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Le Bitcoin a la prétention d’être une monnaie ; sa particularité est de fonctionner de manière décentralisée, via un mécanisme de chiffrement informatique. Concrètement, il y a des ordinateurs disséminés partout dans le monde qui procèdent à des calculs pour mettre à jour une sorte de base de données en temps réel des Bitcoin inscrits et des échanges de Bitcoin d’un « portefeuille » à l’autre.

N’importe qui peut participer à ce calcul, cela s’appelle « miner ». Participer à ce « minage » permet de générer du Bitcoin comme rétribution. Les défenseurs du Bitcoin affirment que cette puissance de calcul (le « minage ») permet une sécurisation des échanges via un système de chiffrement informatique appelé « blockchain ». Cela est censé garantir la valeur, ou plutôt la prétendue valeur des Bitcoin.

Cette sécurité est en fait tout à fait relative, car rien ne permet d’exclure la possibilité technique de pirater le calcul. Cela d’autant plus qu’il ne s’agit pas simplement d’un problème quantitatif (la puissance de calcul virtuellement nécessaire à ce piratage), mais d’un problème qualitatif (la nature même de ce chiffrement informatique qui est forcément détournable, car rien n’est infaillible techniquement en raison des contradictions propres à chaque phénomène).

En réalité, seule la puissance publique peut garantir la fiabilité d’une monnaie, non pas techniquement et de manière absolue, mais dialectiquement dans son rapport à l’économie, comme reflet de la production et de la circulation des marchandises. Le Bitcoin pour sa part est déconnecté de la réalité économique, car il se veut autonome dans son fonctionnement. Il imagine réaliser cette autonomie vis-à-vis de l’économie au moyen du chiffrement informatique. C’est un idéalisme total.

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Le Bitcoin, c’est le rêve libéral-libertaire d’une monnaie sans Banque centrale, donc sans État ni régulation sociale. C’est un idéal typiquement petit-bourgeois produit par une conception romantique et anti-communiste de ce qu’est l’argent.

Selon cette conception, l’argent existe par lui-même en tant que constituant sa propre puissance ; c’est un fétichisme propre à la décadence du capitalisme, existant dès l’origine du capitalisme comme l’a montré Karl Marx dans Le Capital ou comme l’ont décrit différentes œuvres culturelles tel L’Avare de Molière. Ce fétichisme aboutit directement à une critique des banques centrales et des banques commerciales qui sont vues comme des moyens de s’accaparer la « puissance » qu’est censée être l’argent (puissance non pas en tant que moyen, mais en tant que tel).

Typiquement, c’est en raison de ce fétichisme que le Bitcoin s’oppose à l’existence des banques centrales avec leur capacité à « faire tourner la planche à billet », c’est-à-dire à procéder à de la « création » monétaire. Il est considéré, de manière ultra-libérale, que c’est une entrave à l’économie, que c’est un accaparement de « puissance ».

Le matérialisme dialectique affirme au contraire que l’économie relève d’une réalité objective déterminée par la lutte des classes ; il n’y a donc pas d’individus ou de collectivités « choisissant » abstraitement des orientations pour s’accaparer de la « puissance ». Il y a un mode de production permettant des richesses, de la valeur, avec l’argent comme vecteur de la valeur, tout en incarnant directement la valeur en tant que mesure du capital.

L’argent n’est donc ni une abstraction, ni une puissance magique. C’est simplement un moyen s’inscrivant dans la réalité objective et complexe de la production et la circulation de marchandises.

Les banques centrales et les banques commerciales ne déterminent aucunement la valeur de l’argent, ce ne sont que des organismes aux mains de la bourgeoisie, répondant à la réalité objective de la lutte des classes.

En tant que construction idéaliste s’imaginant en dehors de l’économie, et donc de la lutte des classes, le Bitcoin n’a aucune valeur intrinsèquement. Ce n’est à proprement parler pas une monnaie, et ce n’est pas en tant que monnaie que le Bitcoin s’est développé ces dernières années.

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Le Bitcoin est né et s’est initialement développé comme projet idéaliste à partir de la fin des années 2000. Il a été porté pendant des années comme projet marginal et confidentiel par des petits-bourgeois essentiellement informaticiens ou ingénieurs se reconnaissant dans cet idéalisme « geek ».

S’il permettait de « payer » sur quelques rares sites internet liés à cet univers « geek » et à toute la fantasmagorie allant avec, le Bitcoin n’existait en réalité jusqu’au début des années 2010 que comme filtre de l’argent réel. Il n’avait de la « valeur » que parce qu’il était possible de le convertir en dollar via quelques plateformes.

« Payer » en Bitcoin, cela revenait à payer avec des cartes « Pokemon » ou des billets de « Monopoly » juste pour se faire plaisir et avoir l’impression de procéder autrement des autres ; d’ailleurs, la principale plateforme de conversion du Bitcoin en dollars jusqu’en 2014, MtGox, est à l’origine une plateforme d’échange de cartes de jeu.

À la fin des années 2010, le Bitcoin a ensuite connu différentes envolées de son cours par rapport au dollar et est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un actif spéculatif destiné uniquement à la spéculation.

C’est exactement le même principe qu’avec l’« art » contemporain : on a du vide qui est acheté de plus en plus cher par des personnes espérant que son prix s’envole par la suite, sans qu’il n’y ait aucun fondement matériel à cette « valeur ». L’évolution du prix (en l’occurrence du cours par rapport au dollar, à l’euro ou au yuan) n’est en réalité déterminée que par le fait que d’autres personnes misent également sur cette évolution.

