Carte de visite de la défunte Librairie Aurora dirigée par Flor Dewit durant une vingtaine d’années

Carte de visite de la défunte Librairie Aurora dirigée par Flor Dewit durant une vingtaine d’années

[Note du Centre MLMB : Voici un document qui a été lu lors des funérailles de Flor Dewit, ce 26 mars à Charleroi, par Ron Augustin. De nationalité néerlandaise, Ron, qui vit depuis plusieurs années en Belgique, a travaillé à partir de 1967 dans des revues alternatives aux Pays-Bas et en Angleterre, avant de rejoindre Berlin-Ouest en 1969.

Il rejoignit la Fraction Armée Rouge en 1971, se faisant arrêter en juillet 1973, puis condamné à plusieurs années de prison. Libéré en mars 1980, il participa par la suite à la formation d’une archive consacrée à la RAF à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam.

Dans un souci de clarté, nous voudrions souligner que nous divergeons sur un point en particulier avec Ron lorsqu’il explique ici que dans sa propre perception, Flor n’était pas « stalinien ». Pour nous, cela n’est pas lui faire injure de dire que Flor a toujours milité dans des organisations assumant les « quatre têtes » : Marx, Engels, Lénine, Staline.

A l’exception de son jeune engagement au sein du PCB qui, à l’époque, avait déjà liquidé toute sa culture et son économie politique, Flor a milité dans des organisations comme le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique ; le Mouvement des Communistes de Belgique ; le Collectif politique et culturel Aurora ; le Bloc Marxiste-Léniniste. Au sein de chacune de ces structures, la figure de Staline a historiquement été présentée comme une cause politique et culturelle à défendre. Dont acte.]

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Ron Augustin sur le décès de Flor Dewit

Flor Dewit, pendant vingt ans libraire à Saint-Gilles, nous a quitté le 23 mars.

Je n’ai jamais été à Louvain, où Flor a passé une grande partie de sa vie. Je ne le connais que de sa librairie. Dans ma perception, c’est comme si la librairie et le petit microcosme de l’Avenue Jean Volders aient été toute sa vie. Après tout, pendant 20 ans, la bouquinerie Aurora faisait partie intégrante de ce quartier et de la faune gauchiste de la capitale. Encore aujourd’hui, quand je passe devant le bâtiment qu’il a quitté il y a cinq ans, sa grande vitrine me rappelle les innombrables Gauloises sans filtre et les cafés du Portugais en face qui accompagnaient nos innombrables discussions. Pour moi, ce bâtiment est devenu un monument presque aussi iconique que la maison à côté, où l’Orchestre Rouge avait son atelier de faussaire.

Nous le savons tous et toutes, dans la gauche, celle originaire de la grande vague de contestations des années soixante du siècle passé, un des problèmes majeurs est notre fragmentation. Fragmentation qu’on entretient soigneusement en se collant des étiquettes pour se distinguer et dénoncer mutuellement, dans un esprit plutôt petit-bourgeois. Encore récemment, Flor a été catalogué de stalinien. Une notion qui de toute façon est ouverte à toutes sortes d’interprétations. Déjà, dans ce monde déboussolé, tous ceux et toutes celles qui se réclament être communistes se font traiter de tous les noms.

Flor a été docker et métallo. À peine ado, il était proche du Parti Communiste, auquel il a tourné le dos (à l’âge de 14-15 ans) au moment où les critiques du Parti chinois commençaient à être connues en Occident. Après la révolution culturelle en Chine, nous étions tous et toutes ici plus ou moins captivés par le maoïsme. Pas qu’on ignorait ses aspects kitsch et dogmatiques, mais parce que la nécessité de plusieurs révolutions consécutives nous parlait déjà depuis qu’on avait lu le moindre texte de Marx. À l’époque, Flor aimait surtout le rock’n’roll. Par la suite, il a effectivement rejoint le mouvement qui se réclamait être marxiste-léniniste, en passant de sa version chinoise à celles de la Corée du Nord, d’Albanie et de ses ramifications en occident. D’ailleurs, la première fois que je venais dans sa librairie, je me méfiais à fond de lui quand je tombais sur cette large table rempli d’ouvrages d’Enver Hoxha qu’il essayait de liquider encore.

Mais, au moins au temps de sa librairie, Flor n’était pas stalinien. Ou pas vraiment. Un pur et dur oui, mais il était ouvert à tous les courants de la gauche, des luttes syndicales au Bloc ML, de l’émancipation des femmes à la solidarité avec les prisonniers et prisonnières issus de la lutte armée en Occident. D’ailleurs, son magasin n’aurait pas tenu pendant 20 ans autrement. C’était surtout un lieu de rencontres. De travail aussi, puisqu’on avait commencé à éditer des textes authentiques des luttes anti-impérialistes d’il y a 50 ans et des projets similaires.

Pendant ce temps, Flor m’a déniché des trucs comme les rares originaux des œuvres complètes du Che imprimés à Cuba, un lot complet de la fameuse revue Révolution que Jacques Vergès publiait début des années soixante, des trucs pareils. Puis les bustes de Lénine…

Quand on travaille dans l’édition, la référence ultime sur l’histoire du mouvement ouvrier, c’est Le Maîtron, encyclopédie biographique de bientôt 56 volumes. Sans exagération, Flor était Le Maîtron vivant, et même plus. Pas un nom ou un endroit exotique qu’il ne connaissait pas. Je parie que peu de gens aient entendu le nom de Hardial Bains. Il n’est pas dans Le Maîtron. J’en avais seulement entendu parler par un ami indien, qui l’avait connu quand Bains était un fondateur important des partis ML au Canada, en Angleterre, en Irlande et en Inde. Eh bien, Flor ne connaissait pas seulement le nom, mais l’avait rencontré. C’était comme ça tout le temps. Je lui parlais d’une histoire au lac Baïkal au fin fond de la Sibérie, puis il me décrivait un séjour là-bas dans les années 1970 en attendant son vol pour Pyongyang. Et ainsi de suite…

Comme beaucoup de celles et ceux qui le fréquentaient, j’étais triste et même fâché, quand Flor a fermé boutique il y a cinq ans pour aller vivre à la campagne. Avant l’établissement de la Librairie Météores dans les Marolles un an plus tard, la librairie de Flor était la dernière à Bruxelles couvrant différents courants de la gauche, après qu’Aden était finie également. Mais tout compte fait, c’est ce qui a sauvé Flor ces dernières années. Sa santé avait déjà pris un gros coup, et, en tant que bouquinerie, la librairie n’était plus tenable financièrement. Grace à sa compagne, Sonja, qui l’a littéralement arraché de son éternel petit coin entre les piles de livres, Flor a pu savourer cinq ans d’une vie de qualité, à la campagne mais pas non plus coupé de la vie politique, qui jusqu’à son dernier souffle est restée son souci et une de ses (deux) passions. Un camarade qui ne quittera pas nos pensées.

Ron Augustin


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