1. Le mouvement ouvrier international vit actuellement dans une étape transitoire particulière qui pose devant l’Internationale Communiste dans son entier et devant ses diverses sections de nouveaux problèmes de tactique importants.
Cette étape est caractérisée dans ses grands traits par ce qui suit : La crise économique mondiale s’exacerbe. Le chômage augmente. Le capital international est passé dans presque tous les pays à l’offensive systématique contre les ouvriers, s’exprimant avant tout par la tendance franchement cynique de faire baisser les salaires et tout le « Standard of life » des ouvriers. La faillite de la paix de Versailles apparaît de plus en plus nettement aux couches les plus étendues des travailleurs.
L’inéluctabilité d’une nouvelle guerre impérialiste ou même de plusieurs guerres pareilles, si le prolétariat international ne renverse pas le régime bourgeois, est évidente. Washington a souligne cela très éloquemment.
2. Une certaine animation des illusions réformistes parmi des couches assez étendues d’ouvriers, qui avait pendant un moment commencé, en rapport avec toute une série de circonstances, est remplacée sous les coups de la réalité, par un autre état d’esprit.
Les illusions « démocratiques » et réformistes des ouvriers (d’une part, des travailleurs les plus privilégiés et de l’autre, des plus arriérés, les moins expérimentés au point de vue politique) qui surgirent de nouveau après la fin de la boucherie impérialiste, se flétrissent avant d’avoir eu le temps de s’épanouir. L’allure et l’issue des travaux à venir de la Conférence de Washington porteront à ces illusions un coup encore plus puissant.
Si, il y a six mois, on pouvait encore parler avec certain droit d’un certain mouvement général à droite des masses ouvrières en Europe et en Amérique on peut par contre, à l’heure actuelle, constater incontestablement le début d’un mouvement à gauche.
3. D’autre part, sous l’influence de l’assaut croissant du capital, il s’est éveillé au sein des ouvriers, avec une force instinctive et réellement irrésistible, une tendance vers l’unité, allant de pair avec la croissance graduelle de la confiance des larges couches ouvrières envers les communistes.
Des cercles d’ouvriers de plus en plus étendus ne commencent à apprécier qu’à présent le courage de l’avant-garde communiste qui s’est jetée dans la lutte pour les intérêts de la classe ouvrière, alors même que toute la masse énorme des ouvriers demeurait indifférente ou même hostile au communisme. Des groupes d’ouvriers toujours plus nombreux se convainquent maintenant de ce que seuls les communistes ont défendu leurs intérêts économiques et politiques même dans les conditions les plus pénibles, en faisant parfois les plus grands sacrifices.
Aussi, le respect et la confiance envers l’intransigeante avant-garde communiste de la classe ouvrière augmentent de nouveau maintenant, lorsque même les couches ouvrières les plus arriérées ont vu la vanité des espoirs réformistes, et qu’elles ont compris que hors la lutte il n’y a pas de salut contre la campagne de brigandage des capitalistes.
4. Les partis communistes peuvent et doivent récolter maintenant les fruits de leur lutte, qu’ils menèrent auparavant au sein de l’ambiance très défavorable de l’indifférence des masses.
Mais, tout en se pénétrant de confiance envers les éléments communistes les plus intransigeants, les plus combattifs de la classe ouvrière, les masses ouvrières dans leur ensemble nourrissent encore un attrait inconnu jusqu’à présent pour l’unité. Les nouvelles couches ouvrières peu éprouvées politiquement qui s’éveillent à une vie active rêvent d’obtenir l’union de tous les partis ouvriers et même de toutes les organisations ouvrières en général, espérant de la sorte augmenter la force de résistance à opposer à la campagne des capitalistes.
De nouvelles couches d’ouvriers qui souvent auparavant ne prenaient pas activement part à la lutte politique, abordent maintenant d’une nouvelle façon la vérification par leur propre expérience des plans pratiques du réformisme. De même que ces nouvelles couches de cercles considérables d’ouvriers faisant partie des anciens partis social-démocrates, ne veulent plus déjà consentir à la campagne des socialistes-démocrates et des centristes contre l’avant-garde communiste. Ils commencent déjà à exiger une entente avec les communistes.
