SENSATION. Reflet dans la conscience humaine des propriétés des objets et des phénomènes du monde matériel comme résultat de leur action sur les organes des sens.
Nos sensations sont les images du monde extérieur. Formes élémentaires du reflet de ce monde dans notre conscience, elles sont à la base des formes plus complexes : perception (V.), représentation (V.), différentes formes de la pensée (concept — V., jugement — V., raisonnement — V.).
Les sensations sont la source de toutes nos connaissances sur la réalité matérielle extérieure. « Nous ne pouvons rien savoir ni des formes de la matière ni des formes du mouvement, si ce n’est par nos sensations » (Lénine : « Matérialisme et empiriocriticisme », M. 1952, p. 350).
Les objets et les phénomènes matériels, agissant sur nos organes des sens, déterminent une excitation des tissus nerveux, qui se transmet par les nerfs centripètes à l’écorce des grands hémisphères et provoque ainsi la sensation. L’appareil anatomo-physiologique indispensable à l’apparition de la sensation a été désigné par I. Pavlov (V.) sous le nom d’analyseur.
Il s’ensuit que la sensation est due à la transformation de l’énergie d’une excitation extérieure en un fait de conscience, ce processus étant inséparable du système nerveux central. Les sensations n’apparaissent chez les organismes animaux qu’à une étape donnée de leur évolution.
Plus haute est l’organisation d’un animal, et plus complexes sont son système nerveux et son comportement, plus variées et parfaites sont ses sensations. Le développement des sensations chez l’homme est conditionné par son activité pratique, par la complexité croissante de sa vie économique et sociale.
Les sensations humaines sont indissolublement liées à la pensée (V.), forme de connaissance médiate et généralisée de la réalité, et c’est pourquoi elles sont toujours conscientes. Les sensations peuvent être divisées en deux groupes :
1. Sensations ; qui reflètent les propriétés des objets et des phénomènes du monde matériel : visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles. Leurs organes sont situés à la surface du corps humain ou à proximité.
2. Sensations qui reflètent les mouvements de différentes parties de notre corps et l’état de nos organes internes : sensations du mouvement et de l’équilibre, sensations organiques. Leurs organes se situent dans les tissus mêmes ou à la surface des organes internes.
Les machistes, les positivistes et autres idéalistes subjectifs affirment que la sensation sépare le sujet du monde qui l’entoure.
Ils déclarent que les sensations humaines, loin de refléter les propriétés des objets et des phénomènes matériels, ne sont que des signes, des hiéroglyphes qui ne ressemblent en rien aux propriétés en question. D’après ce point de vue antiscientifique, l’homme ne saurait dépasser les limites de ses propres sensations ni connaître les propriétés des choses ou des phénomènes existant indépendamment et en dehors de lui.
Dans son « Matérialisme et empiriocriticisme » (V.) V. Lénine a dénoncé les sophismes des idéalistes subjectifs dans toutes les questions gnoséologiques, y compris celle des sensations.
« Le sophisme de la philosophie idéaliste consiste à considérer la sensation non pas comme un lien entre la conscience et le monde extérieur, mais comme une cloison, comme un mur séparant la conscience d’avec le monde extérieur ; non pas comme l’image d’un phénomène extérieur correspondant à la sensation, mais comme la « seule donnée existante » (Ibid., p. 44).
Lénine a montré que l’activité pratique de l’homme, ce critère de la validité de nos connaissances, réduit à néant toutes les élucubrations des idéalistes subjectifs concernant le problème des sensations.
SENSUALISME. Doctrine philosophique d’après laquelle les sensations sont la source unique de la connaissance. Si l’on voit dans les sensations un reflet de la réalité objective — ce qu’elles sont effectivement — le sensualisme conséquent aboutira nécessairement au matérialisme.
Les sensualistes matérialistes comme Holbach (V.), Helvétius (V.), Feuerbach (V.), estiment que les sensations résultent de l’action des objets et des phénomènes extérieurs sur nos organes des sens. Mais si l’on considère les sensations comme un phénomène exclusivement subjectif au-delà duquel il n’y aurait rien, sinon une « chose en soi » inconnaissable, le sensualisme aboutit à l’idéalisme subjectif (Berkeley — V., Hume — V., Kant — V., Mach — V., Avenarius — V., Bogdanov — V.).
C’est pourquoi le sensualisme n’exprime guère en lui-même la ligne matérialiste en philosophie bien qu’il ait joué un grand rôle dans la préparation du matérialisme. Selon le matérialisme dialectique, il ne suffit pas d’affirmer que nos connaissances proviennent des sensations, comme le fait le sensualisme.
