Même s’il se généralise sur un mode impérial, il ne faut pas considérer que le mode de production esclavagiste est systématique : il laisse de nombreux espaces à sa périphérie. Ces espaces sont occupés par d’anciennes formes matriarcales, ou claniques, ou semi-esclavagistes, voire même pré-féodales pour les plus avancées.

Il existe par exemple un ouvrage écrit en grec au tout début de notre ère, Le Périple de la mer Érythrée. Écrit par un marchand grec en Égypte, il raconte le commerce depuis Rome jusqu’à l’Afrique orientale, la péninsule arabique, les Indes.

Parlant d’une zone de la corne de l’Afrique, il raconte que :

« On importe en ces endroits, du tissu écru fabriqué en Égypte pour les Barbares; des robes d’Arsinoé ; des capes de moindre qualité teintes en couleurs; des capes en lin à double-frange; de nombreux articles de verroterie et d’autres de murrhine, faits à Diospolis ; du laiton, utilisé pour la décoration et des pièces coupées à la place de la monnaie; des feuilles de cuivre doux, utilisées pour des ustensiles de cuisine et coupés pour faire des bracelets et des anneaux de chevilles pour les femmes; du fer, transformé en lances utilisées contre les éléphants, d’autres bêtes fauves et dans les combats.

En outre, on importe de petites haches, des doloires et des épées ; des coupes à boire en cuivre, grandes et rondes ; de la menue monnaie pour ceux venant au marché ; du vin de Laodicée et d’Italie, en petite quantité ; un peu d’huile d’olive ; pour le roi, des plats en or et en argent façonnés au goût du pays et quant aux vêtements, des habits militaires et de minces manteaux de peau, de peu de valeur.

De même, on importe du district d’Ariaca par cette mer, du fer indien, de l’acier et des tissus indiens de coton ; de larges toiles appelés monache et sagmatogene, des gaines, des manteaux de peau, du tissu de couleur mauve, quelques mousselines et de la laque de couleur.

On exporte de là l’ivoire, l’écaille de tortue et la corne de rhinocéros. »

L’ouvrage est ainsi un compte-rendu détaillé du point de vue commercial ; on lit encore par exemple que :

« La ville commerçante de Mouza n’a pas de port, mais elle a une bonne rade et un ancrage grâce au fond sablonneux environnant, où les ancres tiennent en toute quiétude.

Les marchandises qu’on y importe sont : des tissus pourpres, premier choix et grossiers ; des vêtements arabes à manches ; les uns simples et communs, les autres soutachés ou brodés avec du fil d’or ; du safran, du souchet, des mousselines, des manteaux, quelques couvertures, les unes ordinaires, les autres fabriquées au goût du pays,; des ceintures de différentes couleurs, une certaine quantité d’onguents parfumés, un peu de vin et du blé.

Le pays d’ailleurs produit lui-même du froment en quantité modérée et beaucoup de vin. Au roi et au seigneur on apporte des chevaux et des mules de bât, des vases d’or et d’argent ciselés, des vêtements finement tissés et des ustensiles en cuivre.

On exporte de Mouza les produits du pays : la myrrhe locale de la meilleure qualité et de la résine minéenne, de l’albâtre et toutes les marchandises déjà mentionnées d’Avalitès sur la côte d’en face.

Le meilleur moment pour voyager à cet endroit est le mois de septembre, c’est-à-dire Thoth ; mais rien ne s’oppose à ce qu’on y vienne plus tôt. »

Cela souligne l’importance des échanges, du commerce reliant ces territoires périphériques aux centres de la consommation urbaine propre au mode de production esclavagiste. C’est en particulier vrai pour Rome.

Dans Le capital, Karl Marx note une chose particulière qui distingue Rome, un régime esclavagiste, de l’esclavagisme ayant existé jusque-là. Il dit :

« Dans ces systèmes de production anciens, le possesseur principal du surproduit auquel a affaire le commerçant, propriétaire d’esclaves, suzerain, État (par exemple, le despote oriental) symbolise la richesse tournée vers la jouissance.

Le commerçant lui tend des pièges, comme l’a très bien senti Adam Smith dans le passage mentionné sur l’époque féodale.

Là où le capital marchand domine, il représente, par conséquent partout, un système de pillage tout comme d’ailleurs est directement liée au pillage son évolution chez les peuples commerçants des temps anciens et des nouveaux, par la violence, à la piraterie, au rapt d’esclaves, à la soumission (dans les colonies) ; ainsi à Carthage, à Rome, plus tard chez les Vénitiens, les Portugais, les Hollandais, etc.

Le développement du commerce et du capital marchand favorise l’orientation en général de la production vers la valeur d’échange ; il accroît son volume, la diversifie et l’internationalise, transforme la monnaie en monnaie universelle.

Le commerce comporte donc partout une action plus ou moins dissolvante sur les organisations existantes de la production qui, dans toute la diversité de leurs formes, sont principalement orientées vers la valeur d’usage.

Mais la mesure dans laquelle il détruit l’ancien système de production dépend d’abord de la solidité et de la structure intérieure de celui-ci.

Ce n’est pas non plus du commerce, mais du caractère de l’ancien mode de production que dépend le résultat du processus de dissolution, c’est-à-dire le mode de production nouveau qui remplacera l’ancien.

Dans le monde antique, l’action du commerce et le développement du capital marchand aboutissent toujours à une économie esclavagiste ; ou, suivant leur point de départ, pouvant aboutir à la simple transformation d’un système d’esclavage patriarcal orienté vers la production de moyens de subsistances directs en un système orienté vers la production de plus-value.

Par contre, dans le monde moderne, l’action du commerce conduit au mode capitaliste de la production.

Dès que l’industrie citadine se sépare de l’industrie agricole, il est dans la nature des choses que ses produits soient d’emblée des marchandises dont la vente a besoin du chaînon intermédiaire du commerce.

Il va donc de soi que le commerce se développe en même temps que les villes et qu’inversement le développement de celles-ci soit conditionné par le commerce.

Cependant, ce sont des circonstances autres qui déterminent le degré de développement simultané de l’industrie.

La Rome antique, vers la fin de sa période républicaine, porte déjà le développement du capital marchand plus haut qu’il n’a jamais été auparavant dans l’Ancien monde, sans qu’il y ait eu pour cela le moindre progrès industriel, tandis qu’à Corinthe et en d’autres cités grecques de l’Europe et de l’Asie Mineure, les progrès de l’industrie et du commerce marchent de front.

Par ailleurs, et inversement au développement des villes et des conditions qu’il crée, l’esprit de négoce et le développement du capital marchand sont souvent le fait de peuples nomades, non sédentaires. »

C’est un point essentiel pour comprendre la disparition du mode de production esclavagiste. Il y a un développement inégal de l’humanité et si le mode de production esclavagiste s’est développé, il n’occupe pas tous les espaces possibles.

Ce contraste entre les centres du mode de production esclavagiste et ses marges permet aux contradictions de trouver un chemin, par la fuite, l’invasion dans un sens ou la conquête dans l’autre, suivant l’état des rapports de forces.

Ces marges constituent, selon les situations, soit des bases arriérées dans le tribalisme, soit au contraire elles produisent la source de ce qui deviendra le nouvel élan de la domination aristocratique sur la société : le féodalisme.

Cela se verra en particulier lorsque les zones en périphérie de l’empire romain historique vont développer le féodalisme, à la fois en conséquence du développement inégal dans l’esclavagisme romain et du développement inégal de l’humanité avec des barbares germaniques restés à l’extérieur de l’empire romain, avant que le féodalisme ne gagne l’Empire romain lui-même.


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