[Article extrait de la revue Crise n°9]
L’année 2020 a été particulièrement tourmentée pour le capitalisme avec l’irruption de la seconde crise générale et, naturellement, il est très difficile de cerner les contours de celle-ci. Il y a tellement d’aspects, allant de l’économique à la politique en passant par le social et bien entendu l’écologie, que la compréhension de la crise est tout un processus, consistant justement en la révolution.
Du côté capitaliste, il y a inversement le mot d’ordre de la restructuration, avec l’obsession d’un redémarrage. Selon le Fonds Monétaire International, il est attendu une croissance de 5,5 % en 2021, puis de 4,2 % en 2022. La mise en place de différents vaccins est en effet d’un grand espoir pour les capitalistes, même si en même temps l’incertitude prédomine. Cela produit une lecture contradictoire, où il est à la fois expliqué que tout repart comme avant, mais qu’en même temps les choses sont bien compliquées.
Même si le graphique suivant est en noir et blanc (les légendes des couleurs sont dans l’ordre inverse de leur répartition dans le graphique), on voit tout de suite le problème : la consommation et l’investissement ont connu une baisse drastique. Pour un mode de production comme le capitalisme, c’est un double problème : déjà il n’y a pas la croissance normale, habituelle, mais en plus il y a un recul.
Le Fonds Monétaire International pose trois questions selon elles cruciales pour déterminer les perspectives.
« Premièrement, dans quelle mesure les restrictions indispensables pour freiner la transmission influeront-elles sur l’activité à court terme avant que les vaccins ne commencent à offrir une protection efficace à l’échelle de la société ?
Deuxièmement, comment l’activité réagira-t-elle aux attentes en matière de vaccination et aux mesures de soutien ?
Troisièmement, comment évolueront les conditions financières et les cours des produits de base ? »
En clair, la question de la vaccination est vue comme primordiale. Il ne s’agit pas simplement de la vaccination au sens d’un moyen de retourner à la normale. Il s’agit de voir que la vaccination aura elle-même un impact sur l’économie. Cela ajoute une inconnue et cela est un problème de plus pour les capitalistes.
S’il était possible de vacciner en une semaine au moyen de vaccins produits en une semaine, la question ne se poserait pas. Mais là on parle d’un processus à la fois long et incertain. C’est quelque chose de perturbant et les capitalistes n’avaient pas besoin de cela.
Il a même été parlé dans certains pays d’un carnet de vaccination pour permettre certaines activités. C’est dire à quel point une réorganisation de la société est même prise en considération, avec des multi-citoyennetés selon la vaccination ou non, pour tenter de résoudre l’équation.
Il suffit de voir le graphique proposé par le FMI en janvier 2021 pour saisir l’enjeu : la reprise est fragile, il faut éviter tout ce qui peut la casser. C’est le commerce surtout qui a le moins repris.
Et il faut bien saisir un aspect essentiel. Dire que la croissance reprend, c’est parler d’une croissance qui part d’un total qui a reculé. Lorsque le FMI explique qu’il aura une croissance de 4,2 % de l’économie mondiale en 2022, cela se fonde sur 2021. Il ne faut jamais perdre de vue le recul effectué par l’économie mondiale.
Ce n’est pas avant 2022 que celle-ci est censée revenir à son état d’avant-crise. Il va de soi qu’une telle affirmation n’a en soi aucun sens, puisqu’on ne saurait parler d’années blanches. On ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé, comme si les gens n’avaient pas continué de vivre, comme si le capitalisme s’était mis en pause, etc. Même en admettant que le capitalisme reprenne son cours normal après 2022 – une hypothèse absurde – il y aura au minimum des distorsions causées par les années précédentes.
Bref, de quelque manière qu’on prenne la chose, rien n’est plus « normal ». Il suffit de voir les faillites pour le vérifier. Il y a eu bien moins de faillites lors du grand confinement 2020 que lors de la crise financière de 2007-2008, parce que l’économie capitaliste a été portée à bout de bras par les États.
C’est ce qui fait que de nombreux commentateurs économiques craignent une zombification de l’économie, avec des entreprises continuant de tourner de manière artificielle. Elles ne pourront rien rembourser des prêts obtenus, elles plombent l’économie par le caractère fictif, elles vont se retrouver en faillite, etc. Le FMI l’a évidemment noté et en appelle à des mesures… « extrajudiciaires » !
« Les transferts en faveur des entreprises, assortis de garanties de crédit et de programmes d’appui aux crédits, ont évité des faillites qui auraient sinon pu se produire (mais ils ont également permis à certaines entreprises non viables de survivre, ce qui pourrait peser sur la productivité globale à l’avenir).
Une analyse des services du FMI portant sur un échantillon de 13 pays avancés et couvrant la période allant de 1990 à la crise de la COVID révèle que le nombre de faillites a en fait diminué pendant cette récession, contrairement aux précédentes récessions.
Cette diminution peut également s’expliquer en partie par les moratoires sur les faillites imposés dans quelques pays. Comme indiqué dans les Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2020, en cas d’accumulation de dossiers, il sera essentiel de pouvoir compter sur des régimes d’insolvabilité efficaces, à même de répartir les pertes entres banques, investisseurs et entreprises.
En outre, il sera peut-être nécessaire de renforcer les mécanismes extrajudiciaires de restructuration (ou d’en établir) pour accélérer le traitement. »
Ce n’est évidemment pas le seul effet attendu. Le FMI croit évidemment que la crise sera dépassée, mais considère qu’il y aura également un prolétariat mécontent. Voici comment cela est présenté de manière voilée :
« Comme l’expliquent les Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2020, une fois la crise estompée, les dirigeants devront s’attacher en priorité à faire face aux répercussions qui s’annoncent durables, et dont certaines ne sont qu’une intensification de tendances préexistantes : faible croissance de la productivité, creusement des inégalités, hausse du nombre absolu de personnes en situation de pauvreté, augmentation de la dette et retard d’accumulation de capital humain. »
Si on traduit cela, cela donne :
– il y aura un rapport au travail salarié marqué par le mécontentement ;
– la paupérisation relative va s’approfondir ;
– la paupérisation absolue va s’étendre ;
– le capital financier va devenir ouvertement hégémonique ;
– le chômage va exploser.
Le FMI appelle à la coopération internationale pour mutualiser les initiatives, mais en réalité on sait que la situation implique une expansion de la compétition des pays impérialistes pour le repartage du monde, ainsi qu’une agressivité bien plus élevée des pays semi-féodaux semi-coloniaux de type expansionniste (Inde, Turquie, Vietnam, Brésil, etc.).
On voit également déjà que les pays impérialistes occidentaux ont deux ennemis en vue, la Russie et la Chine, la première étant déjà en ligne de mire pour une déstabilisation approfondie. Dans tous les cas, c’est la guerre impérialiste qui s’annonce.
Ce qui va être décisif, c’est nécessairement la question des perspectives de croissance. Les pays qui décrochent vont être particulièrement agressifs. Cela sera particulièrement vrai pour un pays comme la France, une grande puissance avec des moyens très importants, mais une incapacité à maintenir son rang.
C’est bien entendu au niveau des restructurations que tout va se jouer. C’est le rythme et la réussite de la restructuration dans chaque pays qui être décisif. Cela poussera ceux en échec à être plus agressifs, mais également ceux en réussite à profiter de leur avancée. Dans tous les cas, on rentre dans l’ère des conflits impérialistes.