaient devenir des Masaryk, les autres des Briand et des Churchill, beaucoup, des Ford ; et il est également caractéristique que tous ces politiciens ont cherché à atteindre les positions de commandement en employant des « moyens périmés ».
Je connais très bien, et depuis longtemps, leur nullité morale et intellectuelle ; ils l’ont démontée déjà en 1905-1907, après leur première révolution. Ils ont ensuite démontré journellement leur incapacité à la Douma et se sont manifestés avec toute la netteté dont ils étaient capables en 1914-1917 en tant que « lutteurs contre l’autocratie », en réalité en tant que champions du chauvinisme panrusse. Ils se sont acquis une certaine popularité en tant qu’organisateurs de la conscience politique de la petite et de la grande bourgeoisie ; en somme, leur idéologie est celle du petit bourgeois mesquin.
On connaît le dicton russe : « Faute de poisson, on mange de l’écrevisse ». Ils ont joué dans la vie de la Russie le rôle de l’écrevisse : ils ont avancé à reculons. C’est le rôle habituel de la majorité des intellectuels en période révolutionnaire.
Leur rôle honteux ne se limite pas au changement constant de leurs « bornes » politiques et à l’oubli de leurs « serments d’Annibal ». Depuis 1917, ils servent les propriétaires des puits de pétrole, des usines de textile, des mines de charbon, les minotiers et les grands propriétaires fonciers russes, en même temps que ce qui reste des généraux tsaristes, qui les méprisaient jadis comme des renégats et des « ennemis du tsar ».
Dans l’histoire russe ils ont laissé le souvenir de traîtres à leur peuple.
Pendant quatre ans ils n’ont fait que trahir et vendre leur peuple à vos capitalistes, messieurs les intellectuels d’Europe. Ils ont aidé Dénikine, Koltchak, Wrangel, Youdénitch et autres assassins de profession à détruire l’économie de leur pays, déjà ruiné par une boucherie qui est la honte de toute l’Europe.
A l’aide de ces hommes méprisables, les généraux des capitalistes européens et du tsar ont anéanti des centaines de milliers de vies ouvrières et paysannes de l’Union des Soviets, brûlé des centaines de villages et de bourgs cosaques, détruit les voies ferrées, fait exploser les ponts et abîmé tout ce qui pouvait être abîmé afin d’affaiblir définitivement leur pays et le livrer aux capitalistes européens.
Demandez-leur pourquoi ils ont anéanti tant d’êtres humains et détruit l’économie de leur pays. Ils vous répondront impudemment : « Pour le bien du peuple » et garderont le silence sur le fait que le « peuple » les a chassés hors de son pays. Depuis 1926, ils aident à l’organisation de complots nombreux contre le pouvoir ouvrier et paysan.
Ils nient leur participation à ces crimes, bien que les comploteurs, leurs amis, aient avoué qu’ils fournissaient à leur presse des informations « notoirement fausses » sur le travail du pouvoir des Soviets. A leur tour, les comploteurs travaillaient d’après les directives de la presse des traîtres à leur patrie.
Votre humanisme, messieurs les Européens s’est indigné de l’exécution méritée des 48 sadiques organisateurs de famine : ce fait est très étrange. Pourquoi ne vous indignez-vous pas des assassinats presque journaliers d’ouvriers absolument innocents, commis par la police dans les rues de vos villes, au lieu de prendre la défense de 48 dégénérés plus abjects que le sadique Kurten de Düsseldorf, neuf fois condamné à mort.
Je ne connais pas les motifs pour lesquels le pouvoir des Soviets n’a pas fait passer ces traîtres en justice, mais je les devine : il y a des crimes dont l’infamie est trop agréable aux ennemis, et donner des leçons d’infamie à nos ennemis serait par trop naïf. (…)
Est-il permis de demander pourquoi les intellectuels défendent la « liberté individuelle » lorsqu’il s’agit, par exemple, du professeur monarchiste S.I. Platonov. mais restent indifférents lorsqu’il s’agit d’un communiste ?
Si vous désirez avoir une notion exacte du degré de férocité auquel en est arrivée l’émigration russe, lisez l’appel en faveur de la collecte pour la lutte contre les peuples de l’Union des Soviets, appel qui a été publié par l’organe parisien des émigrés monarchistes Vozrojdénié (la Renaissance). A la tête de cette basse entreprise se trouve « Son Eminence le métropolite Antoine, président du synode des archevêques de l’Eglise orthodoxe hors des frontières de Russie ».
