SINGULIER, PARTICULIER ET UNIVERSEL. Catégories de la dialectique logique qui reflètent la liaison, l’interdépendance et les conversions réciproques des phénomènes du monde objectif.
Le problème du singulier et de l’universel a toujours été une pierre d’achoppement pour les idéalistes et les métaphysiciens qui ne comprennent pas l’unité et l’opposition dialectiques de ces termes, leur corrélation et leur interdépendance.
Les idéalistes subjectifs qui réduisent les phénomènes singuliers à des complexes de sensations nient l’universel. Les idéalistes objectifs qui considèrent les phénomènes singuliers comme une chose négligeable font de l’universel un produit de la pensée pure.
A l’opposé de la philosophie idéaliste, le matérialisme dialectique soutient avant tout que les concepts de singulier, de particulier et d’universel reflètent des faits réels, des aspects déterminés de la réalité objective. Le monde objectif est composé de phénomènes individuels. Mais ces phénomènes, loin d’être isolés, s’enchaînent les uns aux autres.
En vertu de leurs origines communes, grâce à des traits semblables et à leur interdépendance interne, des phénomènes singuliers sont réunis en groupes homogènes. Les concepts philosophiques de singulier, de particulier et d’universel traduisent cette liaison, cette communauté.
C’est ainsi que des plantes et des animaux (le singulier) sont réunis en espèces (le particulier) et en genres (l’universel). Chaque objet ou phénomène de la nature est matériel, et cette propriété commune groupe tous les phénomènes et tous les objets en un seul tout.
Ce tout « universel », c’est la nature, la matière.
Chaque formation sociale se développe d’après ses propres lois économiques objectives, mais en même temps toutes les formations sont régies par des lois économiques communes qui les relient en un seul et même processus universel du développement social.
Ainsi, le singulier, le particulier et l’universel loin d’être isolés l’un de l’autre sont des aspects différents d’un seul tout. Sans le singulier, il n’y a pas d’universel, celui-ci n’existe que grâce au singulier, à travers ce dernier. Mais le singulier à son tour n’est qu’un aspect du général, il est inconcevable en dehors de ce dernier, en dehors de la nature dans son ensemble.
De cette dialectique objective, il se dégage des conclusions importantes. Puisque l’universel n’existe pas en dehors du singulier, la démarche idéaliste qui détache les notions générales des phénomènes singuliers réels, qui déifie les concepts pour en faire le substrat de l’univers, a un caractère mystique.
Tel est le cas de Hegel (V.), par exemple. D’autre part, puisque le singulier n’existe qu’en fonction de l’universel, toutes les tentatives des idéalistes subjectifs, anciens et modernes, de considérer les notions générales, par exemple, la matière, l’espace, le temps, comme des mots « creux », privés de contenu objectif, sont également mystiques et font le jeu de la religion.
Le lien dialectique du singulier, du particulier et de l’universel est important au point de vue de la logique et de la théorie de la connaissance.
« … Toute connaissance réelle, exhaustive ne consiste qu’en ceci : nous élevons en pensée le singulier de la singularité à la particularité et de celle-ci à l’universalité… » (Engels : « Dialectique de la nature », P. 1952, p. 236).
En érigeant le singulier en universel, la connaissance révèle l’essence, les lois des phénomènes. Ainsi, la proposition « le frottement est une source de chaleur » est un jugement singulier, la constatation d’un phénomène distinct.
La proposition « le mouvement mécanique se transforme en chaleur » est un jugement particulier, le passage du singulier au particulier, la constatation d’une forme particulière du mouvement, la forme mécanique, qui se convertit par frottement en une autre forme particulière du mouvement, en chaleur.
Et cela revient à approfondir la connaissance du monde. Enfin, la proposition : « toute forme de mouvement se convertit en n’importe quelle autre forme de mouvement » est un jugement encore plus profond, un jugement universel.
Par conséquent, le singulier, le particulier et l’universel sont des concepts mouvants qui reflètent le monde objectif, qui approfondissent la connaissance, qui conditionnent le progrès historique de la connaissance humaine.
L’application de cette dialectique est d’une importance majeure pour l’activité pratique du parti du prolétariat. Ainsi, l’internationalisme prolétarien (V.) traduit la communauté des intérêts et des formes de lutte des travailleurs de toutes nationalités ; dans l’action qu’il mène pour sa libération, le prolétariat d’une nation donnée est étroitement lié à celui des autres nations ; cette lutte est un secteur du front commun du prolétariat international tout entier en lutte pour ses intérêts de classe.
Les problèmes spéciaux, concrets qui se posent devant la classe ouvrière de chaque pays sont intimement liés aux problèmes internationaux de toute la classe ouvrière. Les tâches communes trouvent leur expression dans les tâches particulières, précises qu’accomplissent les travailleurs de chaque pays.
Opposer le prolétariat d’un pays à celui des autres pays, c’est s’engager directement sur le chemin du nationalisme bourgeois. Les bolcheviks avaient critiqué sévèrement le « Bund », parti nationaliste de la petite bourgeoisie juive, qui opposait les intérêts particuliers des ouvriers juifs aux intérêts et aux objectifs communs de la classe ouvrière de Russie dans son ensemble.
Au cours de leur lutte contre les ennemis de la classe ouvrière, les classiques du marxisme ont donné dans leurs œuvres des modèles d’analyse de la dialectique de l’universel et du singulier, appliquée à la politique du parti communiste.