Mais en même temps la vie ne leur a pas encore fait perdre leur foi dans les réformistes, et en masses considérables ils soutiennent encore les partis de la 2e Internationale et de celle d’Amsterdam. Ces masses ouvrières ne précisent pas suffisamment leurs plans et tendances, mais dans les grands traits leur nouvel état d’esprit se réduit au désir de reconstituer le front unique et d’essayer d’obliger les partis et les syndicats de la 2e Internationale et de celle d’Amsterdam de lutter avec les communistes contre la pression du capital.
Pour autant que l’on envisage ce côté, cet état d’esprit est un facteur du progrès. Dans l’essence des choses, la foi dans le réformisme est brisée.
Dans les circonstances générales dans lesquelles le mouvement ouvrier se trouve actuellement, toute intervention de masse sérieuse, ou commençant même par des mots d’ordre partiels, posera inévitablement à l’ordre du jour des questions plus générales et radicales révolutionnaires. L’avant-garde communiste ne peut que gagner si des couches nouvelles d’ouvriers se convainquent par leur propre expérience de l’illusion du réformisme et du péril du collaborationnisme.
5. Dans la période primitive de la naissance de la protestation consciente et organisée contre la trahison des chefs de la 2e Internationale, ces derniers avaient dans leurs mains tout l’appareil des organisations ouvrières.
Ils profitaient du principe de l’unité et de la discipline prolétarienne pour fermer impitoyablement la bouche à la protestation révolutionnaire prolétarienne et pour livrer sans résistance toute la puissance de l’organisation de la classe ouvrière au service de l’impérialisme national. Dans ces conditions, l’aile révolutionnaire était obligée de conquérir pour soi à n’importe quel prix la liberté d’agitation et de propagande, c’est-à-dire la liberté d’expliquer aux masses ouvrières la trahison historique sans exemple qu’accomplissaient et accomplissent les partis et les syndicats créés par les masses ouvrières elles-mêmes.
6. Après s’être assurés au point de vue organisation de la liberté d’action entière pour agir par les idées sur les masses ouvrières, les partis communistes dans tous les pays tendent maintenant dans tous les cas à attendre l’unité de l’action pratique de ces masses la plus étendue et la plus intégrale.
Les Amsterdamois et les héros de la 2e Internationale prêchent en paroles l’unité, mais à l’œuvre agissent en sens contraire. Après que les collaborationnistes-réformistes d’Amsterdam ne réussirent pas à écraser par l’organisation la voix de la protestation, de la critique et de l’appel révolutionnaire, ils cherchent à sortir de l’impasse où ils se sont amenés eux-mêmes en abordant la voie amenant la scission, la désorganisation, le sabotage organisé dans l’œuvre de la lutte des masses travailleuses.
Actuellement, une des tâches les plus importantes des communistes est de divulguer dans la réalité ces nouvelles formes de l’ancienne trahison.
7. Les profonds processus intérieurs qui commencèrent en liaison avec la situation économique générale de la classe ouvrière en Europe et en Amérique obligèrent pourtant au cours des derniers temps, même les diplomates et les chefs des Internationales 2 et 2½ et de celle d’Amsterdam de mettre à leur tour au premier plan la question de l’unité.
Si, pour les couches ouvrières se réveillant à une vie consciente nouvelle, peu éprouvées encore, le mot d’ordre du front unique est réellement la tendance la plus sincère de grouper les forces des classes opprimées contre l’assaut des capitalistes, en revanche pour les chefs et les diplomates des Internationales 2, 2½ et de celle d’Amsterdam, le fait de proclamer la devise de l’unité n’est qu’une nouvelle tentative de tromper les ouvriers et de les attirer d’une nouvelle façon sur l’ancienne voie de la « collaboration de classes ».