Je cite textuellement les paroles de ce Tartuffe :
« Investi du pouvoir divin, je donne ma bénédiction à toute arme qui sera dirigé contre le pouvoir satanique rouge et je donne l’absolution à tous ceux qui, dans les rangs des détachements de rebelles, ou qui, en qualité de vengeurs individuels du peuple, sacrifieront leur vie à la cause de la Russie du Christ.
Avant tout, je bénis les armes et toute l’action combative de la Confrérie populaire de la vérité russe, qui, depuis des années, par la parole et par l’action, mène une lutte opiniâtre au nom de Dieu et de la Russie contre le Satan rouge. Que la bonté de l’Éternel soit sur tous ceux qui feront partie de la confrérie ou lui viendra en aide. »
Métropolite Antoine.
Il est tout à fait clair que le métropolite, chef de l’Eglise chrétienne, bénit ceux qui violentent la volonté du peuple de l’Union des Soviets et qui accomplissent des actes de terrorisme.
Mais ne vous semble-t-il pas que de tels appels, de telles bénédictions de l’assassinat par un prêtre dont la colère atteint évidemment à l’idiotisme, ne sont pas à leur place dans la capitale d’un État « civilisé » ? Ne pensez- vous pas, qu’il vous faudrait crier « Chut ! » ou « Tout beau ! » à l’adresse de « Son Éminence » ?
Cette sortie sauvage d’un pope russe n’est-elle pas pour vous un indice montrant non seulement le degré de férocité de l’émigration russe, mais encore l’indifférence extrême, honteuse des intellectuels d’Europe en ce qui concerne les questions de morale et d’hygiène sociales ? Et vous osez parler de la « sauvagerie de l’Orient » !
Vous êtes convaincus de la véracité des témoignages de l’émigration russe. Bon. Il va sans dire que c’est votre « affaire personnelle », mais je doute que ce soit là votre droit. J’en doute, parce que les témoignages qui viennent de l’autre côté, du côté du pouvoir ouvrier et paysan ne vous intéressent pas.
La presse soviétique ne cache pas, les mauvais côtés de notre vie, elle est organisée sur le principe de l’autocritique la plus sévère, et il n’y a pas de « linge sale » qu’elle ait peur de « laver hors de la famille ».
Elle travaille parmi des millions d’hommes qui ne sont pas encore très lettrés ce qu’on ne peut naturellement leur reprocher mais les gens honnêtes devraient bien se rappeler que l’homme peu instruit peut facilement se tromper. Il faut ensuite savoir que la majorité des calomnies et des mensonges dont vit et se console en les répandant la presse des émigrés sont fondés sur les données de l’autocritique soviétique.
Personnellement, j’ai protesté dans la presse et dans les réunions, à Moscou et à Leningrad, contre les exagérations de l’autocritique. Je sais avec quelle volupté l’émigré s’accroche à tout ce qui est de nature à satisfaire tant soit peu sa colère maladive contre les ouvriers et les paysans de l’Union des Soviets.
J’ai publié il n’y a pas longtemps un article dans la presse soviétique au sujet du livre de Brehm qui fut abîmé par un littérateur, lequel, bien que n’étant pas un novice, est négligent et assez peu lettré. Aussitôt, le rédacteur du Roui 1, Joseph Hessen, un petit vieux très bête et comiquement coléreux, publia un leader dans lequel, avec une joie risible, il s’exclamait : « Gorki lui-même critique le pouvoir des Soviets ! »
Il sait pertinemment que je ne me suis jamais gêné pour dire la vérité à la face des gens qui travaillaient négligemment et sans conscience. Mais il lui est impossible de ne pas mentir, et il en est de même des « politiciens » émigrés.
Il existe une forme spéciale de « vérité » ; elle sert d’aliment spirituel seulement pour les misanthropes, les sceptiques dont le scepticisme est basé sur l’ignorance et les indifférents qui cherchent une justification à leur indifférence. C’est une vérité vieille, pourrie et mourante, c’est une ordure pour les cochons. Cette vérité est réduite à néant par le travail des détachements d’avant-garde des édificateurs de la nouvelle culture de l’Union des Soviets. Je vois et je sais très bien à quel point cette « vérité » gêne le travail des gens honnêtes, mais je ne suis pas d’avis que l’on console et alimente à l’aide de cette « vérité » des gens que l’histoire à équitablement humiliés.