Le Bitcoin n’est donc pas une monnaie, et il n’est en réalité rien du tout à part une chaîne de code informatique que des gens achètent pour spéculer. Cela profite d’ailleurs directement à l’économie illégale, car les mafias trouvent avec le Bitcoin un moyen très efficace de blanchir de l’argent.

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En tant qu’actif spéculatif, le Bitcoin connaît des variations drastiques de ses cours, avec des pics réguliers suivis d’effondrements. Le premier pic important s’est produit en 2013 avec une augmentation de son cours en dollar de 400 % entre janvier et mars. D’immenses fluctuations ont ensuite lieu pendant les années suivantes, en fonction d’annonces (positives ou négatives pour le Bitcoin) et de l’émulation entre les spéculateurs.

Différentes alertes officielles ont été lancées à cette époque, influant négativement sur le prix d’échange du Bitcoin. C’est le cas de la Banque de France dénonçant « les dangers liés au développement des monnaies virtuelles » et le « risque financier » allant avec, ou encore de l’ancien président de la banque centrale américaine parlant de « bulle spéculative ». La critique la plus importante est venue alors de la Banque centrale chinoise critiquant le fait que « les bitcoins ne sont pas émis par des autorités compétentes » et qu’ils « n’ont pas de cours légal » ni « le même statut légal que les monnaies fiduciaires », ce qui fit s’effondrer son cours en passant de 7 050 yuans (1 150 dollars) à 4 521 yuans (737 dollars).

Mais tout cela n’a pas empêché l’inflation irrationnelle de se produire, amenant un nouveau pic puis un effondrement en 2018. Son cours s’était envolé de 2 000 % en un peu plus de six mois, pour s’effondrer en perdant 80 % de sa « valeur ».

On a ainsi une prétendue « monnaie » se voulant « décentralisée », horizontale, mais qui est en vérité totalement à la merci de micros événements, voire d’individualités influençant directement son actualité. Ce fut le cas récemment avec le mégalomane Elon Musk du groupe Tesla, qui a au passage acheté pour plus de 1,5 milliards de dollars de Bitcoin. Un simple message Twitter de sa part, suite à la décision de ne finalement plus accepter le Bitcoin comme moyen de paiement pour les Tesla, a pu causer en juin 2021 un effondrement du prix du Bitcoin par rapport au dollar.

Les annonces d’Elon Musk et la décision du groupe Tesla de ne plus accepter le bitcoin pour le paiement sont directement liées à la question de l’écologie, car la critique du gaspillage énergétique que représente le Bitcoin est devenue incontournable.

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L’écologie est en fait le véritable critère de fond pour dénoncer la folie que représente le Bitcoin. On a en effet des sommes immenses de calcul qui n’ont aucune utilité sociale, culturelle, économique ou politique, mais qui coûtent énormément en termes de ressources énergétiques.

Il faut savoir qu’il existe d’immenses fermes pour le « minage », c’est-à-dire des entrepôts remplis d’ordinateurs procédant en permanence au calcul de la « blockchain ». Selon une étude publiée par la revue scientifique Nature, les mines de Bitcoins en Chine (qui « produisent » la grande majorité des Bitcoin) ont une empreinte carbone qui pourrait atteindre 130 millions de tonnes de CO2 en 2024. Le CNRS a estimé qu’en 2019 la consommation électrique du réseau Bitcoin était comprise entre 30 et 80 térawattheure (la consommation de la France est en moyenne de 460 TW/h) et que son empreinte carbone a été de 15 à 40 millions de tonnes de CO2 (c’est comparables à celle de la Belgique).

C’est un gaspillage énergétique immense, pour ce qui n’est en réalité que du vide, et en pratique surtout une bulle spéculative n’intéressent qu’une ultra minorité de la population. Le Bitcoin est une folie libérale-libertaire marquante de la crise du capitalisme, avec du capital ne sachant plus où se placer et des individus cédant à l’irrationalité la plus totale dans l’optique de placer ce capital et de le faire fructifier. C’est une fuite en avant délirante, au mépris de la planète et de l’intérêt du plus grand nombre, à l’image du capitalisme lui-même.

Le Bitcoin est à ce titre parfaitement représentatif de la folie de notre époque.

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Le Bitcoin est une folie, et une folie dangereuse. L’engouement spéculatif autour de la “cryptomonnaie” est très fort, particulièrement dans une partie de la jeunesse. D’après une étude Ifop parue en février 2021, ce serait 32 % des 18-24 ans en France qui ont déjà investi dans le bitcoin ou envisagent de le faire. C’est immense, et c’est culturellement dévastateur.

Il y a cette idée de l’enrichissement facile, avec en plus l’impression d’être plus malin que les autres en réalisant un « coup ». On retrouve la même folie qu’avec les paris sportifs, le poker, le casino, mais avec des risques bien plus importants. Avec le Bitcoin, on peut littéralement tout perdre du jour au lendemain sans même avoir joué, sans même se déplacer. Une minorité aura bien sûr réussi de bons coups (ce sont d’ailleurs très souvent des spéculateurs professionnels aguerris), et cela est systématiquement relayé médiatiquement, mais ce n’est possible qu’au détriment des autres.

Rien n’apparaît par enchantement, et si certains gagnent beaucoup c’est que la plupart perdent… Et se retrouvent qu’avec du vide, ce bout de code informatique qu’ils ont acheté et qui ne représente rien, à part une terrible métaphore de la fuite en avant typique de la vie dénaturée et folle dans les grandes métropoles du capitalisme.


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