SKOVORODA Grigori Savvitch (1722-1794). Eminent philosophe ukrainien, humaniste et démocrate. Skovoroda a exprimé la protestation des masses paysannes contre le servage. Après avoir fait ses études à l’Académie théologique de Kiev, il enseigna la poétique au séminaire de Péréïaslav, puis au collège de Kharkov. Fut persécuté pour ses idées progressistes.
L’hostilité du clergé et des classes dominantes l’obligea à abandonner l’enseignement. Pour propager ses idées dans le peuple, il voyagea de ville en ville. Skovoroda fut un des premiers dans l’histoire de la pensée russe et ukrainienne à lutter contre la religion officielle et la scolastique de l’Eglise. Il s’adressa à l’homme, à sa raison, à la nature.
Ses idées philosophiques étaient contradictoires. Il était idéaliste dans la question fondamentale de la philosophie (V.) et considérait la conscience comme la donnée première. Mais, en même temps, sa conception du monde accusait une forte tendance matérialiste. A la suite de Lomonossov (V.), il arriva à la conclusion que la matière est éternelle dans le temps et infinie dans l’espace.
Il croyait au déterminisme dans la nature. Les hésitations de Skovoroda entre le matérialisme et l’idéalisme trouvèrent leur expression dans sa théorie dualiste de « trois mondes » et de « deux natures ».
Il affirmait que le monde est composé du « macrocosme » (la nature), du « microcosme » (l’homme) et d’« un monde des symboles » (la Bible). Chaque monde possède « deux natures » : « extérieure » ou matérielle et « intérieure » ou spirituelle.
La nature comprend une pluralité de mondes, elle n’a été créée par personne et ne peut être détruite ; elle n’a ni commencement ni fin, la fin d’une chose étant le commencement d’une autre. C’est en cela que consiste la tendance matérialiste de sa philosophie.
Skovoroda estimait que le monde est connaissable, mais, pour pénétrer l’essence du macrocosme, il faut commencer par « se connaître soi-même », les lois régissant le macrocosme et le microcosme étant les mêmes.
Un autre aspect de la gnoséologie de Skovoroda est son éthique : la vérité n’a toute sa valeur qu’unie à la « vertu » ; en dehors de la vertu, la vérité est vide de contenu et devient une curiosité vaine ; la connaissance et la science sont appelées à servir le peuple.
Pour Skovoroda, la Bible (le « troisième monde », le « monde symbolique ») est un moyen de connaître « l’élément spirituel ». Il distinguait son côté « extérieur » ou matériel, et son côté « intérieur » ou « contenu divin » : la Bible c’est « Dieu mais aussi le serpent ».
Ici, se fait jour l’attitude contradictoire de Skovoroda envers la religion et la Bible. Il a soumis à une critique implacable la religion officielle (son orthodoxie, son dogmatisme et sa scolastique : les « inventions ineptes » et les fables d’une Bible « impudente, nuisible et mensongère ») et il est devenu ainsi un anticlérical militant.
En même temps, il a propagé les lumières et l’éthique sous une forme religieuse. Il voulait créer une « religion de l’amour », « de la vertu », « de la vérité ». Dieu était pour lui « la nature », « l’homme », « la vérité », « la vertu », etc.
Skovoroda critiquait l’Eglise, il haïssait le clergé, ce rassemblement d’« ambitieux », de « voluptueux », « d’hypocrites », de « bêtes féroces », etc. Skovoroda a défendu les intérêts du peuple opprimé, il blâmait les riches pour leur cupidité, leur fainéantise et leur parasitisme.
La cupidité est l’origine de toutes les calamités publiques : litiges, pillages, flatteries, achat et vente, concussion, guerres, chutes des « Etats » et des « républiques ». Le peuple est enchaîné, il est opprimé politiquement, privé de droits, il vit dans l’ignorance. Il s’agit donc de le réveiller.
Le salut est dans la « connaissance de soi-même ». Après avoir discerné le principe du mal, les hommes doivent le supprimer pour édifier une société nouvelle basée sur « la raison », « la vérité » et « la vertu ».
Skovoroda rêvait de voir la « sublime Russie » devenir une « sublime République ». Il aimait ardemment son pays et son peuple et il s’élevait avec intransigeance contre les antipatriotes, les cosmopolites.
Il préconisait l’union de l’Ukraine et de la Russie, l’amitié de ces deux peuples frères.
Skovoroda a fait preuve de réalisme dans sa critique vigoureuse des riches, des grands propriétaires fonciers, des fonctionnaires, de la religion officielle et du clergé. Mais il a été faible et utopique dans la solution des problèmes sociaux.
Dans sa conception du monde, il a évolué vers le matérialisme et un examen plus radical des problèmes sociaux, mais il est resté idéaliste dans la solution du problème fondamental de la philosophie ; bien que, dans sa conception de la société, il ait dépassé la philosophie des lumières du XVIIIe siècle, il ne s’est pas rallié aux positions révolutionnaires.
Les idées de Skovoroda traduisent la faiblesse et l’étroitesse du mouvement paysan contre le servage.
Ouvrages philosophiques et littéraires de Skovoroda : « La première porte conduisant à la sagesse chrétienne» (1766), « Dialogue sur le monde ancien » (1772), « Conversation amicale sur le monde spirituel », « L’alphabet du monde » (1775), « La lutte de l’archange Michel contre le démon » (1783), etc.