Vous demandez : « Y a-t-il des mécontents parmi les ouvriers et les paysans et par quoi est provoqué leur mécontentement ? » Naturellement, il y a des mécontents, et ce serait un miracle si, en treize ans de travail, 160 millions d’hommes avaient obtenu la satisfaction complète de leurs besoins et de leurs désirs.
Le mécontentement s’explique justement par le fait que, en treize ans de travail, l’appareil du pouvoir n’est encore pas suffisamment en état de satisfaire rapidement aux besoins culturels de la masse des travailleurs. Il manque beaucoup de choses encore, et il y a encore beaucoup de gens qui ronchonnent et qui se plaignent.
On pourrait qualifier ces plaintes de comiques, car elles sont prématurées et non réfléchies, mais je ne les appellerai pas ainsi, car l’on y sent une confiance solide en la force du pouvoir qui est capable de satisfaire à tous les besoins du pays.
Naturellement, la partie des paysans riches qui attendaient de la révolution qu’elle fît d’eux de gros propriétaires fonciers et leur livrât les paysans pauvres est mécontente et résiste même activement au travail du pouvoir des Soviets.
Il va sans dire que cette partie des paysans est contre la collectivisation, qu’elle est pour l’économie individuelle, etc., ce qui amènerait inévitablement la renaissance des formes capitalistes de la vie.
Mais, la partie que jouent les paysans riches est déjà perdue, leur résistance à l’économie collective est sans espoir et ne continue que par la force de l’inertie. Les détachements les plus actifs de la masse ouvrière et paysanne ne se plaignent pas, eux, ils travaillent. Ils savent pertinemment que le pouvoir, c’est eux-mêmes ; que tout ce dont ils ont besoin, tout ce qu’ils veulent peut être satisfait seulement par leur énergie.
C’est uniquement cette conscience de leur propre puissance et de leur pouvoir absolu qui donne naissance à l’émulation socialiste, au travail de choc et aux autres manifestations indiscutables de l’activité créatrice et de l’héroïsme du travail ; c’est par la force de cette conscience que toute une série d’entreprises ont terminé l’accomplissement de leur plan quinquennal en deux ans et demi.
Les ouvriers comprennent la chose principale qu’il leur est nécessaire de comprendre : le pouvoir est entre leurs mains.
Dans les États bourgeois, les lois se font en haut, dans les Parlements, et sont décrétées exclusivement afin de consolider le pouvoir de la classe qui commande. La législation de l’Union des Soviets naît dans les appareils de base, dans les Soviets de villages, dans les comités de fabriques et d’usines et, en observant la marche d’une loi quelconque, on peut facilement se convaincre que chacune d’elles non seulement vise à satisfaire les besoins réels de la masse travailleuse mais témoigne clairement de la croissance culturelle de cette masse.
Toute la masse ouvrière et paysanne de l’Union des Soviets commence à comprendre que le processus de son enrichissement matériel et de son développement culturel est artificiellement entravé par l’Europe capitaliste hostile.
Cette compréhension aide naturellement à la croissance de sa conscience politique ainsi que de la conscience de sa propre force.
Si les intellectuels d’Europe et d’Amérique, au lieu de prêter l’oreille aux racontars, de croire les traîtres, réfléchissaient sérieusement et honnêtement à l’importance historique du processus qui se développe dans l’Union des Soviets, ils comprendraient que le sens de ce processus est l’assimilation, par un peuple de 160 millions d’habitants, de la valeur indiscutable de la culture humaine ; ils comprendraient que ce peuple travaille, non seulement pour lui, mais pour toute l’humanité en lui montrant les miracles que crée la volonté intelligemment organisée.
Nous terminerons par cette question : Les intellectuels d’Europe et d’Amérique veulent-ils un nouveau carnage mondial qui réduira encore leur nombre et les rendra encore plus faibles et plus sauvages ? La masse ouvrière et paysanne de l’Union des Soviets ne veut pas faire la guerre, elle veut créer un Etat où tous seront égaux, mais, en cas d’attaque, elle se défendra comme un tout unique et elle vaincra, car l’histoire travaille pour elle.