Le péril menaçant d’une nouvelle guerre impérialiste (Washington), la croissance des armements, les nouveaux accords secrets impérialistes conclus dans les coulisses, tout cela non seulement oblige les chefs des Internationales 2 et 2½ et de celle d’Amsterdam à sonner l’alarme et à soutenir non pas en paroles mais en actes l’unification internationale de la classe ouvrière, mais aussi, inéluctablement, provoquera au sein de la 2e Internationale et de celle d’Amsterdam des froissements et des fractionnements dans les grandes lignes du même type que ceux qui s’ébauchent dans le camp de la bourgeoisie internationale elle-même.
Ce phénomène est inévitable pour autant que la pierre angulaire du réformisme est la solidarité des « socialistes » réformistes avec la bourgeoisie justement de « leur » pays.
Telles sont les conditions générales dans lesquelles l’Internationale Communiste dans son ensemble et ses sections séparées ont à formuler leur attitude envers le mot d’ordre du front socialiste unique.
8. En soupesant cette affirmation, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste estime que le mot d’ordre du 3e Congrès mondial de l’Internationale Communiste « vers les masses ! » et les intérêts généraux du mouvement communiste dans l’ensemble exigent des Partis Communistes et de l’Internationale Communiste en entier l’appui du mot d’ordre du front ouvrier unique et que dans cette question l’initiative soit prise en leurs mains.
En même temps, il va de soi qu’il est indispensable de concrétiser la tactique des Partis Communistes en rapport avec les conditions et les circonstances dans chaque pays donné.
9. En Allemagne, le Parti Communiste dans sa dernière conférence pour tout le pays, a appuyé le mot d’ordre du front ouvrier unique et a reconnu possible de soutenir aussi un « gouvernement ouvrier unique » qui serait enclin à lutter quelque peu sérieusement contre le pouvoir des capitalistes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste estime cette décision absolument exacte et est persuadé que le Parti Communiste allemand en maintenant sa position indépendante politique saura pénétrer dans les couches les plus étendues des ouvriers et renforcer l’influence du communisme dans les masses.
En Allemagne, plus que dans les autres pays, les grandes masses se persuaderont avec chaque jour combien avait raison l’avant-garde communiste quand elle ne voulait pas mettre bas les armes dans les temps les plus difficiles et quand elle prouvait avec ténacité combien les recettes réformistes étaient illusoires, recettes proposées pour sortir de cette crise qui ne peut être résolue que par la voie de la révolution prolétarienne. Dans la mesure où le Parti suit cette tactique, il groupera aussi avec le temps tous les éléments révolutionnaires de l’anarchie et du syndicalisme qui, aujourd’hui, sont en .dehors do la lutte des masses.
10. En France, parmi les ouvriers organisés au point de vue politique, le Parti Communiste a la majorité. Cela pose en France la question du front unique quelque peu autrement que dans les autres pays. Mais ici aussi il est indispensable que toute la responsabilité pour la scission du camp ouvrier unique incombe à nos adversaires. La partie révolutionnaire des syndicalistes français mène avec raison la lutte contre la scission des syndicats, c’est-à-dire pour l’unité de la classe ouvrière dans la lutte économique contre la bourgeoisie.
Mais la lutte des ouvriers ne s’arrête pas à l’usine. L’unité est nécessaire aussi contre l’augmentation du prix de la vie, contre la réaction grandissante, contre la politique impérialiste, etc.
La politique des réformistes et des centristes a par contre abouti à la scission du parti et menace maintenant aussi l’unité du mouvement syndical, ce qui prouve seulement que Jouhaux comme Longuet servent en fait la bourgeoisie.
Le mot d’ordre de l’unité des prolétaires dans les luttes politiques comme dans les combats économiques contre la bourgeoisie reste le meilleur moyen de clouer au pilori les plans de scission. Quoique la Confédération du Travail réformiste dirigée par Jouhaux, Merrheim et Cie trahisse à chaque pas les intérêts de la classe ouvrière française, néanmoins les communistes français et les éléments révolutionnaires de la classe ouvrière française, en général, doivent nécessairement avant le début de toute grève de masses, de toute démonstration révolutionnaire et de n’importe quelle autre intervention directe des masses proposer aux réformistes de soutenir cette intervention des ouvriers et démasquer systématiquement les réformistes lors de leur refus d’appuyer la lutte révolutionnaire ouvrière.