Pour identifier un courant philosophique, il importe en tout premier lieu de savoir s’il admet que les sensations reflètent les objets et les phénomènes du monde extérieur.
Le matérialisme dialectique donne à cette question une réponse très nette : les sensations copient, photographient, reflètent le monde extérieur, la matière en mouvement, elles sont à la base des représentations et des notions vérifiées par la pratique.
Le matérialisme dialectique dépasse également l’étroitesse du sensualisme qui sous-estime le côté rationnel, logique de la connaissance.
Les sensations ne sont qu’une première étape, l’étape initiale de la connaissance. Mais à elle seule, la connaissance sensible n’est pas à même de pénétrer les lois du monde extérieur. C’est la pensée théorique, abstraite qui généralise les données des sens.
De cette unité de la connaissance sensible et de la connaissance logique, basée sur l’activité pratique des hommes, naît la vérité objective. (V. également Connaissance ; Empirisme ; Rationalisme.)
SETCHENOV Ivan Mikhaïlovitch (1829-1905). Grand savant russe, penseur matérialiste, fondateur de la physiologie russe.
Les opinions matérialistes avancées de Sétchénov sur la philosophie et les sciences de la nature sont étroitement liées à ses opinions progressistes dans le domaine social et politique, formées sous l’influence directe du mouvement révolutionnaire russe des années 1840-60 et de la lutte idéologique aiguë qui se déroulait à cette époque dans le pays.
Sétchénov a repris les traditions démocratiques et matérialistes de la science russe, dont Lomonossov (V.) et Radichtchev (V.) avaient posé les fondations. La naissance de la physiologie russe se rattache à son nom.
C’est lui qui en dirigea le développement dans une voie nouvelle et indépendante. Timiriazev (V.) et Pavlov (V.) appelèrent justement Sétchénov le « père de la physiologie russe ».
Il fut le premier dans l’histoire de cette science à entreprendre l’étude expérimentale de l’activité cérébrale, afin de mettre en lumière les mécanismes physiologiques de ce qu’on appelle l’activité psychique, jugée insondable avant lui.
Contrairement aux assertions antiscientifiques des idéalistes sur la nature soi-disant inconnaissable des phénomènes psychiques, Sétchénov démontra irréfutablement que la conscience, la volonté, tout ce qu’on appelle l’activité spirituelle de l’homme, sont parfaitement connaissables et que les lois qui les régissent peuvent être expliquées et étudiées grâce à une méthode rigoureusement scientifique et objective, employée jusqu’alors pour l’étude des phénomènes physiques.
Sétchénov fut le premier dans l’histoire de la physiologie à considérer l’activité du cerveau humain comme une activité réflexe, alors qu’avant lui on ne considérait comme telle que les fonctions vitales se rattachant à la moelle épinière.
Cette manière d’interpréter l’activité cérébrale changeait entièrement les notions sur l’activité psychique de l’homme ; elle permit à Sétchénov de démontrer que la vie psychique est le produit d’un organe matériel, le cerveau (V.), fonctionnant grâce à l’action exercée par le monde extérieur sur les organes des sens.
Sétchénov rejetait résolument l’assertion idéaliste selon laquelle l’activité psychique de l’homme serait d’une nature spéciale et il affirmait qu’il n’y a rien dans la conscience qui n’existe dans la réalité, que même ce qu’on appelle le « libre arbitre » n’est que le résultat des conditions extérieures dans lesquelles l’homme vit et agit et qui, se réfléchissant dans son cerveau, l’incitent à telle ou telle action.
Selon Sétchénov, la thèse des idéalistes suivant laquelle la cause de tout acte humain résiderait dans l’homme lui-même, dans son « monde intérieur », sa conscience, et non pas dans les conditions objectives concrètes, existant en dehors, indépendamment de lui, dans lesquelles il vit et agit, était un « monstrueux mensonge ». « La cause première de toute action est toujours l’excitation externe des sens, car sans elle aucune pensée n’est possible. »
Sétchénov portait ainsi un coup terrible aux conceptions réactionnaires idéalistes de l’« immortalité de l’âme », du « libre arbitre », etc., qui dominaient alors dans la science et sont encore propagées par la philosophie réactionnaire bourgeoise.
Les travaux de Sétchénov sur la physiologie cérébrale ont exercé une grande influence sur l’œuvre scientifique de Pavlov.