C’est par cette voie que nous conquerrons plus facilement les masses des ouvriers sans parti. Evidemment, cela ne doit en aucun cas inciter le Parti Communiste français à affaiblir son indépendance, par exemple au cours des campagnes électorales, de soutenir dans n’importe quelle façon le « bloc de gauche » ou de considérer avec tolérance ces « communistes » hésitants qui continuent encore à regretter la scission avec les social-patriotes.
11. En Angleterre, le Labour Party réformiste a refusé d’accepter le Parti Communiste dans son sein au même titre que les autres organisations ouvrières.
Sous l’influence de la croissance des dispositions ci-dessus indiquées parmi les ouvriers, les organisations ouvrières londoniennes adoptèrent récemment une décision en faveur de l’admission du Parti Communiste anglais dans le Labour Party.
Evidemment, l’Angleterre sous ce rapport est une exception, car en raison des conditions particulières, le Labour Party en Angleterre est un semblant d’une union ouvrière générale pour tout le pays.
La tâche des communistes anglais est d’initier une campagne énergique pour l’admission du Parti au sein du Labour Party, Les récentes trahisons des chefs syndicaux au cours de la grève des mineurs, etc…, la pression systématique des capitalistes sur les salaires des ouvriers, etc., tout cela provoqua une fermentation profonde au sein des masses de plus en plus révolutionnaires du prolétariat anglais. Les communistes anglais doivent appliquer tous leurs efforts pour pénétrer à n’importe quel prix dans les tréfonds des masses ouvrières avec le mot d’ordre du front révolutionnaire unique contre les capitalistes.
12. En Italie, le jeune Parti Communiste disposé d’une façon très intransigeante envers le Parti Socialiste italien réformiste et la Confédération du Travail social-traître qui viennent de terminer leur trahison ouverte de la cause de la révolution prolétarienne commence à mener son agitation sous la devise du front de combat prolétarien unique contre l’offensive des capitalistes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste reconnaît entièrement juste cette agitation des communistes italiens et insiste seulement pour qu’on la renforce dans ce sens.
Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est convaincu qu’avec une prévoyance suffisante, le Parti Communiste italien saura donner à toute l’Internationale un exemple du marxisme militant démasquant à chaque pas comment les réformistes et les centristes, se revêtant de la toge des communistes, trahissent et s’arrêtent à moitié chemin ; simultanément, il saura mener une campagne pour l’unité du front ouvrier contre la bourgeoisie pénétrant dans les couches ouvrières les plus profondes infatigablement et avec de plus en plus de force.
Il va sans dire que le Parti fera tout pour entraîner dans la lutte commune tous les éléments révolutionnaires de l’anarchisme et du syndicalisme.
13. En Tchéco-Slovaquie, où le Parti Communiste a avec lui la majorité des ouvriers organisés du point de vue politique, les tâches des communistes sont sous certains rapports analogues avec celles des communistes en France.
En renforçant son indépendance, en brisant ses derniers liens d’organisation avec les centristes, le Parti Communiste de Tchéco-Slovaquie doit savoir en même temps rendre populaire dans son pays le mot d’ordre du front ouvrier unique contre la bourgeoisie et démasquer ainsi définitivement aux yeux des ouvriers les plus arriérés les chefs de la social-démocratie et des centristes qui sont en réalité les agents du capital. Et dans le même temps, les communistes de Tchéco-Slovaquie doivent intensifier leur œuvre de conquête des syndicats, lesquels restent encore en grande partie dans les mains des meneurs jaunes.
14. En Suède, à la suite des dernières élections parlementaires, une situation s’est créée qui fait que la petite fraction communiste peut jouer un rôle important. Un des chefs les plus en vue de la IIe Internationale, qui est même temps le ministre président de la bourgeoisie suédoise, M. Branting, se trouve actuellement dans une situation dans laquelle, pour former une majorité parlementaire, la conduite de la fraction communiste du Parlement suédois ne lui est pas indifférente.
Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste estime que la fraction communiste du parlement suédois peut, dans certaines conditions, ne pas refuser son appui au ministère mencheviste de Branting, comme l’ont fait avec raison les communistes allemands dans certains gouvernements régionaux d’Allemagne (Thuringe). Pourtant, cela ne signifie pas du tout que les communistes de Suède doivent mutiler dans n’importe quelle mesure leur indépendance pour renoncer à démasquer le caractère du gouvernement mencheviste.
Au contraire, plus les mencheviks ont de pouvoir, plus de trahisons ils commettent envers la classe ouvrière, et d’autant plus d’efforts doivent appliquer les communistes à démasquer ces mencheviks aux yeux des couches les plus étendues des ouvriers.
Le Parti Communiste doit continuer aussi à attirer les travailleurs syndicalistes à la lutte commune contre la bourgeoisie.
15. En Amérique commence l’unification de tous les éléments de gauche du mouvement politique et syndical ; cela donne la possibilité aux communistes en occupant la position centrale dans cette unification de gauche de pénétrer dans les grandes masses du prolétariat américain.
En formant leur groupement communiste partout où il y a au moins quelques communistes, les communistes américains doivent en même temps savoir se mettre à la tête de ce mouvement pour l’unification de tous les éléments révolutionnaires et doivent maintenant, avec une force particulière, poser le mot d’ordre du front ouvrier unique pour la défense des sans-travail, etc.
L’accusation principale contre les syndicats de Gompers doit être que ceux- ci ne veulent pas participer à la création du front ouvrier unique contre les capitalistes, à la défense des sans-travail, etc. La tâche spéciale du Parti Communiste demeure cependant l’entraînement des meilleurs éléments des I. W. W.
16. En Suisse, notre Parti a su obtenir quelques succès dans la voie ébauchée ci-dessus. Grâce à l’agitation des communistes concernant le front révolutionnaire unique, on a réussi à obliger la bureaucratie syndicale de convoquer un congrès extraordinaire des syndicats qui doit bientôt avoir lieu et pendant lequel nos amis sauront mettre à jour devant tous les ouvriers suisses la fausseté du réformisme et faire avancer la cause du groupement révolutionnaire du prolétariat.
17. Dans toute une série d’autres pays, la question se pose autrement en raison de toute une série de conditions locales. En fixant la ligne générale, le Comité exécutif de l’Internationale Communiste est convaincu que les divers partis communistes sauront l’appliquer en rapport avec le milieu ambiant qui se crée dans chaque pays donné.
18. Le Comité exécutif de l’Internationale Communiste estime comme condition principale qui est commune aux Partis Communistes de tous les pays et qui est absolument ultimative : l’autonomie absolue et l’indépendance complète de chaque Parti communiste concluant tel ou tel autre accord avec des Partis des Internationales 2 et 2½ dans l’exposé de leur façon de voir et dans la critique des adversaires des communistes.
En se chargeant de la discipline de l’action, les communistes doivent en même temps absolument se réserver le droit et la possibilité, non seulement avant et après l’action, mais s’il le faut aussi au moment de l’action, d’exprimer leur avis sur la politique de toutes les organisations, sans exception, de la classe ouvrière.
Le renoncement à cette condition est inadmissible dans n’importe quelle circonstance. En appuyant le mot d’ordre de l’unité maximum de toutes les organisations ouvrières dans chaque action pratique contre le front capitaliste, les communistes en même temps ne peuvent en aucun cas renoncer à exposer leurs façons de voir qui, seules, sont l’expression conséquente de la défense des intérêts de la classe ouvrière dans son entier.
19. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste estime utile de rappeler à tous les partis frères l’expérience des bolcheviks russes de ce parti, qui seul jusqu’à maintenant à réussi à vaincre la bourgeoisie et à prendre le pouvoir en ses mains. Dans le courant des quinze ans qui se sont écoulés depuis l’époque de la naissance du bolchevisme jusqu’à sa victoire sur la bourgeoisie (1903-1917), le bolchevisme n’a pas cessé de mener une lutte infatigable contre le réformisme ou contre, ce qui est la même chose, le menchevisme.