Pavlov soulignait toujours la liaison de continuité étroite entre sa propre théorie des réflexes conditionnels et la doctrine de Sétchénov sur le caractère réflexe de l’activité cérébrale. Les travaux physiologiques de Sétchénov constituent un apport précieux à la théorie matérialiste du développement de la nature vivante.
Leur rôle fut essentiel dans la préparation de la base théorique et idéologique qui assura le triomphe de la doctrine mitchourinienne. (V. Mitchourine.) On discerne dans toutes les recherches scientifiques de Sétchénov l’idée de l’évolution, du développement progressif de la nature vivante.
Dans son étude du problème de la pensée, Sétchénov a répété plus d’une fois que sa solution ne sera passible que si l’on considère la pensée sur un plan historique, dans sa naissance et son développement.
Les travaux de Sétchénov ont été d’une grande portée pour comprendre le substrat de la pensée, sa liaison avec la parole, le langage et l’activité humaine. Dans ses recherches, il partait de la ferme conviction de l’existence du monde extérieur objectif, indépendant de l’homme.
« J’ai basé tous mes raisonnements, écrivait-il, sur le fait que tout homme est absolument convaincu de l’existence du monde extérieur. »
Dans la théorie de la connaissance, Sétchénov ne quittait pas non plus les positions matérialistes.
Il considérait comme parfaitement connaissable le monde matériel objectif existant en dehors de la conscience. Il démontre expérimentalement que les objets du monde extérieur et les impressions laissées par eux dans la conscience de l’homme sont concordants.
La possibilité de connaître le monde et l’authenticité de ce que nous en savons, sont confirmées, disait-il, « par les immenses progrès des sciences, grâce auxquels l’homme s’assujettit de plus en plus les forces de la nature », ainsi que « par leurs brillantes applications pratiques, c’est-à-dire par les succès de la technique ».
Sétchénov soumit à une critique violente l’idéalisme dans le problème de la connaissance du monde et, en particulier, la théorie idéaliste de Kant (V.), affirmant que l’objet de la connaissance dépend du sujet connaissant, des formes de raisonnement existant a priori et soi-disant innées chez l’homme, et introduites par lui dans l’objet étudié.
Sétchénov considérait l’expérience et la pratique comme la base de la théorie de la connaissance, le critérium de l’authenticité de tout savoir positif.
Le matérialisme de Sétchénov comporte certaines lacunes, propres au matérialisme prémarxiste. Bien qu’il ait su réfuter l’interprétation idéaliste de la question du libre arbitre et démontrer que la volonté humaine dépendait de causes extérieures et objectives, il ne s’est pas aperçu qu’elle était conditionnée par les rapports sociaux dans lesquels vit et agit l’homme.
La même lacune se retrouve dans son interprétation du substrat de la pensée et de la conscience humaines.
Sétchénov était un savant avancé de son temps. Timiriazev le considérait comme une personnalité des plus saillantes du mouvement social des années 1860. Sétchénov entretenait des relations d’amitié avec le chef de la démocratie révolutionnaire russe, N. Tchernychevski (V.), dont il adopta les conceptions philosophiques.
De son côté, Tchernychevski estimait hautement l’œuvre scientifique de Sétchénov dont les travaux sur la physiologie constituent une des bases scientifiques de son matérialisme philosophique.
Comme on sait. Tchernychevski a représenté Sétchénov dans le personnage de Kirsanov de son roman « Que faire ? ».
Sétchénov démasqua magistralement l’idéalisme et le mysticisme de Kavéline, adversaire des démocrates révolutionnaires que Lénine considérait comme un des types les plus repoussants de la muflerie libérale.
Grand patriote et combattant pour les sciences naturelles d’avant-garde, Sétchénov était en butte aux brimades et à la disgrâce de l’autocratie tsariste qui le tenait pour un « politique subversif ».
Il ne séparait pas les intérêts de la science de ceux du peuple et, à un âge avancé, il faisait des conférences enthousiastes aux ouvriers de Moscou. Cependant les autorités tsaristes eurent vite fait d’interdire ces conférences.
Sétchénov salua la révolution de 1905 : « Maintenant, disait-il à Timiriazev, il faut travailler, travailler et encore travailler. » « Ce furent là, témoigne Timiriazev, les dernières paroles que j’entendis de lui, le testament laissé à la génération montante par une génération puissante quittant la scène. »
Les œuvres principales de Sétchénov sont : « Les réflexes du cerveau », « Impressions et réalité », « Qui doit élaborer la psychologie et comment le faire », « Les éléments de la pensée ».