Mais en même temps, au cours de ces quinze ans, les bolcheviks russes ont plus d’une fois conclu aussi des accords avec les mencheviks. La scission formelle avec les mencheviks s’est passée au printemps 1905.
Mais sous l’influence du violent mouvement ouvrier, déjà vers la fin de 1903, les bolcheviks créèrent provisoirement le front commun avec les mencheviks. Pour la seconde fois, la scission formelle avec les mencheviks se passa définitivement en janvier 1912. Mais, entre 1905 et 1912, des unifications et des semi-unifications en 1906, 1907 et aussi en 1910, succédèrent à la scission.
Et ces unifications et semi-unifications se passaient non seulement en raison des péripéties de la lutte des fractions, mais sous la pression directe des grandes couches des ouvriers qui se réveillaient à la vie politique active et qui, à proprement parler, exigeaient qu’on leur donne la possibilité de vérifier par leur propre expérience si réellement les voies du bolchevisme divergent avec les voies révolutionnaires.
Avant la nouvelle insurrection révolutionnaire, après les grèves de la Lena, peu avant la guerre impérialiste, on observait parmi les masses ouvrières de Russie une tendance particulièrement intensive à l’unité que les chefs diplomates du menchevisme russe tentèrent d’utiliser alors dans leurs buts à peu près comme tentent de le faire les chefs des Internationales 2, 2½ et de celle d’Amsterdam. Les bolcheviks russes ne répondirent pas à la tendance d’alors des ouvriers vers l’unité par le renoncement à n’importe quel front unique.
Au contraire, en contre-pied du jeu diplomatique des chefs mencheviks, les bolcheviks russes posèrent le mot d’ordre de l’unité par la base, c’est-à-dire de l’unité des masses ouvrières elles-mêmes dans la lutte pratique pour les exigences révolutionnaires des ouvriers contre les capitalistes. La pratique a montré que c’était la seule réponse exacte. Et dans le résultat de cette tactique, qui changeait d’aspect en rapport avec les circonstances de temps et de lieu, la plus grande partie des meilleurs ouvriers mencheviks fut graduellement conquise au communisme.
20. En proclamant la devise du front ouvrier unique et en admettant les accords des diverses sections de l’Internationale Communiste avec les partis et syndicats des Internationales 2 et 2½ , il va de soi que l’Internationale Communiste ne peut pas renoncer à de pareils accords dans le cadre international.
Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a fait une proposition à l’Internationale d’Amsterdam connexe au secours aux affamés de Russie.
Il a répété cette proposition en rapport avec les persécutions et la terreur blanche contre les ouvriers d’Espagne et de Yougo-Slavie. Les chefs des Internationales 2 et 2½ et de celle d’Amsterdam ont montré par leur conduite jusqu’à présent que, quand il s’agit d’actions pratiques, ils renoncent en réalité à leur mot d’ordre d’unité.
Dans toutes les éventualités pareilles, la tâche de l’Internationale Communiste dans son entier et de chaque section en particulier sera d’expliquer aux couches ouvrières les plus étendues, l’hypocrisie des chefs des Internationales 2, 2½ et de celle d’Amsterdam, qui préfèrent l’unité avec la bourgeoisie à l’unité avec les travailleurs révolutionnaires, qui, tout en restant par exemple dans le Bureau International auprès de la Société des Nations, font par cela même partie de la Conférence impérialiste de Washington, au lieu d’organiser la lutte contre Washington impérialiste, etc.
Mais le rejet par les chefs des Internationales 2, 2½ et de celle d’Amsterdam de telle ou telle autre proposition pratique de l’Internationale Communiste ne nous incitera pas à renoncer à la tactique fixée, qui a de profondes racines dans les masses et que nous devrons savoir développer systématiquement et inflexiblement.
Dans tous les cas, quand la proposition de la lutte commune est repoussée par nos adversaires, il faut que les masses l’apprennent et se rendent compte de cette façon qui porte réellement atteinte au front ouvrier unique. Dans les cas où l’adversaire accepte la proposition, il faut tendre à approfondir graduellement la lutte et à relever à un degré supérieur. Dans les deux cas, il est indispensable que l’attention des grandes masses ouvrières, qu’il est nécessaire d’intéresser à toutes les péripéties de la lutte pour le front révolutionnaire ouvrier unique, soit attirée sur les pourparlers des communistes avec les autres organisations.
21. En proposant le plan qui vient d’être ébauché, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste signale aussi à tous les partis frères les dangers avec lesquels il peut être lié dans certaines conditions. Ils n’ont pas tous rompu entièrement avec l’idéologie centriste et semi-centriste. Des cas sont possibles où l’on exagère en sens contraire ; des tendances sont possibles qui, en réalité, signifieraient la dissolution des partis et des groupes communistes dans un bloc unique informe.
Pour exécuter avec succès pour l’œuvre du communisme la tactique qui vient d’être esquissée, il est nécessaire que les Partis Communistes eux-mêmes, réalisant cette tactique, soient puissants, compacts et que la direction se distingue par la netteté au point de vue idées.
22. Dans les groupements existants au sein de l’Internationale Communiste elle-même, qui, avec plus ou moins de raison, sont appréciés comme groupements de droite ou semi-centriste, il y a incontestablement des tendances de deux ordres d’idées :
a. Certains éléments, en réalité, n’ont pas rompu avec l’idéologie et les méthodes de la 2e Internationale, ne se sont pas libérés de la vénération de son ancienne puissance organisatrice et, inconsciemment ou semi-consciemment, cherchent des voies pour se mettre d’accord en tant qu’idées avec la 2e Internationale et, par conséquent, avec la société bourgeoisie.
D’autres éléments, luttant contre un radicalisme de forme, contre les erreurs d’une tendance soi-disant de gauche, etc., tendent à donner plus de souplesse, plus de capacité de manœuvre à la tactique des jeunes Partis Communistes pour leur garantir la possibilité de pénétrer plus rapidement dans le tréfonds des masses ouvrières.
L’allure rapide du développement, des Partis Communistes a parfois extérieurement poussé ces deux tendances dans un seul et même camp, comme qui dirait dans un seul et même groupement.
L’application des méthodes mentionnées ci-dessus dont la tâche est de donner à l’agitation communiste une base dans les actions de masses unies du prolétariat, mettra à jour de la meilleure façon, au sein du Parti Communiste, les véritables tendances réformistes ; en appliquant exactement la tactique, elle facilitera extraordinairement la consolidation révolutionnaire des Partis Communistes, tant par la voie de l’éducation par expérience des éléments de gauche impatients ou sectaires que par la voie de l’élimination du parti du poids mort réformiste.
23. Il y a lieu de comprendre, sous la conception de « front ouvrier unique », l’unité de tous les ouvriers voulant lutter contre le capitalisme, donc aussi des ouvriers suivant encore les anarchistes, syndicalistes, etc. Dans les pays romans, ces ouvriers peuvent aussi aider la lutte révolutionnaire.
L’Internationale Communiste, dès les premiers jours de son existence, a tracé une ligne de conduite amicale envers ces éléments ouvriers qui, graduellement, perdent dans la vie leurs préjugés et marchent vers le communisme. Actuellement, les communistes doivent les considérer avec d’autant plus d’attention que le front ouvrier unique contre les capitalistes devient une réalité.
24. Pour déterminer définitivement le travail qui s’ébauche dans le sens indiqué, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste décide de convoquer, dans l’avenir le plus proche, une séance plénière du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, en y invitant aussi les représentants de tous les partis avec un nombre double de délégués.
25. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste doit suivre attentivement chaque démarche pratique dans le domaine qui vient d’être esquissé et prie tous les partis de communiquer avec tous les détails réels à l’Internationale Communiste, chaque tentative et chaque conquête faite dans le sens ébauché ci-dessus.
18 décembre 1921